Arnaud Bisson

Service de Cardiologie, Centre Hospitalier Universitaire et Faculté de Médecine de Tours, France

 

La fibrillation atriale est fréquente et touche 1 à 2 % de la population.
Cette arythmie multiplie le risque d’accident vasculaire cérébral par 5 et ces accidents ont un plus mauvais pronostic. Il est donc important d’en faire le diagnostic, mais ce n’est pas toujours chose facile avec les moyens actuels.

Les objets connectés pourront-ils nous aider ?

 

 

 

En effet, les symptômes en lien avec les épisodes d’arythmie sont peu spécifiques et bien souvent absents¹. Du fait de leur caractère paroxystique et asymptomatique, la documentation d’un épisode de fibrillation atriale (FA) par les techniques de routine telles que l’ECG 12 dérivations et les Holter ECG (24h, longue durée) peut être difficile et retardée. Or, la prévention des accidents thromboemboliques passe par l’anticoagulation orale mais uniquement en cas de documentation de l’arythmie². La prévalence de la FA augmentant avec l’âge, on sait que le dépistage opportuniste de la FA dans la population générale ne devient favorable d’un point de vue du rapport coût-efficacité qu’à partir de 65 ans³ avec les difficultés techniques et logistiques que cela comprend.
C’est pourquoi de nombreux outils dédiés au dépistage de la FA (montre, moniteur ou vêtements connectés), dont certains sont déjà accessibles au grand public, se développent actuellement et sont en cours d’évaluation. Nous vivons dans un monde où les objets connectés tels que les smartphones ont envahi notre quotidien. Il se vend chaque année plus d’un milliard de ces petits bijoux aux capacités semblant illimitées et dont l’une des principales capacités est de générer de la data en grande quantité et en continu. Pourquoi ne pas les utiliser à des fins médicales et notamment pour le screening de masse des populations ?

C’est l’idée développée par la célèbre marque à la pomme, Apple, en collaboration avec l’Université de Médecine de Stanford qui s’est lancée sur le sujet par le biais de cette étude, APPLE HEART (NCT 03335800), dont les résultats ont été présentés au Congrès de l’American College of Cardiology 2019.

Design de l'étude

Il s’agissait d’une étude prospective, non contrôlée, en ouvert où les participants devaient être détenteurs des modèles d’iPhone® (5s ou plus récent) et AppleWatch® (séries 1-3), majeurs et résidents aux États-Unis. Étaient exclus ceux déjà connus pour de la FA ou flutter atrial ainsi que ceux traités par anticoagulation.
Ce nouveau type de design « virtuel » d’étude reposait sur l’utilisation d’une application (AppleHeart®), permettant la réalisation du recrutement des participants, le recueil des consentements et celui des données ainsi que les consultations de suivi via télémédecine.

Figure 1

Technologie : détection et diagnostic

L’étude était constituée de 2 phases (Figures 1, 2).

Figure 2

Une première phase correspondait à la détection d’un pouls irrégulier à l’aide du capteur optique incorporé dans l’AppleWatch® capable par photopléthysmographie de produire un tachogramme. Les mesures étaient intermittentes, périodiques et opportunistes. Chaque cycle cardiaque était analysé par l’algorithme de la montre et si le rythme était irrégulier, l’appareil reproduisait les enregistrements pour confirmation. Au bout de 5 épisodes d’irrégularité du pouls sur une période de 48h, une notification était envoyée à l’utilisateur via l’application et le participant était invité à contacter une compagnie de Télémédecine (American Well Corporation, Boston, MA) pour une consultation à distance toujours via cette application. Les patients avec des symptômes indiquant une hospitalisation étaient dirigés vers le service des urgences le plus proche.
La deuxième phase consistait, après recueil d’informations complémentaires et vérification des critères d’exclusion, au diagnostic de la FA par un moniteur ECG par patch mono-bande ambulatoire nommé ePatchesw (BioTelemetry, Inc, Conshohocken, PA) qui était envoyé par courrier que le participant était invité à porter durant 7 jours. Après réalisation de l’enregistrement, une deuxième visite à distance était réalisée toujours via l’application. Les tracés étaient analysés et les données recueillies après retour par courrier du moniteur ECG. En cas de symptômes ou de diagnostic de troubles du rythme, le patient était dirigé vers le centre de soins le plus proche.
Enfin, un questionnaire était envoyé à 90 jours à tous les participants.

Objectifs

Les objectifs primaires de l’étude étaient, pour les patients ayant reçu une notification pour pouls irrégulier, le nombre de FA (>30sec) diagnostiquées via le monitoring ambulatoire (patch ECG) chez les participants âgés de 65 ans ou plus ; ainsi que les épisodes de pouls irrégulier détectés grâce aux tachogrammes de la montre coïncidant avec des épisodes de FA confirmés par le patch ECG.
Les objectifs secondaires étaient le nombre d’épisodes de pouls irrégulier détectés par l’algorithme avec notification coïncidant avec des épisodes de FA confirmés par le patch ECG ; ainsi que les notifications ayant entrainé un contact médical dans les 3 mois.

Figure 3

Résultats

19 297 volontaires américains ont été inclus en 8 mois entre 2017 et 2018 (Figure 3). Parmi eux, 0,5% (2 161 participants) ont reçu une notification après une durée moyenne de port de 8 mois. Ils étaient 3,2% (775 / 42 633) chez les participants de 65 ans et plus.
Au terme de la première visite réalisée chez 945 participants (44% des notifications), 658 patchs ECG ont été envoyés dont 450 (68%) ont été récupérés et analysés. 154 (34%) FA ont été diagnostiquées par le patch ECG au terme d’une durée moyenne de monitoring de 6,3 jours. Ce taux était plus important chez les participants ≥ 65 ans (63/181 soit 35%). Dans 89% des cas, l’épisode d’arythmie le plus long durait
plus d’une heure, et la charge de FA était à 100% dans près de 20% des cas.
La capacité de détection de la FA par le biais des épisodes de pouls irrégulier a été comparée aux tracés obtenus pendant la période de monitoring par patch ECG (Figure 4). La valeur prédictive positive des tachogrammes irréguliers de l’AppleWatch® dans la détection de la FA était de 71% (IC 95% : 69%-74%) et celle des notifi cations après analyse de l’algorithme de 84% (IC 95% : 76%-92%). Ces performances
étaient influencées par l’âge puisque les valeurs rapportées chez les participants de 65 ans ou plus étaient moins bonnes et respectivement à 60% (IC 95% : 56%-64%) et 78% (IC 95% : 62%-92%).

Concernant le sondage à 90 jours, les données étaient recueillies chez 64% des participants ayant eu une notification. Parmi eux, 787/1 376 (57%) ont contacté un praticien en dehors de l’étude : 28% ont débuté un nouveau traitement, 33% ont consulté un spécialiste et 36% ont eu
recours à des examens complémentaires.

Figure 4

Limites

Tout d’abord, nous pouvons noter que, malgré de larges effectifs, l’étude n’a pas atteint ses objectifs d’inclusion. Les auteurs avaient initialement prévu un recrutement total de 500 000 (vs 419 297 en réalité) participants pour ensuite 503 patches ECG chez les moins de 65 ans et 503 chez les 65 ans et plus. Trop de participants sont sortis du protocole. En effet, sur les 419 297 personnes inclues, 450 seulement
ont eu l’analyse du patch ECG. Cet élément est problématique, particulièrement dans le cadre de l’évaluation d’une stratégie de dépistage de masse, puisque l’étude n’a porté que sur une petite portion de la population.
Ensuite, il ne s’agit pas d’une étude de validation du dispositif puisqu’il n’y avait pas de groupe témoin et que nous n’avons pas de données sur la sensibilité ni sur les faux négatifs. On se souvient de l’étude Watch-AF4, réalisée avec un dispositif similaire, dans laquelle près de 20% des tachogrammes étaient ininterprétables. Enfin, nous avons peu de détails sur l’algorithme de l’AppleWatch®.

Perspectives : Alors gadget ou dispositif médical ?

Cette étude confirme la volonté des géants du numérique d’entrer dans le domaine de la santé et notamment en cardiologie.
Sur le plan méthodologique, ce nouveau type de design virtuel d’étude a permis une inclusion massive de plus de 400 000 participants en un temps record ce qui ouvre des perspectives très intéressantes pour de futures études notamment dans le dépistage de masse.
Concernant les résultats, les conclusions restent limitées. Compte tenu des limites de l’étude actuelle, on retiendra surtout la faisabilité du dépistage de la FA par l’AppleWatch® et son algorithme mais ces résultats, certes encourageants, nécessitent de plus amples validations.
On attend pour cela l’étude Heartline qui évaluera si l’utilisation de l’application ECG de l’AppleWatch® peut avoir un impact en termes d’évènements graves tels que les AVC.

Références

1. Strickberger SA, Ip J, Saksena S, Curry K, Bahnson TD, Ziegler PD. Relationship between atrial tachyarrhythmias and symptoms. Heart Rhythm. 2005 Feb; 2(2):125–31.
2. Kirchhof P, Benussi S, Kotecha D, Ahlsson A, Atar D, Casadei B, et al. 2016 ESC Guidelines for the management of atrial fi brillation developed in collaboration with EACTS: The Task Force for the management of atrial fi brillation of the European Society of Cardiology (ESC) Developed with the special contribution of the European Heart Rhythm Association (EHRA) of the ESCEndorsed by the European
Stroke Organisation (ESO). Europace. 2016 Aug 27;
3. Hobbs FDR, Fitzmaurice DA, Mant J, Murray E, Jowett S, Bryan S, et al. A randomised controlled trial and cost-effectiveness study of systematic screening (targeted and total population screening) versus routine practice for the detection of atrial fi brillation in people aged 65 and over. The SAFE study. Health Technol Assess. 2005 Oct; 9(40): iii–iv, ix–x, 1-74.
4. Dörr M, Nohturfft V, Brasier N, Bosshard E, Djurdjevic A, Gross S, et al. WATCH AF Trial: SmartWATCHes for Detection of Atrial Fibrillation. JACC: Clinical Electrophysiology. 2018 Nov 28; 804.

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