Caritas, Giotto 1303 – 1306
Caritas est la première représentation connue du cœur dans l’iconographie religieuse occidentale, ce qui en fait tout l’intérêt historique. Mais reprenons l’histoire à son début. L’église de l’Arena, plus connue sous le nom de la chapelle des Scrovegni est un modeste bâtiment d’époque médiévale construit sur l’emplacement d’une ancienne arène romaine à Padoue. Elle doit sa réputation à son décor intérieur entièrement recouvert d’une cinquantaine de fresques peintes par Giotto au début du XIVe siècle, en réponse à la commande d’un riche marchand vénitien, Enrico Scrovegni. Le thème principal est celui du nouveau testament, en particulier la vie de Marie et de ses parents et celle du Christ. Ce cycle de peintures est très cohérent dans son unité d’exécution et surtout son style qui font de cet ensemble un chef d’œuvre absolu de l’art occidental médiéval.
A ces scènes du Nouveau Testament, Giotto a ajouté dans la partie inférieure des parois de la chapelle la représentation de 14 figures allégoriques des vices et des vertus, 7 de chaque côté, dans des teintes en camaïeu de beige et encadrées d’un trompe-l’œil polychrome de marbre. La première mention des 3 vertus théologales, la Foi, l’Espérance et la Charité (ou l’Amour) figure dans la 1ère épitre aux Corinthiens de Saint Paul. « Maintenant donc, ces trois-là demeurent, la foi (pistis), l’espérance (helpis) et la charité (agapè) mais l’amour est le plus grand » (I Co 13, 13). Associées aux vertus cardinales (la Prudence, la Tempérance, la Force d’âme et la Justice), elles forment les vertus catholiques.
Dans cette fresque de Giotto, Caritas est représentée en pied, revêtue d’une draperie simple et flottante. Une couronne de fleurs ceint son front. Elle tient dans sa main droite une corbeille de fruits et foule au pied des bourses pleines de trésors. Son regard est dirigé vers le Christ auquel elle offre un fruit en forme de poire qui symbolise le cœur.
La représentation du coeur reste très rare dans l’art religieux du XIVe siècle. Tout en conservant la même signification symbolique, on va voir le cœur progressivement substitué à la plaie du flanc du Christ ouverte par la lance du centurion romain. C’est à Saint Augustin que l’on doit cette métaphore de la plaie du Christ par laquelle il donne naissance à l’Eglise comme Adam avait donné naissance à Eve. Les illustrations du cœur existaient déjà dans l’art profane médiéval lorsque Giotto entreprit cette fresque, On retrouve des exemples dans les illustrations du Roman de la Poire, écrit vers 1260 par un dénommé Tibaut, poète par ailleurs inconnu. Il existe des images du don du cœur et des blessures d’amour dans d’autres ouvrages profanes, mais cette Caritas est la première représentation connue du cœur dans les oeuvres religieuses occidentales.
Il faut noter que le fruit (le cœur) de forme oblongue est dessiné ici avec la pointe orientée vers le haut. A cette époque, la forme adoptée pour représenter le cœur correspond aux croyances persistantes des descriptions anatomiques d’Aristote puis de Galien qui le décrivaient avec 3 cavités vers le haut et une indentation en son milieu. Plus tardivement, les artistes le représenteront avec une forme plus renflée, symétrique et dont la pointe est orientée vers le bas, telle que nous le connaissons encore aujourd’hui.
Au delà de sa grande qualité plastique et de son intérêt historique sur la représentation du cœur, cette fresque est connue pour
avoir influencé plusieurs artistes, peintres ou écrivains. En composant en1462 son tableau « Sainte Catherine de Sienne offrant son cœur au Christ » (cf Cordiam n°26, décembre 2018), Giovanni di Paolo avait peut-être conservé la fresque de Giotto en mémoire, en remplaçant la Vertu par le personnage historique présenté dans une attitude assez proche. Par ailleurs, Marcel Proust possédait des reproductions de ces vices et vertus de Giotto. Dans la Recherche, la figure de la Charité est utilisée comme métaphore de la fille de cuisine de Combray, enceinte. « La charité de Giotto, très malade de son accouchement récent, ne pouvait se lever. » (RTP I, 120).
Pascal Guéret