Les biomarqueurs de dysfonction atriale en pratique clinique
Contexte et objectifs
La pratique de la cardiologie fait appel de façon quotidienne à l’utilisation de biomarqueurs. Que ce soit dans le domaine des syndromes coronaires aigus, de la maladie thromboembolique veineuse ou de l’insuffisance cardiaque, ils sont au cœur de la prise en charge par l’aide qu’ils apportent dans le diagnostic, le pronostic et la stratification du risque, guidant ainsi le traitement. La performance des biomarqueurs les plus utilisés, à savoir le BNP et la troponine, en termes de diagnostic et de pronostic dans ces pathologies est démontré. Cependant dans les pathologies à atteinte atriale prédominante, la performance diagnostique et pronostique de ces biomarqueurs classiquement utilisés est moins bonne. Nous nous sommes donc intéressés à 3 biomarqueurs peu utilisés actuellement dans des pathologies affectant en premier lieu l’oreillette : la fibrillation atriale et la sténose mitrale. Les biomarqueurs concernés sont le MRproANP un peptide natriurétique d’origine atrial, le sCD146 un marqueur d’origine endothéliale et le sST2 un marqueur de fibrose. L’objectif de ce travail était l’évaluation de leurs capacités diagnostiques et pronostiques chez des patients atteints de fibrillation atriale et de sténoses mitrales.
MRproANP et pathologie mitrale
Nous nous sommes intéressés dans une première publication aux concentrations plasmatiques de MRproANP et de sCD146 chez des patients porteurs de sténoses mitrales serrées et moyennement serrées. Les concentrations de ces deux biomarqueurs étaient toutes deux plus élevées chez les patients porteurs de sténoses mitrales serrées vs moyennement serrées, et liées à l’évolution de la pathologie vers l’hypertension artérielle pulmonaire (Figure 1).
La seconde publication fait suite à cette première étude. Elle concernait l’évolution des concentrations de MRproANP, sCD146, BNP et NTproBNP, en pré et post valvuloplastie mitrale percutanée. Le BNP, le MRproANP, le sCD146 diminuaient significativement en post procédure en cas de succès de la valvuloplastie mitrale percutanée. Cette baisse semble donc liée
à l’amélioration hémodynamique induite par une procédure réalisée avec succès. Le MRproANP et le sCD146 semblent donc marqueurs de succès immédiat d’une valvuloplastie mitrale percutanée. Il existait une importante corrélation entre les pressions artérielles pulmonaires et les niveaux de sCD146.
L’ensemble de ces résultats est expliqué par l’impact hémodynamique de la sténose mitrale sur l’oreillette gauche pour le MRproANP et sur l’endothélium de la circulation pulmonaire qui libère le sCD146 en cas de congestion. A l’issu de ces 2 premières études, nous pouvons conclure que le MRproANP et le sCD146 sont liés à l’évolution de la sténose mitrale, sont des marqueurs de sévérité de la pathologie et de succès de son traitement.
MRproANP et fibrillation atriale
Un troisième travail concerne une pathologie rythmique touchant l’oreillette gauche : la fibrillation atriale. La fibrillation atriale est le trouble du rythme cardiaque le plus fréquent, l’ablation par voie endocavitaire est actuellement au cœur de sa prise en charge. La principale limite de la procédure est un taux de succès qui va de 50 à 80%. L’identification des patients à risque de récidive est donc primordiale. Nous nous sommes ainsi intéressés à l’impact des niveaux de MRproANP et de sST2 avant une ablation sur le taux de récidive à un an. Le MRproANP était un prédicteur indépendant de récidive de fibrillation atriale dans notre étude, le sST2 ne l’était pas. Un MRproANP au-delà d’un seuil de 107,9pmol/L était lié à un risque de récidive de FA multiplié par 24. Inversement en dessous de ce seuil les patients sont très peu sujets à la récidive avec une valeur prédictive négative très élevée de 95,7%.
Il existait une relation linéaire entre récidive de fibrillation atriale après ablation et niveaux plasmatiques de MRproANP pré-procéduraux (Figure 3).
Dans cette même étude les taux de MRproANP étaient plus élevés chez les patients en fibrillation qu’en rythme sinusal. Les concentrations intra atriales droite et gauche ne différaient pas significativement entre elles, en revanche, elles étaient plus élevées que dans le sang veineux périphérique. Ces données plaident pour une sécrétion du MRproANP par les deux oreillettes lors de la fibrillation atriale. Les niveaux de MRproANP et sST2 étaient par ailleurs liés à la dilatation de l’oreillette gauche. Le MRproANP semble donc un marqueur pronostique de choix dans la fibrillation atriale, prédicteur indépendant de récidive à un an d’une ablation. Le MRproANP et le sST2 sont tous deux liés aux modifications structurelles de l’oreillette gauche chez les patients en fibrillation atriale.
Conclusion
Les biomarqueurs étudiés (MRproANP, sCD146, sST2) sont encore peu ou pas utilisés en pratique clinique quotidienne. Ils pourraient trouver leur place en complément des biomarqueurs communément utilisés comme le BNP, le NTproBNP et la troponine dans des pathologies affectant principalement l’oreillette. Nous avons, par ce travail, mis en évidence leur capacité à identifier les répercussions hémodynamiques et structurelles de certaines pathologies cardiaques au niveau atrial. Nous avons pu montrer leur intérêt pour le pronostic, le diagnostic de sévérité et le suivi des patients atteints de sténose mitrale ou de fibrillation atriale. Leur utilisation demande à être validée sur de plus grandes populations.
Marc Badoz, Besançon
Cordiam n°40, JUIN – JUILLET 2021