Sans titre (Heart Attack)
À la fin des années 70-début 80 la ville de New-York est le siège d’une grande insécurité. Capitale du crime et immense boite de nuit, la ville accueille de très nombreux artistes en vogue ou en devenir alors que nombre de ses habitants la déserte, en particulier ceux du Bronx et d’East Harlem. Le mouvement Punk y fait irruption, le Hip-Hop et la New Wave, mélange de musique, graffiti , cinéma, mode et drogue s’y développent. Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol s’y rencontrent et débutent une collaboration artistique qui comportera un corpus de 160 oeuvres à 4 mains.
Basquiat est alors un tout jeune artiste dont la carrière de peintre débute à peine. Auparavant graffeur, performeur, acteur, musicien, il est ambitieux et voit dans la réputation de Warhol dont il est un fervent admirateur un moyen d’accéder plus rapidement à la notoriété. Ce dernier, plus âgé que lui, prince du Pop Art, voit son image commencer à pâlir. Le monde de l’art criti que l’homme d’affaires éclipsant l’artiste. Il voit dans Basquiat dont il reconnait le talent un apport de sang neuf. La rencontre a lieu en octobre 1982 dans les locaux de la Factory, l’atelier de Warhol, à l’initiative de leur galeriste commun, Bruno Bischofberger.
Elle est formalisée le jour même par le fameux double portrait (Dos Cabezas), leur première oeuvre commune.
Dans leur travail à 4 mains chacun intervient successivement, à la manière d’un cadavre exquis.
Warhol commence habituellement le tableau en apposant tantôt des sérigraphies tantôt de la peinture qu’il avait délaissée ces dernières années puis Basquiat complète l’oeuvre.
Dans cette relation symbiotique et ces échanges intenses chacun conserve son style propre, ce qui rend plus facile pour le spectateur la lecture de la toile et l’identification de leur contribution artistique respective.
Parallèlement chacun va poursuivre son oeuvre créatrice et son travail personnel, mais cette collaboration sera interrompue en février 1987 par la mort de Warhol dans les suites d’une banale intervention chirurgicale.
Basquiat décédera l’année suivante d’une overdose de cocaïne.
Heart Attack est une toile de grandes dimensions. Sur un fond blanc Warol a reporté l’image rouge d’un coeur qui occupe presque la moitié du tableau et dont la forme anatomique semble assez exacte.
Les éléments peints et les mots sont partiellement masqués par deux aplats blancs, genre de palimpsestes.
Sur l’un d’eux figure le dessin d’une artère coronaire obstruée alors que l’autre gène la compréhension du texte ; seuls quelques mots sont lisibles. La contribution de Basquiat est facilement identifiable : il a représenté un visage humain en vert et jaune mais dont la forme du nez est négroïde. Comme à son habitude les dents sont figurées sous la forme d’un quadrillage.
De même, les mots biffés sont difficilement lisibles mais on peut reconnaitre Tobacco et Alcool, facteurs favorisant la survenue de l’infarctus.
Nous disposons de peu d’informations sur les circonstances de la création de ce tableau. L’ensemble reste très parlant et est très caractéristique de cette oeuvre commune et des échanges fructueux poursuivis pendant ces années de collaboration artistique.
Laissons le mot de la fi n à un enfant de 7 ans qui m’accompagnait lors de la visite de la rétrospective présentée cette année à la Fondation Louis Vuitton à Paris. “Warhol dessine mieux mais Basquiat exprime plus”.