Confusion dans l’oreillette

Auteurs :
Sarah Cohen, Département de cardiologie, HEGP
Etienne Puymirat, Département de cardiologie, HEGP
Catégorie : cardiologie
Sous-spécialité : échocardiographie

Présentation : découverte d’une masse intacardiaque devant des signes d’insuffisance cardiaque droite Mme R., 53 ans, est adressée en urgence pour dyspnée associée à des signes évocateurs  d’insuffisance cardiaque droite évoluant depuis une quinzaine de jours. Elle a pour facteurs de risque  cardiovasculaire : une dyslipidémie traitée par atorvastatine et un tabagisme actif estimé à 40  paquet-année. Son unique antécédent notable est un mélanome de la jambe droite opéré en 2005 et  actuellement sans suivi régulier, la dernière consultation spécialisée datant de 2006.

La patiente décrit une altération de l’état général progressive depuis 4 mois avec asthénie, anorexie  et perte de poids.
L’examen clinique confirme la cachexie, la patiente pesant 41kg pour 163cm (soit un IMC à 15,4kg/m2). Les bruits du cœur sont rapides, réguliers, sans souffle audible. Elle présente en effet des signes d’insuffisance ventriculaire droite avec des œdèmes des membres inférieurs jusqu’aux cuisses et une turgescence jugulaire. Le murmure vésiculaire est diminué à gauche jusqu’à mi-champ et en base droite, en faveur d’un épanchement pleural bilatéral prédominant à gauche. Il n’y pas de signe de phlébite et la peau semble indemne de lésion suspecte. L’examen neurologique est sans particularité.
L’ECG s’inscrit en tachycardie sinusale avec un bloc de branche droit.
Biologiquement, la troponine est négative, le BNP augmenté à 2065pg/mL et il existe un syndrome inflammatoire avec une CRP à 99mg/L, une hyperleucocytose à 16,4 G/L avec une prédominance de polynucléaires neutrophiles. Le gaz du sang retrouve un effet shunt gazométrique.
Devant la suspicion d’embolie pulmonaire, un angioscanner est donc demandé en urgence. Celui-ci infirme cette hypothèse mais révèle la présence d’un nodule suspect lobaire supérieur droit d’un centimètre ainsi qu’une cardiomégalie.

EN SAVOIR PLUS

L’échocardiographie réalisée alors met en évidence une masse intra-oreillette gauche (OG) volumineuse (80 x 50 mm), comblant la quasi-totalité de l’OG, dilatée, s’enclavant dans la mitrale à chaque diastole et faisant obstacle à l’éjection OG-VG (figure 1A et 1B) avec un gradient moyen mesuré à 8mmHg. L’insertion de cette masse est difficile à préciser. Les cavités droites sont dilatées avec une surface de l’oreillette droite à 21cm2. Le ventricule droit est hypokinétique avec une onde S à l’anneau latéral à 5 cm/s. Il existe une hypertension artérielle pulmonaire à 77mmHg en systole sur une fuite tricuspide modérée. La veine cave inférieure est dilatée mais compliante. Il y a un épanchement péricardique de faible abondance en regard de l’oreillette droite et de la paroi latérale du ventricule gauche. Ce dernier est quant à lui non dilaté mais également hypokinétique de façon globale avec une fraction d’éjection à 45%.

cas clinique 1

Figure 1A
Echocardiographie transthroracique coupe apicale
Des 4 cavités.
1A : volumineuse masse intra-oreillette gauche (OG)
Comblant la quasi-totalité de l’OG, dilatée.

cas clinique 2

Figure 1B
Echocardiographie transthroracique coupe apicale des 4
cavités
1B : tumeur prolabant dans la mitrale à chaque diastole,
créant un obstacle à l’éjection OG-VG.

A ce stade des explorations, les deux hypothèses diagnostiques envisagées sont un myxome de l’oreillette et une récidive métastatique du mélanome. Le premier TDM étant de qualité limitée, l’examen est répété et confirme la présence d’une volumineuse masse de l’OG à contours irréguliers de 59x47x90mm de long, modérément hétérogène, non calcifiée, ne se rehaussant pas au temps tardif, sans calcification franche (figures 2, 3, 4, 5) et avec un probable point d’attache sur le septum inter-auriculaire (figure 6). Cette masse passe effectivement l’orifice mitral en diastole. On retrouve le nodule apical droit spiculé d’aspect suspect.

Figure 2

Figure 2 

TDM cardiaque injecté (coupe équivalent de 2 cavités) : prolabant dans le VG 

Figure 3

Figure 3 

TDM cardiaque injecté (coupe des 4 cavités) 

Figure 4

Figure 4 

TDM cardiaque (temps tardif, 2’ après injection) : absence de rehaussement 

Figure 5

Figure 5 

TDM cardiaque (temps tardif) : absence d’envahissement des veines pulmonaires (VP) 

Figure 6

Figure 2 

TDM cardiaque injecté (coupe équivalent de 2 cavités) : prolabant dans le VG 

Bien que certaines caractéristiques de la tumeur soient en faveur d’un myxome (localisation intra-OG, insertion sur le septum inter auriculaire, absence de rehaussement), le contexte peut faire évoquer une métastase (antécédent de néoplasie, altération de l’état général, nodule pulmonaire suspect) ou un processus malin (absence de calcification).

On complète donc les explorations par un TEP scan. L’absence d’hypermétabolisme suspect au niveau de la masse intra-OG est en faveur du diagnostic de myxome. En revanche, cet examen confirme la présence d’un nodule hypermétabolique apical droit, lui, suspect.

Après réalisation du bilan préopératoire, la patiente est adressée en chirurgie pour exérèse de la tumeur. Macroscopiquement, la masse est polylobée, volumineuse, mesurant 6x6x1cm, de consistance gélatineuse (photo). Elle est insérée selon une base relativement large sur le septum inter-auriculaire. L’appareil valvulaire mitral est intègre. L’étude histologique confirme le diagnostic de myxome cardiaque, sans lésion suspecte de malignité.

Les suites postopératoires sont simples, malgré la persistance de cavités droites dilatées et d’une HTAP, qui régressera progressivement.

cas clinique 3

Photo : Pièce anatomique per-opératoire : masse polylobée, de 6x6x1cm, d’aspect gélatineux myxoïde avec remaniements nécrotico-hémorragiques 

CE QU'IL FAUT SAVOIR

Les tumeurs cardiaques primaires sont extrêmement rares. Dans la plupart des séries autopsiques, leur incidence est d’environ 0,1% et elles sont 20 fois moins fréquentes que les tumeurs secondaires métastasant au coeur. Les 3/4 des tumeurs cardiaques primitives sont bénignes et sont représentées par le myxome dans près de 50% des cas. Devant une masse cardiaque anormale, une fois le diagnostic de thrombus ou de végétation écarté, la nature de la tumeur peut, en général, être déterminée sur le contexte épidémiologique et clinique, sur les informations fournies par l’imagerie et confirmées par l’anatomopathologie, notamment en cas de décision opératoire.

Les myxomes 

– Se présentent sous la forme de masses intracavitaires de quelques centimètres de diamètre, bien circonscrites, de consistance gélatineuse et friable.

– Se forment dans 75% des cas dans l’oreillette gauche, habituellement reliées au septum interauriculaire, dans la région de la fosse ovale par un pédicule étroit. Environ 15 à 20 % des myxomes surviennent dans l’oreillette droite et environ 2 % dans l’un ou l’autre des ventricules.

– Sont diagnostiqués vers un âge moyen de 50 ans et deux tiers des patients sont des femmes.

– Sont mis en évidence à l’échocardiographie. Celle-ci précise la localisation, la taille, la forme, le lieu d’insertion et la m

obilité du myxome ainsi que ses conséquences hémodynamiques. On distingue la forme typique du myxome mobile prolabant et la forme inhabituelle non prolabante de diagnostic plus difficile. En scanner, le myxome apparaît comme une tumeur hypodense, contenant rarement des calcifications (sur les coupes sans injection de contraste). Dans la plupart des cas, le myxome est parfaitement visualisé en IRM. Il est habituellement de signal moyen en écho de spin (iso-signal en cas de pondération T1 par rapport au myocarde), en hypersignal en pondération T2, inhomogène avec des bordures lobulées. Sa taille peut être mesurée et son implantation précisée.

Les métastases cardiaques et péricardiques 

– Ont une incidence qui varie de 1,5 à 20 % des patients cancéreux selon les études.

– Constituent une manifestation habituellement tardive du processus néoplasique et s’accompagnent généralement de localisations multiples secondaires extracardiaques. On distingue trois types de cancer : les cancers rares, mais à très fort potentiel métastatique cardiaque tels que les mélanomes (donnant des métastases cardiaques dans 64% des cas), les tumeurs germinales ou les thymomes ; les cancers à potentiel métastatique cardiaque modéré dans l’absolu, mais représentant néanmoins un nombre relatif important de ces métastases, en raison de leur incidence très élevée (poumon, sein, utérus) ; enfin les cancers fréquents mais à potentiel métastatique cardiaque quasi inexistant (prostate, thyroïde, système nerveux central, vessie, foie, colon). L’envahissement peut se faire par une des 4 voies : 1) extension lymphatique rétrograde, 2) diffusion hématogène, 3) extension par contiguïté de voisinage et 4) extension par le drainage de retour veineux.

-ont une présentation clinique le plus souvent silencieuse. La symptomatologie dépend de son étendue et de sa localisation. La localisation des métastases est péricardique dans 20 % des cas, épicardique dans 30% des cas, myocardique dans près de 40% des cas et endocardique dans seulement moins de 6% des cas.

-sont suspectés en échocardiographie lorsque les trois tuniques apparaissent généralement envahies. L’épanchement péricardique est presque constant, contenant parfois une ou plusieurs masses intrapéricardiques. La paroi cavitaire peut être infiltrée, mais le granité tumoral induit peut être difficile à affirmer. L’extension cavitaire peut être une tumeur fixe, ou plus rarement mobile, pouvant alors simuler un myxome. Les localisations intracavitaires droites sont favorisées par une basse pression, un flux sanguin ralenti et une moindre force contractile, ce qui explique la rareté des implantations au niveau du coeur gauche et de l’appareil valvulaire. Dans l’oreillette gauche, il n’est pas rare d’observer une extension d’un cancer bronchique sous la forme d’une tumeur cavitaire avec parfois refoulement extrinsèque de la paroi de l’oreillette. On recherchera éventuellement par ETO un cordon tumoral dans une veine pulmonaire qui peut entraîner une accélération du flux veineux pulmonaire en doppler. Le scanner et/ou l’IRM permettent une bonne analyse de l’infiltration

cardiaque, de l’atteinte péricardique, et mettent en évidence les autres lésions tumorales contiguës ou à distance.

CE QU'IL FAUT REVENIR

La plupart des tumeurs cardiaques sont des tumeurs malignes secondaires.

Les myxomes sont les plus fréquentes des tumeurs primitives du coeur et se localisent préférentiellement dans l’oreillette gauche.

Le mélanome a un fort potentiel métastatique cardiaque.

Devant une tumeur cardiaque, l’échocardiographie apporte une solution diagnostique dans la plupart des cas. Toutefois chez certains patients le bilan devra être complété par un TDM ou une IRL et éventuellement un PET-scanner en cas de néoplasie connue.