Une chose est sûre : les médecins n’aiment pas reconnaître qu’il y a des choses qu’ils ignorent. Et pourtant, c’est évidemment le cas dans beaucoup de domaines. Particulièrement pour ce qui concerne l’influence du mode de vie sur la santé. Mais cela ne les empêche pas de prodiguer force conseils sur la meilleure manière de vivre pour nous conserver en parfaite forme !
Ainsi, nous voyons fleurir les recommandations pour manger de telle ou telle façon, et notamment pour abandonner la viande rouge. Tout récemment, une publication “saignante” a fait réagir les médias grand public. Dena Zeraatkar, de l’université Mc Master au Canada, et ses collègues ont passé en revue l’ensemble des données des études randomisées évaluant l’impact de la consommation de viande rouge. Dans cette méta-analyse, 12 essais randomisés ont comparé des régimes riches ou pauvres en viande rouge ou charcuterie. Les auteurs ont déterminé à l’avance les événements qu’ils allaient étudier, pour éviter tout choix a posteriori, qui aurait pu être fait en fonction des résultats observés. L’étude la plus importante est la Women’s Health Initiative (WHI), incluant plus de 40 000 femmes au-delà de la ménopause, la plupart en surpoids ou obèses. Par essence, tous les essais étaient ouverts ; la différence effective de quantité de viande rouge consommée varie entre les deux groupes de 1,4 à 4,2 portions par semaine selon les études. La plupart des études ont été de courte durée (quelques mois à quelques années), à l’exception de la WHI (6-12 ans de suivi). Les données de mortalité proviennent de la WHI qui comparait en réalité un régime pauvre en graisses saturées au régime habituel (et par voie de conséquence une réduction de l’apport en viande rouge) ; il n’y a pas d’impact sur la mortalité (HR 0,99, IC 95 % 0,95-1,03), ni sur la mortalité cardiovasculaire (HR 0,98, IC 95 % 0,91-1,06) ; ni le risque d’infarctus non fatal (HR 1,05, IC 95 % 0,96-1,16), ni celui d’AVC non fatal (HR 1,03, IC 95 % 0,90-1,17) ne sont diminués. Il n’y a pas non plus de lien avec la survenue d’un diabète. L’impact sur les paramètres biologiques semble également négligeable : pas d’effet sur le LDL, légère augmentation du HDL (+ 0,077 g/l), pas d’effet sur la pression artérielle, ce qui confirme les résultats d’une méta-analyse publiée dans Circulation en 2018.
Le premier enseignement à tirer de ces travaux est la faiblesse méthodologique des études randomisées en nutrition : pour la Commission de Transparence le service médical rendu d’un régime pauvre en viande rouge serait à l’évidence insuffisant et les autorités françaises refuseraient de le rembourser !
Le second devrait être une leçon de modestie pour les médecins : nous savons si peu de choses en matière de nutrition que nous devrions nous garder de faire des recommandations à tout bout de champ, a fortiori des recommandations “répressives”. En la matière, le bon sens devrait prévaloir : mangeons sans excès, diversifions notre alimentation et faisons attention à ne pas glisser sur une peau de banane, c’est probablement encore le meilleur moyen de limiter les risques pour notre santé !