L’ÉDITO DE NICOLAS DANCHIN – N°36

Gâtés, pourris… et autres considérations

Décidément, l’actualité est bien particulière et 2020 n’aura pas été une année rose. Cela me conduit à m’écarter un peu de la cardiologie pour aller vers d’autres considérations, plus générales.

L’épidémie COVID-19 montre à quel point beaucoup de français ont des réactions d’enfants gâtés. Une épidémie d’un virus jusque-là inconnu, quelque part, c’est un coup du sort, une fatalité. Personne n’est vraiment responsable de l’arrivée de ce virus, et en tout cas pas les autorités françaises. Face à une telle menace, il y a deux solutions, soit faire individuellement le maximum pour se protéger et protéger les siens, soit attendre que quelqu’un (le gouvernement ?) le fasse pour nous, en râlant et en poussant des cris d’orfraie si les choses ne vont pas aussi bien que ce que l’on aurait souhaité. Malheureusement, les français ont choisi la deuxième solution : râler, ce qu’ils savent si bien faire. Les chiffres montent : c’est la faute du gouvernement ! Jamais ils ne s’interrogent sur leur propre responsabilité : ont-ils fait eux-mêmes, volontairement, un effort quelconque pour ralentir la propagation du virus ? Non, ils ont préféré poursuivre leurs habitudes avec le moins de changements possibles : il suffit de regarder les terrasses de cafés bondées, dans les semaines qui ont précédé le reconfinement. J’ai été particulièrement impressionné de voir sur les plateaux de télé, à la fin de la première vague, un médecin généraliste lui-même atteint de la maladie, qui protestait vigoureusement contre le gouvernement qui ne lui avait pas fourni les masques nécessaires dans le cadre de son travail ; il ne s’agissait pas d’un médecin salarié, mais bien d’un médecin libéral, qui accusait d’imprévoyance le gouvernement, plutôt que lui-même. Certes, le SARS-COV-2 est un virus nouveau, mais la grippe et toutes les maladies à contagion respiratoire ne datent pas d’hier : comment se fait-il qu’un médecin ne dispose pas d’une réserve suffisante de masques pour de telles circonstances. C’est comme si ce médecin accusait le gouvernement de ne pas lui avoir fourni son stéthoscope ou ses blouses… C’est si facile de ne pas se remettre en cause !

Français râleurs, médecins avides de notoriété médiatique, journalistes complaisants et racoleurs, c’est un des autres enseignements de cette crise. Que les journalistes fassent appel à des spécialistes, c’est bien normal. Mais qu’ils les choisissent convenablement, en fonction de leur réel domaine de compétence et pas uniquement en fonction de leur bagout ou parce que c’est le premier nom qu’ils trouvent sur leur carnet d’adresses : quelle est la légitimité d’un néphrologue, certes intelligent et beau parleur, sur les plateaux de télé pratiquement un jour sur deux, pour nous instruire sur une pathologie infectieuse ou en épidémiologie ? Ce sont uniquement les virologues et les « vrais » épidémiologistes qu’on aurait dû entendre, car ils avaient sans doute quelque chose à nous apprendre ; et ceux-là ont d’ailleurs souvent eu l’humilité de reconnaître qu’ils étaient encore très ignorants sur cette épidémie. Avec aussi quelques témoignages d’aides-soignantes, infirmières, généralistes, urgentistes, réanimateurs ou administratifs pour expliquer comment ils avaient adapté leur organisation aux circonstances exceptionnelles que nous vivons. Tout le reste n’est que poudre aux yeux et fausse information.

Pour ramener tout cela à notre pratique, c’est une de nos missions de faire comprendre à nos patients qu’ils doivent être des acteurs de la prise en charge de leur maladie et pas seulement des avaleurs passifs de pilules ou des receveurs émerveillés de stents ou autres prothèses : c’est tout le sens du temps passé à expliquer aux malades l’origine de leur maladie et les pratiques qu’ils doivent acquérir pour en infléchir l’évolution. C’est aussi un de nos devoirs de savoir résister à l’attrait des micros et caméras, dès lors qu’il y a plus compétent que nous pour informer le public : quand un journaliste veut m’interroger sur l’insuffisance cardiaque, je le renvoie systématiquement et généralement à son grand étonnement, sur des collègues dont c’est la spécialité. Quand nous ne savons pas vraiment, taisons-nous !

 

Nicolas Danchin

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