“Demasiado Corazon” El Rey de la Ruina. 2017. Madrid
Qu’il le sache ou non, chaque Madrilène a vu au moins une fois une fresque murale d’El Rey de la Ruina, qui a peint, en de multiples exemplaires tous différents, des cœurs dans les rues de Madrid. Il est un des représentants espagnols les plus connus des artistes du « street art », mode d’expression apparu au début des années 80 et devenu un phénomène culturel international.
“Demasiado Corazon” El Rey de la Ruina. 2017. Madrid Pascal Guéret, Suresnes pascalgueret46@gmail.com heART A quoi servent les œuvres d’art si personne ou presque ne les regarde ? Avant l’apparition des musées et des galeries, l’art a longtemps servi les riches et les puissants, parfois commanditaires, qui l’ôtaient de la vie quotidienne et l’éloignaient des yeux du plus grand nombre.
Par opposition, le « street art » ou art urbain se veut accessible à tous. C’est sa raison d’être, destiné à être vu par des personnes de tous âges et toutes couches sociales, avec ou sans intérêt pour l’art. Il est le prolongement des graffiti, qui ont représenté initialement de simples lettres (« letter writing ») dessinées avec de la peinture en aérosol puis sont devenus plus artistiques et colorés. Le passage au « street art » repose sur des lettres et des visuels mais utilise aussi d’autres matériaux (peinture, autocollants, affiches …) Les œuvres sont créées dans les espaces publics, souvent sans autorisation, sur les murs, sur des cabines téléphoniques, sur des camions avec ou sans l’accord du propriétaire, sur des wagons…Tout est, sinon autorisé, du moins pratiqué, les seules limites étant l’imagination et l’audace des artistes.
Les fresques (« murales ») sont devenues les formes les plus élaborées de l’art urbain dont les artistes ont repris en la développant et la sublimant l’esthétique des étapes précédentes mais sans l’aspect « délinquant ». Devenues une façon d’embellir les centres villes et faisant souvent l’objet de commandes rémunérées par des municipalités, ce ne sont plus des créations délictuelles. Elles couvrent les murs de très nombreuses villes sur tous les continents. Les artistes, autodidactes ou diplômés des écoles d’art, doués voire géniaux ou sans talent, opportunistes ou mercantiles, inconnus ou célèbres, sont pour beaucoup dans une situation de compétition, favorisée par le relai universel qu’offre Internet. Ces fresques ont un impact indéniable sur tous les types de publics. Des visites sont organisées dans les villes les plus dotées et des festivals muralistes ont lieu à travers le monde.
El Rey de la Ruina est un artiste espagnol qui peint dans la rue depuis 2000. Ancien élève des Beaux-arts, il définit son travail comme « pop-punk », pour son style pictural populaire et pour ses messages qui incitent à la réflexion et au questionnement de l’ordre établi. Le choix de son pseudonyme tient à son goût affirmé dès son plus jeune âge pour les lieux en ruine, abandonnés, même au cœur des villes. Parmi les différents thèmes abordés dans son œuvre, le cœur occupe une place particulière car il souffre d’une cardiomyopathie, référence à son histoire personnelle, comme cela est très souvent le cas dans l’art contemporain lorsqu’un artiste traite du sujet du cœur.
De multiples exemplaires sont visibles dans les rues de Madrid. Le cœur occupe tout l’espace sur lequel il est peint. La forme générale la plus souvent adoptée sur les différents exemplaires visibles dans la ville reprend le logo habituel du cœur. Les contours, de couleur rouge, sont complétés par la représentation des gros vaisseaux. Des phrases ou slogans, du même rouge, figurent sur un fond clair afin de mieux les faire ressortir : « Au cœur de la ville », « La terre promise, mais pour qui ? » et sur celui présenté ici, «Demasiado Corazon» (Trop de cœur). Souvent, un graffiti précise la date de création (ici 2017). De petites photographies et d’autres graffiti dont la signification échappe sont parfois ajoutés, contributions de badauds ou d’artistes de passage qui participent à ce journal public, à ce bloc-notes commun. « Le street art est plus qu’un mouvement artistique ou une période. C’est une façon différente d’aborder le monde. » (Rey de la Ruina).
Pascal Guéret, Suresnes
CORDIAM N°43 DÉCEMBRE 2021