Mitraclip : utile pour qui et dans quelles circonstances ?

L’insuffisance mitrale est la seconde valvulopathie la plus fréquente en Europe. Il faut différencier d’une part l’insuffisance mitrale primaire, engendrée par l’atteinte organique de l’appareil valvulaire ou sous-valvulaire mitral (anneau, valve, cordages, muscles papillaires) et dont l’étiologie principale en Europe est dégénérative (plus de 60 % des cas) avec deux principales formes dans les pays occidentaux : la maladie de Barlow (valves épaissies et élongation des cordages pouvant se compliquer de rupture) et la dégénérescence fibroélastique du sujet âgé. D’autre part, l’insuffisance mitrale secondaire, dite fonctionnelle, consécutive à une dysfonction ventriculaire gauche d’origine ischémique le plus souvent, induisant un remodelage avec traction de l’appareil sous valvulaire sur une valve anatomiquement saine. Le TEER (transcathéter edge-to-edge repair = réparation transcathéter bord-à-bord) est une technique percutanée de capture des bords libres des feuillets mitraux à l’aide de clips repositionnables. Elle constitue une alternative innovante dans la prise en charge de cette pathologie.

 

Histoire

En 1991, le Pr. Ottavio ALFIERI propose une technique chirurgicale de correction des fuites mitrales basée sur la simple suture centrale des feuillets mitraux antérieurs et postérieurs. De l’autre côté de l’Atlantique, son homologue américain, le Dr. Mehmet OZ, convertit cette idée en imaginant une technique percutanée permettant d’aller déposer une agrafe afin de rapprocher les deux feuillets mitraux. Il dépose le premier brevet en 1997 et crée la start-up EVALVE : le MITRACLIP est né. Elle sera rachetée définitivement par l’entreprise ABBOTT en 2009. Le premier MITRACLIP fut implanté en 2003, l’obtention du marquage CE en Europe a été obtenu en 2008 et l’approbation par la FDA en 2013.

Plus récemment l’entreprise EDWARDS est venue concurrencer le MITRACLIP avec son propre TEER, le PASCAL, dont l’AMM a été obtenue en France en 2019 pour les insuffisances mitrales dégénératives.

 

Dispositif et procédure

Après une ponction veineuse fémorale, le cathéter progresse jusqu’à l’oreillette droite pour aboutir dans l’oreillette gauche par ponction transseptale. Après ajustement ETO les deux feuillets mitraux sont saisis et une fois le positionnement jugé satisfaisant par l’équipe opératrice, le clip est largué de manière définitive, permettant de corriger la fuite mitrale en fixant les feuillets antérieurs et postérieurs bord à bord. Cette procédure est précédée d’une discussion multidisciplinaire systématique (cardiologue non interventionnel, cardiologue interventionnel, chirurgien cardiaque, anesthésiste) et requiert la réalisation préalable d’une ETO pour évaluer la probabilité de succès de la procédure qui dépend grandement de la longueur du feuillet postérieur.

Il s’agit d’un acte programmé non réalisable en urgence, dont la compétence relève d’un centre médicochirurgical. L’équipe est composée en règle générale d’un cardiologue interventionnel, d’un chirurgien, d’un échocardiographiste et d’un anesthésiste. La durée totale de la procédure est évaluée entre 60 et 120 minutes.

Réalisée sous anesthésie générale, à cœur battant, le patient est extubé en fin de procédure puis surveillé pendant 24h. La durée moyenne du séjour hospitalier est de 3 jours. Les séries rapportent une moyenne de 1,6 clips implantés par patient, le maximum étant de 7 clips. Une moyenne de 2 à 3 clips par patient semble le standard actuel.

Les études

Des premières études randomisées…

EVEREST est le premier programme d’étude contrôlée randomisée concernant le MITRACLIP. Il montre la faisabilité du dispositif avec un taux de complications acceptable chez des patients éligibles à la chirurgie ayant une insuffisance mitrale primaire ou secondaire.

 

L’étude EVEREST II (N = 279 patients) publiée en 2011 comparant le MITRACLIP (N = 184) à la chirurgie (N = 95) chez des patients porteurs d’insuffisance mitrale primaire ou secondaire modérée à sévère éligibles à la chirurgie montre que la procédure percutanée est associée à une sécurité supérieure (Effets indésirables majeurs à 30 jours : 15 % dans le groupe percutané versus 48 % dans le groupe chirurgie, p < 0,001) et une amélioration clinique similaire malgré une moins bonne réduction de la régurgitation mitrale comparée à la chirurgie (critère de jugement principal composite d’efficacité à 12 mois réunissant survie globale, survie sans chirurgie mitrale et sans fuite résiduelle de grade modéré à sévère : 55 % dans le groupe percutané versus 73 % dans le groupe chirurgie, p = 0,007). Le moins bon résultat du clip était essentiellement dû à un taux plus élevé de recours à la chirurgie (20 % versus 2 % dans le groupe chirurgie).

 

En 2018, un véritable pas en avant est établi en ce qui concerne l’intérêt de la technique chez les patients porteurs d’insuffisance mitrale secondaire avec la présentation des résultats des études COAPT et MITRA FR.

 

En effet, COAPT montrait chez plus de 600 patients insuffisants cardiaques avec une insuffisance mitrale sévère fonctionnelle, que le MITRACLIP associé au traitement médical optimal (N = 302) comparé au traitement médical optimal seul (N = 312) aboutissait à une diminution des hospitalisations pour insuffisance cardiaque de 47 % (35,8 % dans le groupe interventionnel versus 67,9 % dans le groupe contrôle, HR 0,53, p < 0,001) et de la mortalité à 2 ans de 38 % (29,1 % de décès dans le groupe interventionnel versus 46,1 % dans le groupe contrôle, HR 0,62, p < 0,001).

 

Ces résultats encourageants étaient clairement différents des résultats négatifs de MITRA FR présenté un mois plus tôt au congrès de l’ESC 2018, où on ne retrouvait pas de différence significative en terme de décès et d’hospitalisation entre les deux groupes de patients traités par traitement médical optimal seul (N = 152) ou associé au MITRACLIP (N = 152). Cette discordance était probablement due à une différence importante des populations des deux études avec des patients porteurs d’insuffisances mitrales plus sévères (SOR effective de 41 ± 15 mm2 versus 31 ± 10 mm2) avec une dilatation VG moindre (volume moyen VG indexé télé diastolique de 101 ± 34 mL / m2 vs 135 ± 35 mL/ m2) dans COAPT.

 

Aux résultats actuels…

L’étude « 5 years result of EVEREST II » publiée en 2015 montre la durabilité de la technique percutanée avec une absence de différence significative sur la survie au long cours entre le groupe MITRACLIP et chirurgie, l’absence d’altération de la FEVG une réduction persistante des symptômes et des dimensions VG à 5 ans dans les deux groupes. En 2023, COAPT PAS, une étude observationnelle en vie réelle à 1 an de 5 000 patients traités par MITRACLIP pour insuffisance mitrale secondaire confirme les résultats favorables de l’étude randomisée initiale chez des patients plus graves et moins bien optimisés que dans l’étude randomisée. Cette étude vient renforcer le bénéfice du TEER dans l’insuffisance mitrale secondaire et montre la possibilité d’étendre le traitement à un plus large éventail de patients sans perdre en efficacité.

 

Plus récemment l’étude « Mitral transcatheter edge-toedge repair vs. isolated mitral surgery for severe mitral regurgitation : a French nationwide study” » publie à la fin de l’été 2023 la plus large analyse comparant le TEER à la chirurgie valvulaire mitrale isolée chez une cohorte de patients porteurs d’insuffisance mitrale sévère à l’échelle nationale en France. Les résultats confirment le succès du MITRACLIP avec une mortalité cardiovasculaire plus faible dans le groupe TEER jusqu’à 2,5 ans de suivi, un taux plus faible d’implantation de pacemaker et d’AVC. Il n’existe pas de différence significative en termes de décès toute cause, d’endocardite infectieuse, de saignement majeur, de passage en FA et d’infarctus du myocarde. Les décès non cardiovasculaires étaient significativement plus fréquents dans le groupe TEER certainement lié à la fragilité accrue et aux comorbidités plus fréquentes dans cette population.

 

Indications (ESC guidelines 2021)

Insuffisance mitrale primaire :

Dans l’insuffisance mitrale primaire, les dernières recommandations de l’ESC confirment que le traitement chirurgical constitue la référence en l’absence de contreindication ou de haut risque chirurgical chez les patients symptomatiques (classe I, niveau B).

L’implantation d’un clip par voie transcutanée représente une alternative chez les patients contre indiqués à la chirurgie ou à haut risque opératoire (classe IIB, niveau B).

Insuffisance mitrale secondaire :

Dans l’insuffisance mitrale secondaire, il est recommandé de faire appel à une Heart Team incluant un spécialiste de l’insuffisance cardiaque pour optimiser le traitement médical et considérer l’indication Soins de support d’une resynchronisation ainsi que d’une intervention percutanée ou chirurgicale (classe I, niveau B).

Les preuves rapportant un bénéfice d’une intervention chirurgicale dans cette indication restent limitées, une chirurgie mitrale isolée dans cette situation aboutissant à un risque procédural significatif, avec haut taux de régurgitation récurrente et une absence de bénéfice sur la survie dans la plupart des séries. En effet, en traitant l’insuffisance mitrale on ne propose pas un traitement étiologique mais un traitement symptomatique ce qui 18 la différencie de l’insuffisance mitrale primaire.

La chirurgie reste recommandée chez les patients avec une insuffisance mitrale sévère secondaire non contre-indiqués à la chirurgie relevant d’un pontage aorto-coronarien ou d’une autre intervention cardiaque simultanée (classe I, niveau B).

Le MITRACLIP se place comme une option prometteuse pour les patients porteurs d’une insuffisance mitrale secondaire de grade modéré à sévère symptomatique malgré une prise en charge médicale optimale, non éligible à la chirurgie, remplissant les critères suggérant un succès de l’intervention (hospitalisation dans l’année pour décompensation cardiaque, FEVG comprise entre 20 et 50 %, SOR > 0,3 cm2 et VTDVG < 96 mL / m2, espérance de vie > 1 an). (classe IIA, niveau C en cas d’intervention associée (PCI/TAVI). Classe IIA, niveau B en l’absence d’intervention associée).

Dans certains cas sélectionnés de patients ne remplissant pas les critères suggérant un bénéfice du MITRACLIP, les recommandations sont plus réservées, la décision devant être précisément évalué en Heart Team au préalable dans le but d’améliorer les symptômes et la qualité de vie du patient (classe IIB, niveau C).

Conclusion

Les conclusions des recommandations de pratique clinique européennes sont formelles sur l’intérêt du TEER pour la prise en charge de patients à haut risque chirurgical ou contre- indiqués à la chirurgie ayant une insuffisance mitrale primaire symptomatique et une espérance de vie raisonnable. Il faut particulièrement insister sur la nécessité de bien sélectionner les patients en analysant précisément l’anatomie de la valve mitrale qui doit être compatible avec la pose du dispositif.

Dans l’insuffisance mitrale secondaire également, la réparation mitrale bord à bord fait dorénavant partie de l’arsenal thérapeutique à proposer aux patients traités de façon optimale, symptomatiques, porteurs d’une insuffisance mitrale sévère.

Le recul disponible concernant cette technologie récente est encore limité et les prochaines études en cours tenteront d’apporter des preuves supplémentaires sur la non-infériorité du MITRACLIP dans les insuffisances mitrales primaires des patients à haut risque chirurgical (MITRA-HR), ainsi que d’évaluer la non-infériorité pour les patients à risque chirurgical modéré (REPAIRMR). Enfin, le développement parallèle de prothèses percutanées en position mitrale constitue également une solution d’avenir pour les patients non éligibles au TEER.

Ferdinando Sabatino, Jérémy Boyer, Thomas Cuisset, Pierre Deharo Unité structurelle, CHU la Timone, Marseille

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