L’administration pré-hospitalière de ticagrelor n’augmente pas la perméabilité artérielle avant angioplastie primaire mais réduit le risque de thrombose précoce

ATLANTIC : Administration of Ticagrelor in the Cath Lab or in the Ambulance for New ST Elevation Myocardial Infarction to Open the Coronary Artery

 

Contexte et hypothèse

Le ticagrelor administré à l’hôpital réduit les complications cardiovasculaires dans l’infarctus. Les patients avec infarctus (STEMI) dont l’artère coupable est ouverte avant l’angioplastie ont un meilleur pronostic. L’hypothèse testée est que le ticagrelor administré en pré-hospitalier augmenterait la perméabilité artérielle avant angioplastie et accélèrerait la résolution du sus-décalage du segment ST avant l’angioplastie.

 

Critères d’inclusion

Patients avec une durée de symptômes comprise entre 30 minutes et 6 heures, et diagnostic de STEMI dans l’ambulance.

Délai attendu entre l’ECG qualifiant et la première inflation du ballon lors de l’angioplastie < 120 minutes.

 

Plan d’étude

Randomisation en double aveugle, entre une dose de charge de 180 mg de ticagrelor administrée en pré-hospitalier et une dose de charge de 180 mg administrée en salle de cathétérisme.

Par la suite, traitement par ticagrelor 90 mg deux fois par jour pendant une durée de 30 jours, avec durée de traitement recommandée de 12 mois.

 

Critères de jugement

Critère principal double :
• Proportion de patients avec résolution de 70% ou plus du sus-décalage de ST avant angioplastie
• Proportion de patients avec un flux TIMI < 3 lors de la coronarographie précédant l’angioplastie

Critères secondaires :
• Critère composite : décès, infarctus du myocarde, thrombose de stent, accident vasculaire cérébral, revascularisation en urgence, à 30 jours
• thrombose de stent certaine à 30 jours
• Utilisation des anti-GP II b-III a en bail-out pour thrombose
• Résolution de 70% ou plus du sus-décalage de ST 60 minutes après angioplastie

Critères de sécurité à 48 heures et 30 jours :
• Saignement majeur
• Saignement mettant en jeu le pronostic vital
• Saignement mineur

 

Population

Recrutement de 1862 patients dans 13 pays et 112 centres entre septembre 2011 et octobre 2013.

L'étude ATLANTIC (ESC 2014)

 

Résultats

Différence de délai d’administration entre les deux groupes :
31 minutes

Critère de jugement principal :
• Absence de résolution du sus-décalage ≥ 70% : OR 0,93 (0,69-1,25), P=0,63
• Flux TIMI < 3 : OR 0,97 (0,75-1,25), P=0,82

Critères secondaires :
• Absence de résolution du sus-décalage ≥ 70% une heure après angioplastie : 17,8% vs 19,6%, P=0,34
• Thrombose de stent certaine à J 30 : 0,2% vs 1,2%, P=0,02
• Critère composite clinique (décès, infarctus, AVC, thrombose de stent, revascularisation en urgence : 4,5% vs 4,4%, P=0,91

Mortalité totale :
3,3%vs 2,0%, P=0,08

Analyses de sous-groupes :
Résultats comparables dans les différents sous-groupes, avec deux exceptions, différentes en fonction du co-critère principal :
• Absence de résolution du sus-décalage : effet “positif” du pré-traitement chez les patients n’ayant pas reçu de  morphine ; test d’interaction, P=0.005 (aucune interaction pour le critère flux TIMI ; test d’interaction, P=0.53)
• Absence de flux TIMI 3 : effet “négatif” du pré-traitement chez les patients en classe Killip II et plus (tendance similaire pour le critère résolution du sus-décalage, test d’interaction P=0.10)

Événements indésirables et tolérance :
• Les événements hémorragiques (quelle que soit la définition utilisée) sont peu fréquents et ne diffèrent pas significativement entre les patients ayant reçu le traitement en pré-hospitalier et ceux ayant été traités en salle de cathétérisme.
• Saignements majeurs des 48 premières heures (définition PLATO) : 1,8% vs 1,6%…

 

Conclusion

Le prétraitement par ticagrelor n’améliore pas la perméabilité artérielle avant l’angioplastie et ne permet pas d’obtenir une meilleure résolution du sus-décalage du segment ST, par rapport au traitement administré en salle de cathétérisme. Il réduit les thromboses de stent certaines (critère secondaire préspécifié) et n’augmente pas le risque hémorragique.

Nicolas Danchin

 

RÉACTION

ATLANTIC l’étude négative qui rassure tout le monde…

L’étude ATLANTIC présente un paradoxe inhabituel : sur le plan scientifique, l’étude est indéniablement négative, puisque l’hypothèse fondant l’essai clinique n’est pas vérifiée. Pourtant, à la lecture des résultats, elle apparaît plutôt favorable pour la stratégie pré-hospitalière d’utilisation du ticagrelor : cela s’explique sans doute en partie par la très faible différence de délai d’administration du traitement entre les deux bras (une demi-heure !). Il faut également se féliciter du délai court, pour ne pas dire impressionnant, entre le premier contact médical et la reperfusion (1h).

L’administration du ticagrelor avant l’arrivée à l’hôpital n’a, dans ces conditions optimum, pas amélioré la perméabilité avant le geste d’angioplastie, mais il n’y a aucun inconvénient (en particulier en termes de risque hémorragique) à adopter une telle stratégie, qui s’accompagne même d’une réduction du risque de thrombose de stent précoce (même si d’un point de vue méthodologique strict, il est difficile d’interpréter la significativité statistique des critères secondaires, dès lors que le critère principal ne sort pas). En somme, ces données confortent l’attitude dictée par le bon sens : il est important que le geste d’angioplastie soit encadré le mieux possible par une anti-agrégation plaquettaire efficace, le plus rapidement possible, pour éviter notamment les récidives thrombotiques dans les heures qui suivent le geste et ce d’autant plus que dans les données de registre les délais sont sensiblement plus longs. On pourrait reprocher dans cet essai aux équipes SMUR qui ont inclus un nombre important de patients d’avoir été trop rapides : des délais sensiblement plus longs aurait fait d’ATALANTIC un succès total… mais on ne va pas le faire !

Une réserve importante, néanmoins, concernant l’interprétation que certains font de l’analyse de sous-groupes en fonction du traitement par morphine. L’idée, soutenue par des travaux préalables, est que la morphine ralentisse l’absorption des antiagrégants administrés oralement ; si tel était réellement le cas dans l’étude ATLANTIC, on s’attendrait à constater un effet homogène sur les deux critères primaires, ce qui n’est pas le cas : il n’y a aucune interaction avec le flux TIMI initial, alors qu’une interaction statistique existe avec la résolution du sus-décalage de ST. De même, on comprend mal pourquoi, chez les patients ayant reçu de la morphine, les résultats sur la résolution du sus-décalage seraient moins bons avec l’administration du ticagrelor dans l’ambulance qu’avec le même traitement administré une demi-heure plus tard : on comprendrait qu’il ne fasse pas mieux, mais il est inexplicable qu’il fasse pire (odds ratio à 1,49 dans ce sous-groupe !).

Bref, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : la morphine est utile chez les patients dont la douleur est importante, et elle a chez eux des effets hémodynamiques plutôt bénéfiques. En attendant les résultats d’études spécifiques en cours pilotées par les sociétés scientifiques nationales de médecins d’urgence et de cardiologie, les données d’ATLANTIC ne doivent pas remettre en cause les recommandations actuellement en vigueur à ce sujet.

Patrick GOLDSTEIN
SAMU-Lille

Article paru dans le CORDIAM N°1 (Octobre 2014)
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