L’aptitude de la cyclosporine pour limiter les conséquences de la reperfusion à la phase aiguë de l’IDM n’a pas pu être démontrée.
CIRCUS : Cyclosporine to ImpRoveClinical oUtcome in ST-elevation myocardial infarction patients.
Contexte et hypothèse
La revascularisation précoce en phase aiguë est le facteur essentiel de l’amélioration du pronostic de l’infarctus du myocarde. Toutefois, la reperfusion a elle-même des effets délétères qui pourraient expliquer à eux seuls plus de 40% de la taille finale de l’IDM. Un des mécanismes physiopathologiques invoqué est l’ouverture massive de certains canaux potassiques (mitochondrial Permeability Transition Pores ou PTP) qui aboutit à un blocage de la chaine respiratoire avec déplétion en ATP et libération de facteurs pro-apoptotiques. Des travaux expérimentaux ont montré que la cyclosporine est un important inhibiteur de ces canaux potassiques et, qu’administrée immédiatement avant la reperfusion, elle réduit de façon significative la taille ultérieure de l’IDM.Les résultats d’un essai clinique monocentrique de petite taille avaient semblé le confirmer. L’étude multicentrique CIRCUS avait pour objectif de démontrer formellement l’intérêt de la cyclosporine pour réduire les effets délétères de la reperfusion à la phase aiguë de l’IDM.
Méthodologie
Dans cette étude randomisée en double aveugle, des patients victimes d’un IDM antérieur étendu de moins de 12 heures, avec obstruction de l’artère responsable (TIMI 0 ou 1), recevaient en IV, immédiatement avant reperfusion par angioplastie percutanée, 2,5 mg/kg de cyclosporine ou un placebo. Le critère composite principal d’évaluation associait au terme d’un an de suivi : décès de toute cause, aggravation d’insuffisance cardiaque en cours d’hospitalisation, ré-hospitalisation pour insuffisance cardiaque ou remodelage excessif (défini comme une augmentation ≥ 15% du volume télédiastolique VG entre les échographies initiales et de contrôle à un an).
Population
Le profil des patients correspondait à un âge moyen de 60 ans avec plus de 80% du sexe masculin et un index de masse corporelle moyen voisin de 27. La plupart étaient en Killip 1. Il y avait significativement moins de fumeurs et plus de tritronculaires dans le groupe cyclosporine. En dehors des fumeurs les 2 groupes ne différaient pas sur d’autres caractéristiques susceptibles d’influencer la thrombogénèse et la reperfusion comme les taux de diabétiques ou les traitements anti-thrombotiques. Très peu avaient des antécédents d’IDM (<6%) ou d’antécédent de cardiopathie ischémique (6,5%) moins de 1% avaient des antécédents d’insuffisance cardiaque.
Résultats
Sur la base des patients ayant reçu le traitement assigné et ayant pu être évalués correctement pour le critère principal, ce dernier a été observé chez 233/396(59,0%) sous cyclosporine et230/395 (58,1%) sous placebo, soit un odds ratio de 1,04 avec ic à 95% entre 0,78 et 1,39 ; p = 0,77. Aucune différence significative n’a non plus été observée sur chacune des composantes du critère principal composite, ni pour d’autres critères d’évaluation comme récidive d’IDM, angor instable ou AVC.Aucune différence n’a été trouvée en analyse de sous-groupes, mais il y avait une interaction avec la classe Killip à l’admission.
La tolérance de la cyclosporine a été comparable dans les 2 groupes. Le critère échocardiographique n’a pas pu être évalué chez 17,4% des patients, ce qui est un point faible de l’étude. Il avait été ajouté, comme l’aggravation de l’insuffisance cardiaque initiale,avant toute inclusion, au critère composite pour augmenter la puissance de l’étude et la rendre faisable avec moins de patients.
Conclusion et discussion
Dans cet essai multicentrique il n’a pas été possible de montrer, en dépit d’une méthodologie rigoureuse, que la cyclosporine peut, malgré des bases pharmacologiques solides, réduire le risque de complications cardiaques secondaires à la reperfusion à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde.
Dans leur discussion, les auteurs soulignent que dans cette étude, presque 1 patient sur 4 est décédé ou a été hospitalisé pour insuffisance cardiaque dans l’année suivant l’IDM, en dépit d’un traitement considéré aujourd’hui comme optimal pour des IDM à haut risque. Ces données confortent donc les travaux de recherche encore en cours sur le post conditionnement ischémique ou pharmacologique.
Jean-Louis Gayet
RÉACTION
Les résultats neutres de l’étude CIRCUS pourront susciter des questions, non seulement sur le bien fondé de sa méthodologie mais aussi sur le concept même d’ischémie-reperfusion et une mise au point sur ces deux aspects est importante.
En ce qui concerne la méthodologie de l’étude, on ne manquera pas de se demander pourquoi les résultats de CIRCUS ne confirment pas ceux de la première étude du groupe de Michel Ovize. Elle avait montré l’efficacité de la cyclosporine sur un effectif plus petit, d’une cinquantaine de patients, et sur la base d’une évaluation de l’aire sous la courbe des marqueurs de nécrose. Une première explication vient peut-être de la forme galénique de la cyclosporine utilisée dans CIRCUS qui n’était pas la même que la première fois. Pour CIRCUS une préparation spécifique avait été développée pour rendre le produit actif absolument indiscernable du placebo. Il est possible que ces différences galéniques aient été responsables de différences d’efficacité entre les deux préparations.
Il faut voir aussi que les inclusions dans la première étude ont eu lieu entre 2005 et 2007 contre 2011-2014 pour CIRCUS avec des différences sur le recrutement et les modalités de prise en charge des patients. Dans la première, les lésions pouvaient toucher indifféremment les trois troncs alors que celles de CIRCUS étaient limitées à des occlusions totales de l’IVA proximale ou moyenne. De plus les modalités de prise en charge de l’IDM en phase aiguë ont aussi évolué (plus de thrombo-aspirations, autres stents avec des modalités de mise en place un peu différentes etc.) Mais une des forces de CIRCUS, contrairement à beaucoup d’études contemporaines, a été d’inclure des patients réellement à haut risque puisqu’environ un quart d’entre eux a été victime, au cours du suivi, d’au moins un des événements du critère principal composite. Cette étude avait donc la puissance nécessaire pour atteindre l’objectif qui lui avait été fixé. CIRCUS n’a aucune raison de faire remettre en cause le concept d’ischémie reperfusion car il y a énormément de preuves de l’effet délétère des lésions de reperfusion avec notamment le no-reflow. Aujourd’hui l’IRM nous a permis de bien voir que même après reperfusion, le myocarde n’est pas correctement revascularisé avec, notamment, mise en évidence, à l’échelon microvasculaire, de zones hémorragiques. A ce jour, la recherche n’a pas permis de réduire ces lésions de façon significative mais elle continuera bien entendu, sur d’autres pistes, après l’échec de CIRCUS car il y a d’autres concepts aussi prometteurs que celui du blocage des Permeability Transition Pores. Une approche prometteuse est celle de l’inflammation mais dans la perspective d’une modulation et plus, comme on a pu le faire par le passé d’un blocage total qui avait des effets délétères.
Nous n’avons aucune raison de penser que Michel Ovize ne restera pas en première ligne pour de nouveaux travaux en ce sens, même après les résultats décevants de CIRCUS.
Denis Angoulvant,
CHU Trousseau, Tours
Article paru dans le CORDIAM N°7 (Septembre 2015)
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