SPRINT : Systolic Blood PRessure INtervention Trial
Contexte et hypothèse
Les recommandations fixent un objectif de 140/90 mm Hg pour les hypertendus non diabétiques, mais cet objectif ne repose en fait sur aucune donnée scientifique solide. L’objectif de SPRINT a été de comparer le devenir de patients hypertendus non diabétiques à risque cardiovasculaire élevé en fonction de l’objectif de pression systolique : 140 mm Hg ou 120 mm Hg.
Plan d’étude et traitements étudiés
Étude randomisée ouverte dans 102 centres nord-américains.
L’étude compare deux stratégies de prise en charge, définies par l’objectif de pression artérielle systolique. Toutes les classes d’antihypertenseurs pouvaient être utilisées ; les diurétiques thiazidiques (principalement la chlorthalidone), les diurétiques de l’anse pour les insuffisants rénaux et les bêta-bloquants pour les coronariens étaient recommandés comme traitement de première intention.
Visites mensuelles pendant les 3 premiers mois, puis visites trimestrielles. Dans le groupe intensif, ajustement des doses pour atteindre la cible de 120 mm Hg ; pour le groupe conventionnel, ajustement des doses pour une cible de 135 à 139 mm Hg avec allègement des doses si la pression était < 130 mm Hg lors d’une visite, ou <135 mm Hg lors de deux visites consécutives.
Critères d’inclusion / exclusion
Patients âgés d’au moins 50 ans, avec une pression systolique comprise entre 130 et 180 mm Hg (130-180 mm Hg si aucun ou un seul médicament antihypertenseur, 130-170 mm Hg si 2 médicaments, 130-160 mm Hg si 3 médicaments, 130-150 mm Hg si 4 médicaments) et à risque cardiovasculaire élevé défini par la présence d’au moins un des critères suivants :
• maladie cardio-vasculaire clinique ou infra-clinique (hors AVC) ;
• insuffisance rénale chronique (20-60 ml/min/1.73 m² selon la formule MDRD) ;
• risque de maladie cardio-vasculaire de 15 % ou plus à 10 ans selon le score de Framingham ;
• âge de 75 ans ou plus.
Les patients diabétiques et ceux ayant des antécédents d’AVC étaient exclus.
Critères de jugement
• Critère principal : critère combiné infarctus du myocarde, syndrome coronaire aigu sans infarctus, AVC, décompensation cardiaque aiguë, décès cardio-vasculaire
• Critères secondaires :
– composantes du critère principal ;
– mortalité toute cause ;
– décès ou critère principal.
Taille de l’échantillon et hypothèses statistiques
Hypothèse initiale : réduction de 20 % du critère principal, avec un recrutement sur 2 ans et un suivi maximal de 6 ans.
Taille de l’échantillon : 9250 participants.
Population
Recrutement de 9 361 patients aux USA et Porto Rico et dans 102 centres, entre novembre 2010 et mars 2013.
Sur recommandation du DSMB, arrêt de l’étude le 20 août 2015, avec un recul médian de 3,26 ans (contre 5 ans de suivi médian anticipé).
Résultats
Résultats sur la pression artérielle
A un an, la pression systolique moyenne était de 121 mm Hg dans le groupe intensif et de 136 mm Hg dans le groupe
conventionnel.
Sur l’ensemble de la période de suivi, les chiffres étaient respectivement de 121 et 135 mm Hg.
Résultats cliniques
• Critère principal :
1,65 % par an dans le groupe intensif vs 2,19 % par an dans le groupe conventionnel (HR 0,75 ; IC 95 % 0,64-0,89, P<0,001)
• Critères secondaires :
Analyses de sous-groupes
Les différentes analyses de sous-groupes ne montrent pas d’inhomogénéité en fonction de l’âge, du sexe, de la race, de la présence d’une insuffisance rénale ou d’une maladie cardiovasculaire, ni en fonction du niveau initial de pression artérielle.
Événements indésirables et tolérance
Certains effets secondaires sont plus fréquents avec la stratégie intensive : hypotension artérielle (3,4 vs 2,0 %), syncope (3,5 % vs 2,4 %), anomalie électrolytique (3,8 vs 2,8 %) et insuffisance rénale aiguë (4,4 vs 2,6%).
Conclusion
Chez les patients hypertendus à risque, non diabétiques, une cible plus ambitieuse de pression artérielle (120 mm Hg) permet de diminuer le risque d’accidents cardiovasculaires graves, ainsi que la mortalité globale, par rapport à la cible conventionnelle de 140 mm Hg. La stratégie intensive est responsable d’une plus grande fréquence de certains effets secondaires.
Nicolas Danchin
RÉFÉRENCES
The SPRINT Research group. A Randomized Trial of Intensive versus Standard Blood-Pressure Control N Engl J Med 2015; 373: 2103-2116
RÉACTION
C’est pour répondre à la question de l’objectif tensionnel à fixer chez un hypertendu non diabétique mais avec un risque cardiovasculaire élevé que le National Institute of Health (NIH) a conçu et réalisé aux USA l’étude SPRINT. Le NIH avait déjà réalisé deux études pour connaître l’objectif tensionnel du traitement antihypertenseur :
• l’étude ACCORD chez les hypertendus avec un diabète de type 2 publiée en 2010 n’avait pas montré un bénéfice en termes de prévention des complications cardiovasculaires à fixer un objectif à une PAS à moins de 140 mmHg.
• l’étude SPS3 chez les hypertendus ayant fait un AVC ischémique par lacune cérébrale publiée en 2013 ne montrait elle aussi pas de bénéfice pour diminuer le risque de récidive d’AVC à fixer l’objectif de la PAS à moins de 120 mm Hg par rapport à un objectif à moins de 140 mmHg.
Ainsi, après deux études « négatives », l’étude SPRINT qui a été interrompue après 3,2 ans du fait d’une supériorité pour la mortalité cardiovasculaire dans le groupe ayant l’objectif à moins de 120 mmHg, indique que lorsque l’on traite l’HTA « the lower is the better ».
Annoncer que l’étude SPRINT va conduire à des changements de la pratique quotidienne ou des modifications des recommandations d’experts est encore prématuré mais une lecture attentive du protocole et des résultats de l’étude SPRINT permet les commentaires suivants.
1 – Appliquer dans la pratique quotidienne les résultats de SPRINT conduirait à mettre en œuvre la consigne suivante :
« Lorsque vous avez à la consultation un hypertendu âgé de plus de 50 ans (et pouvant avoir plus de 75 ans), traité par une bithérapie, et dont la PAS est à 140 mmHg (moyenne de 3 mesures obtenues avec un tensiomètre électronique après 5 minutes de repos en position assise), vous devez ajouter un médicament antihypertenseur à votre prescription ».
Ce message qui a le mérite de la simplicité devrait être complété par des informations concernant le choix des médicaments antihypertenseurs, la stratégie dans le choix des combinaisons, et la fréquence des visites jusqu’à l’obtention de l’objectif tensionnel.
• Pour le choix des médicaments antihypertenseurs, les investigateurs de SPRINT se sont vu « encouragés » à choisir certains antihypertenseurs : pour l’antagoniste calcique (amlodipine), pour le diurétique thiazidique (chlorthalidone), pour le bloqueur du SRA un ARA2 (azilsartan), en cas d’insuffisance rénale (diurétique de l’anse), en cas de cardiopathie ischémique (bêta-bloquant).
• Pour la stratégie thérapeutique, le protocole indiquait l’usage au minimum d’une bithérapie et au mieux d’une trithérapie avec l’association Bloqueur du SRA, diurétique thiazidique et antagoniste calcique.
• Pour la fréquence des visites dans la phase d’adaptation du traitement, une visite tous les mois était imposée par le protocole. L’analyse des résultats montre que les investigateurs ont bien suivi le protocole avec pour le groupe intensif une prescription qui comporte 2,9 médicaments avec 30% de bithérapie, 32% de trithérapie et 24% de quadrithérapie ou plus. Pour les médicaments, les prescriptions ont été un antagoniste calcique (57%), un thiazidique (55%), un bêta-bloquant (41%) , un ARA2 (40%) , un IEC (37%), un alphabloquant (10%), un antialdostérone (9%).
2 – Appliquer la stratégie SPRINT permet à chaque médecin de percevoir un bénéfice dans sa patientèle.
Le résultat majeur de SPRINT est de montrer que la baisse de la PAS à moins de 120 mmHg provoque une diminution de l’ensemble des complications cardiovasculaires de 25% et de la mortalité totale de 27%. Mais le fait le plus important de SPRINT est que ce bénéfice de prévention pourra être perçu par chaque médecin dans sa pratique quotidienne car le nombre d’hypertendus à traiter sur une période de 3,3 années est de 61 pour éviter 1 complication cardiovasculaire et de 90 patients pour éviter 1 décès.
Une originalité de SPRINT est de montrer que la complication la mieux prévenue est l’insuffisance cardiaque. Ce résultat rend l’étude différente des autres essais de prévention chez les hypertendus et les raisons n’en sont pas encore expliquées. C’est probablement la conjonction de l’âge élevé des hypertendus inclus et du bas niveau de la pression artérielle atteint sous traitement qui explique ce résultat.
A contrario, SPRINT ne parvient pas à montrer un rôle bénéfique sur la prévention des AVC et ce résultat est en contradiction avec celui observé dans ACCORD. Les deux populations différaient par la présence/absence de diabète de type 2. Le bénéfice d’un traitement antihypertenseur intensif sur la prévention des AVC semble donc restreint aux patients ayant en plus de leur HTA un diabète de type 2.
3 – Appliquer la stratégie intensive SPRINT augmente les effets indésirables, ce qui rend le bénéfice/risque défavorable pour certains hypertendus.
En parallèle du bénéfice observé sur la prévention des complications, il est noté une augmentation des effets indésirables liés aux traitements (hypotension, insuffisance rénale, hypokaliémie, hyponatrémie). Les effets considérés comme « sérieux » par les investigateurs concernent moins de 5 % des patients et leur faible fréquence n’a pas eu d’impact sur le bénéfice global de l’étude en particulier pour prévenir la mortalité totale.
Toutefois, une généralisation de la stratégie intensive SPRINT à l’ensemble des hypertendus âgés de 55 ans et plus ne correspondrait pas aux enseignements de l’étude car une des raisons de la bonne tolérance des traitements antihypertenseurs dans SPRINT est secondaire à la sélection des hypertendus les moins graves et les moins fragiles pour satisfaire les critères d’inclusion de l’étude (les patients institutionnalisés notamment n’ont pas été inclus dans l’étude).
Ainsi, les patients les plus fragiles (très âgés et institutionnalisés, en prévention secondaire d’AVC, diabétique de type 2) n’ayant pas le même bénéfice/risque, il semble indispensable d’évaluer le profil de risque d’une mauvaise tolérance de la stratégie intensive SPRINT chez chaque hypertendu avant de lui proposer les adaptations des traitements ayant démontré cette puissante efficacité préventive.
Xavier Girerd,
Pôle Cœur Prévention, Groupe Universitaire Pitié-Salpêtrière, Paris
RÉFÉRENCES
The SPRINT Research Group. A randomized trial of intensive versus standard blood-pressure control. N Engl J Med. DOI: 10.1056/NEJMoa1511939
Cushman WC, Evans GW, Byington RP, et al. Effects of intensive blood-pressure control in type 2 diabetes mellitus : the ACCORD randomized trial. N Engl J Med 2010; 362: 1575-85.
Benavente OR, Coffey CS, Conwit R, et al. Blood-pressure targets in patients with recent lacunar stroke: the SPS3 randomised trial. Lancet 2013; 382: 507-15.
Article paru dans le CORDIAM N°9 (Janvier 2016)
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