Martine Gilard, Professeur de Cardiologie au CHU de Brest a succédé à Jean-Yves Le Heuzey à la présidence de la Société Française de Cardiologie. Elle est la troisième femme à occuper ce poste depuis sa création il y a 80 ans !! Elle aborde ces fonctions avec dynamisme et confiance.

Pouvez vous nous rappeler votre parcours professionnel ?

J’ai effectué les 3 premières années de mes études de médecine à la Faculté de Clermont-Ferrand puis complété mon externat à Paris, à l’hôpital Cochin. J’ai présenté ensuite le concours d’internat et j’ai été reçue à Brest où j’ai fait un internat mixte de cardiologie et de radiologie couronné par une médaille d’or. J’ai ensuite été chef de clinique-assistante puis praticien-hospitalier en cardiologie. En 2000, afin de satisfaire aux exigences de mobilité requises pour les carrières universitaires, j’ai travaillé successivement à Washington puis à Lyon dans l’équipe INSERM CREATIS de Gérard Finet. J’ai été nommée Professeur des Universités de cardiologie en 2007 puis, cela n’est pas très habituel, j’ai soutenu une thèse de science.
Au sein des Sociétés Savantes j’ai été Présidente du GACI en 2007, puis suis entrée au Conseil National Professionnel de Cardiologie en 2010 et enfin au bureau de la SFC en 2012. Au niveau européen, j’ai intégré l’EAPCI en 2009, où j’ai occupé différents postes (éducation, formation) et actuellement je suis responsable des fellowships. Je siège au Nominating Comittee de l’ESC, instance chargée de présélectionner les candidatures à la Présidence de la Société Européenne qui seront ensuite soumises au vote des sociétés nationales.

Quels projets souhaiteriez-vous réaliser au cours de votre présidence ?

Tout d’abord, concernant la recherche, j’ai 2 projets qui me tiennent particulièrement à cœur.  Nous avons depuis plusieurs années acquis à la SFC une grande expérience dans la tenue des registres. C’est une des grandes richesses de la SFC, plusieurs registres sont terminés et vingt deux sont actuellement en cours, conduits au sein même de la Société. Bien que la méthodologie employée soit différente, ces registres permettent d’obtenir lorsqu’ils sont bien conduits, autant d’informations importantes, et de données exhaustives que les études randomisées. Mais le recueil des informations nécessite temps et effort de la part des médecins afin d’en assurer la qualité. Par ailleurs, la Sécurité Sociale dispose d’énormes bases de données, (le SNDS), jusqu’à ce jour peu ou pas exploitées car souvent réservées à des équipes INSERM. Depuis septembre 2017, ces bases sont devenues accessibles sur présentation d’un projet.
Durant les 2 années de ma vice-présidence, j’ai contacté les différentes instances en particulier la HAS et les services du Ministère de la Santé (la Direction Générale de l’Organisation des Soins DGOS, la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques DREES, le Comité Economique des Produits de Santé CEPS) avant de proposer un projet sous la forme d’une une phase pilote sur le TAVI, en faisant valoir la grande expérience de la SFC pour les registres et le fait qu’il y avait encore aujourd’hui un nombre relativement limité de patients implantés, ce qui faciliterait la conduite de cette phase pilote. Notre dossier a été retenu, et nous pourrons commencer en Septembre. Nous serons alors la première Société savante en France à entreprendre un tel recueil de données et à pouvoir les analyser. Le seul pays européen qui a réalisé ce type de registre est la Suède mais sur 15 millions d’habitants seulement.

Comment allez-vous procéder ?

En pratique, le professionnel de santé remplit, comme il le fait quotidiennement, les données dans son logiciel-métier, puis les informations sont transmises à une base reliée au PMSI, ce qui permettra de colliger toutes les données pertinentes et en particulier les complications survenues au cours de la phase hospitalière. Nous avons obtenu que les données du PMSI soient disponibles dès le 3eme mois, au lieu d’un an comme actuellement. Le suivi ultérieur du patient sera assuré pendant 9 ans : résultats des consultations auprès du médecin traitant, du cardiologue, les réhospitalisations, la consommation de médicaments et bien entendu la survie. Si cette expérience est concluante, elle sera étendue aux autres registres de la SFC.

Quel est votre second projet concernant la recherche ?

Je souhaite organiser une journée de réflexion sur la recherche en cardiologie en France, comme cela avait été fait en 2005 sous la présidence de Jean-Claude Daubert. Elle se déroulera probablement en octobre prochain. Le but de cette réunion est de préciser d’une part la place qu’occupe actuellement la France au niveau international en termes de publications et d’identifier ses domaines d’excellence et d’autre part de trouver les moyens d’accroître notre performance en termes de recherche scientifique. En amont et dès le mois d’avril, des groupes de réflexion vont être constitués à partir de personnes expérimentées qui ont déjà développé des projets de recherche pour qu’elles définissent comment parvenir à une recherche de qualité. Nous aurons des membres désignés par les différents groupes de travail et filiales de la SFC, mais aussi des participants des hôpitaux généraux et du privé. Nous prévoyons également de constituer un groupe rassemblant les plus jeunes, motivés et intéressés par la recherche pour qu’ils définissent les problèmes et difficultés rencontrés, lorsqu’ils veulent déposer par exemple un dossier de PHRC. Point important à mes yeux, ces groupes devront être représentatifs de toutes les composantes de la cardiologie menant des travaux de recherche, qu’elles soient universitaires ou non, publiques ou privées. Cette journée de réflexion devra déboucher sur une synthèse largement diffusée.

Que voulez vous privilégier en matière de formation?

Je pense qu’il est primordial d’apprendre à gérer une audience La forme et les modes d’expression sont aussi très importants. Comme membre du board de l’EURO PCR, j’ai eu l’opportunité de suivre une formation d’expression orale et je me suis rendue compte à cette occasion de l’importance de bien maîtriser la forme pour faire passer les principaux messages sur le fond. Je souhaite que les plus jeunes puissent eux aussi bénéficier de ce type de formation, mais cela nécessite un budget… Je m’emploie actuellement à trouver le financement.

Quels projets, souhaitez-vous développer au niveau européen ?

J’attache une grande importance aux travaux de l’ESC. Les cardiologues français sont à l’origine de nombreuses découvertes ou avancées diagnostiques ou thérapeutiques: citons parmi bien d’autres la resynchronisation dans l’insuffisance cardiaque, le traitement de la FA, l’implantation percutanée des prothèses valvulaires. Cependant la cardiologie française n’est pas représentée à sa juste place au sein de l’ESC. J’ai donc confié à Claire Bouleti qui fait partie du bureau de la SFC la mission de motiver et de solliciter les jeunes cardiologues pour être davantage présents au niveau des instances de l’ESC.
A ce propos, je veux souligner la chance qui est la mienne de pouvoir travailler, au sein de la SFC, avec l’assistance d’un bureau très dynamique et très dévoué qui m’épaule au quotidien afin de pouvoir mener à bien, tous ensemble, ces projets qui me tiennent à cœur.

Les maladies cardiovasculaires 1ère cause de décès chez la femme quelle est votre réaction ?

La SFC soutient financièrement à un niveau important depuis sa création la Fondation Cœur et Recherche reconnue d’Utilité Publique. Ces dernières années, cette Fondation a financé de nombreux projets de recherche sur les troubles du rythme, la prévention, la pollution, l’environnement, etc… Nous allons mettre en place avec le Conseil Scientifique de la Fondation un projet de recherche sur l’infarctus du myocarde survenant chez la femme jeune, afin de comprendre les raisons pour lesquelles cette population est de plus en plus victime d’infarctus alors que les mesures de prévention primaire ou secondaire préconisées s’adressent à tous.
Nous souhaitons étendre notre réseau de lobbying auprès d’un plus grand nombre d’entreprises ou d’organismes institutionnels afin de lever les fonds nécessaires mais aussi faire mieux connaître cette Fondation auprès de tous les cardiologues français. Une personne nouvellement arrivée à la Fondation et connaissant bien le milieu associatif et le financement participatif sera particulièrement chargée de cet aspect.

Pourquoi avoir choisi la sur-spécialité de cardiologie interventionnelle ?

Depuis l’enfance, j’ai toujours rêvé d’être pédiatre et c’est pour cette raison que j’ai présenté l’internat qui était à l’époque, la seule voie d’accès à cette spécialité. J’ai été reçue à l’internat de Brest mais je n’ai pas eu la possibilité de choisir pédiatrie au premier semestre et me suis donc orientée vers la cardiologie qui m’avait intéressée lors de mes stages d’externat.
Nous avions de nombreuses gardes à assurer au cours desquelles il fallait connaître quelques gestes techniques comme la montée d’une sonde de stimulation. Mais mes collègues filles n’étaient pas très attirées par ces gestes techniques et j’ai donc été amenée à en effectuer un très grand nombre. Cela m’a donné ensuite l’envie de faire de l’hémodynamique au cours des autres semestres.
A Brest, les explorations hémodynamiques étaient rattachées au service de radiologie et c’est la raison pour laquelle j’ai validé les 2 spécialités. A l’époque, la cardiologie interventionnelle n’était pas une spécialité très féminine. Je percevais quelques doutes sur mon choix dans mon entourage, mais j’ai relevé ça comme un défi.

A quoi consacrez-vous vos rares heures de liberté ?

Actuellement je n’ai plus le temps de pratiquer mes sports favoris comme le ski, l’équitation et la voile, mais je réserve chaque soir un temps pour la lecture. Par ailleurs, je dessine depuis toujours.
C’est une de mes passions. Je fais aussi de la peinture. J’aime beaucoup le cinéma et je dispose d’une importante vidéothèque très éclectique mais actuellement j’évite les films noirs et préfère ceux qui me permettent de m’évader. Afin de perfectionner mon anglais, je regarde les films en VO avec un sous titrage en anglais ce qui me permet de joindre l’utile à l’agréable.

Propos recueillis par Paule Guimbail

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