Victoria Tea, Nicolas Danchin, Etienne Puymirat, HEGP, Département de Cardiologie Paris, etiennepuymirat@yahoo.fr
En France, l’âge moyen de la survenue d’un infarctus du myocarde (IdM) varie entre 60 et 70 ans selon le type d’IdM (avec/sans sus décalage ST). Il n’existe à ce jour aucune définition précise de la maladie coronaire prématurée. Le premier évènement est le plus souvent un IdM chez des patients ayant peu de facteurs de risque cardiovasculaire et de comorbidités. En revanche, la plupart d’entre eux ont un athérome très évolutif responsable d’un pronostic à long terme défavorable.
Définition et épidémiologie
Il n’existe pas de définition précise de l’IdM du sujet jeune y compris par les Sociétés savantes. Selon les séries rapportées, l’IdM est le plus souvent défi ni par un âge 40 ans, 45 ans ou 50 ans (ce qui représente en France dans l’enquête FAST-MI 2015 respectivement 2.6%, 6.5% et 23.9% des patients admis pour un IdM) 1. Peu de données épidémiologiques ont été rapportées dans cette population. En ce qui concerne l’incidence, les résultats sont très différents selon les sources et la définition utilisée. Dans la cohorte Framingham, l’incidence des IdM chez les sujets jeunes (défi ni par un âge <55 ans) était de 51.1/1000 chez les hommes et 7.4/1000 chez les femmes 2. En revanche, aux Etats-Unis dans le Massachusetts, l’incidence était de 66/100,000 entre 1975 et 2005 3. La prévalence de la maladie coronaire prématurée est probablement sousévaluée comme le suggère les résultats d’autopsies réalisées chez des sujets de 35 ans et moins, chez qui= des lésions coronaires athérothrombotiques ont été retrouvées dans 20% des cas 4.
Profil de risque
La majorité des patients jeunes pris en charge pour un IdM rapporte au moins un des trois facteurs de risque suivant : sexe masculin, tabagisme actif, et/ou l’hérédité coronarienne précoce (Tableau 1). En revanche, les autres facteurs de risque comme l’hypertension artérielle ou le diabète sont plus rarement rapportés. L’IdM du sujet jeune touche préférentiellement les hommes avec une prévalence comprise entre 79 et 95% selon les séries 1. Dans l’enquête FAST-MI 2015, 85% des patients ( 45 ans) pris en charge étaient des hommes. Le tabagisme actif est rapporté comme le principal facteur de risque dans cette population. Selon les séries, la prévalence du tabagisme chez les sujets jeunes pris en charge pour un IdM varie de 51% à 89% 1. En France, cela représente 77% des patients ( 45 ans) dans l’enquête FAST-MI 2015. La consommation de tabac est également différente selon l’âge puisque le nombre de cigarettes consommé par jour est nettement plus élevé chez les sujets jeunes avec un délai d’exposition potentiellement beaucoup plus long. Au cours des 20 dernières années, le tabagisme a surtout augmenté chez les femmes de moins de 60 ans. Enfi n, le risque d’IdM lié directement au tabagisme serait multiplié par 3 à 4.5 par rapport aux non-fumeurs (ou anciens fumeurs) 1.
L’hérédité coronarienne précoce est définie par la présence d’une coronaropathie chez un membre de la famille (lien de 1er degré) (moins de 55 ans pour les hommes et moins de 65 ans pour les femmes). La prévalence chez un patient jeune avec un IdM varie de 41 à 71% (40% dans FAST-MI 2015). L’hérédité coronarienne précoce multiplie par 1.8 à 3 le risque de présenter un IdM avant 45 ans 1. La dyslipidémie est un facteur de risque qui touche normalement toutes les générations.
La prévalence rapportée chez les patients jeunes avec un IdM est d’environ 30% mais varie beaucoup selon la définition utilisée. Dans l’enquête FAST-MI 2015 la dyslipidémie (définie par une hypercholestérolémie traitée ou non) concerne 25% des patients de moins de 45 ans. Une étude récente a montré qu’une élévation du non-HDL cholestérol chez des sujets de 40 ans était associée à un risque d’IdM multiplié par 5 (odd radio 5.02 ; IC 95% ; 2.75-9.15) 5. Le rapport Apo B/Apo A1, bien que non réalisé en pratique, permet de repérer les patients à risque d’IdM quel que soit l’âge (risque multiplié par 3.25 pour les patients dans le quintile le plus élevé par rapport à ceux dans le quintile le plus bas). Ce ratio est encore plus marqué chez les patients jeunes (OR 4.35, 95%CI 3.49-5.42) 6. Les autres facteurs de risque cardiovasculaire sont beaucoup moins fréquents. L’hypertension artérielle n’est rapportée que dans 35% des cas environ (20% dans FAST-MI 2015) bien qu’elle soit probablement sous-estimée 1. Le diabète ne concerne au maximum que 15% des patients jeunes (7% dans FAST-MI 2015) mais reste un facteur de risque majeur d’IdM avant 45 ans (OR 8.34 ; 95% CI 1.67-41.6) 1. Enfi n, plusieurs travaux rapportent une augmentation de la prévalence de l’obésité dans les pays développés aux cours des 20 dernières années 1.
En France, l’obésité (BMI>30) est passée de 14% à 29% entre 1995 et 2015 dans cette population. Enfin, d’autres facteurs de risque ont également été rapportés dans cette population comme le statut socioéconomique bas, la prise de drogues (notamment la cocaïne à l’origine de spasme coronaire), les troubles de l’hémostase (mutation du facteur V Leiden), des pathologies vasculaires (maladie de Kawasaki), des pathologies du tissu élastique …
Présentation clinique et angiographique
Les patients jeunes présentent dans 2/3 des cas un IdM avec sus décalage ST. Les symptômes atypiques lors de la prise en charge sont peu fréquents (15% dans l’enquête FAST-MI 2015). Enfin, dans 25% des cas, les patients rapportent des douleurs thoraciques dans le mois précédent l’évènement (en particulier chez les hommes) 1. À l’angiographie coronaire, l’athérome coronaire est moins diffus que chez les patients plus âgés. Les coronaires sont dites « normales » dans 16% des cas chez les hommes, et 21% chez les femmes (contre 2% et 11% respectivement chez des patients plus âgés) 7. Il s’agit le plus souvent d’atteinte mono tronculaire avec une atteinte préférentielle de l’inter ventriculaire antérieure. La présence de lésion tri tronculaire est rapportée dans moins de 10% des cas. L’atteinte du tronc commun est exceptionnelle. Enfin, il existe une présentation particulière (dissection coronaire) qui survient préférentiellement chez la femme jeune (âge moyen 43 ans) ayant ou non une maladie du tissu élastique 1. Dans plus de la moitié des cas, la présentation est un IdM avec sus décalage ST. L’imagerie endo coronaire (tomographie par cohérence optique, OCT) permet de confirmer le diagnostic (Figure 1). En France, un registre national (DISCO) coordonné par l’équipe de Clermont Ferrand permettra d’en savoir davantage sur cette forme particulière et ses modalités de prise en charge.
Prise en charge
Il n’existe pas de prise en charge spécifique de l’IdM du sujet jeune. Cette population est toutefois sous représentée dans les essais randomisés mais il n’y pas de raison évidente pour que les résultats observés ne soient pas transposables à cette population. L’angioplastie coronaire est le mode de revascularisation privilégié chez ces patients compte tenu du caractère peu diffus de la coronaropathie. Dans l’enquête FAST-MI 2015, chez les patients 45 ans admis pour un IdM avec sus décalage ST, l’angioplastie primaire a été réalisée dans 76% des cas, la thrombolyse dans 7%. En cas de dissection coronaire, un traitement conservateur doit être privilégié (avec un contrôle coronarographique à distance avec si possible une imagerie endocoronaire). Concernant les traitements médicamenteux, ces patients sont le plus souvent à bas risque hémorragique ce qui permet l’utilisation des antithrombotiques les plus puissants sans trop d’appréhension. En revanche, certains traitements (bétabloquant, IEC/ARA 2 notamment) sont parfois mal tolérés (hypotension, asthénie, impuissance …). Les posologies sont donc souvent minimales chez ces patients. Environ 80% des patients (≤45 ans) sortent toutefois de l’hôpital avec le traitement recommandés (« BASIC ») dans l’enquête FAST-MI 2015. La prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire est primordiale dans cette population et notamment l’arrêt du tabac qui est plus efficace que toutes les thérapeutiques médicamenteuses (anti thrombotiques, hypolipémiants …) avec une réduction de la mortalité de l’ordre de 40% (OR 0.64 ; 95% CI : 0.58-0.71) 8. Ces patients doivent bénéficier d’un programme de réadaptation cardiovasculaire personnalisé afin qu’ils comprennent les enjeux thérapeutiques. Une prise en charge psychologique est souvent nécessaire chez ces patients (syndrome dépressif fréquent).
Pronostic
Le pronostic à court terme est le plus souvent très favorable chez ces jeunes patients. Les complications intra hospitalières (saignements, récidive d’infarctus, AVC, troubles du rythme …) sont rares. La mortalité intra hospitalière est inférieure à 1%. La mortalité à 6 mois est de l’ordre de 3%. En revanche, le pronostic à long terme est beaucoup moins favorable. La mortalité à 7 ans est de l’ordre de 15% et à 25-29% à 15 ans 1. L’insuffisance cardiaque, les troubles du rythme ventriculaire, les récidives d’IdM sont les principaux facteurs associés à un risque de mortalité. La FEVG 45% représente le facteur pronostic le plus sévère avec un risque de décès multipliée par 4.4 (OR 4.4 ; 95% CI 1.6-12.4) 9. L’évolution de la prise en charge de l’IdM au cours des 20 dernières années a toutefois permis une réduction de la mortalité dans cette population comme cela a été observé dans les autres classes d’âges.
En conclusion, l’incidence de l’IdM chez le sujet jeune n’est pas négligeable. Le tabagisme actif reste le facteur de risque majeur et justifie de poursuivre les campagnes de prévention. Le plus souvent, il s’agit d’IdM avec sus décalage ST sans symptôme annonciateur. L’atteinte coronaire est peu diffuse. Il n’existe pas de spécificité concernant la prise en charge thérapeutique de ces patients lors de l’hospitalisation. Enfin, si le pronostic à court et moyen termes est excellent ce n’est pas le cas à long terme notamment en cas de dysfonction VG.
RÉFÉRENCES
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Remerciements au Professeur Pascal Motreff (CHU Clermont Ferrand) pour nous avoir fourni l’illustration de la fi gure 1
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt avec ce travail