Pascal Gueret pascalgueret46@gmail.com
La révolution mexicaine du début du XXe siècle a marqué très profondément la nouvelle identité de ce pays, dans le domaine politique mais aussi culturel. De nombreux artistes mexicains ont séjourné en Europe, en France en particulier ou, tel Diego Rivera, ont accueilli dans leur pays des représentants politiques comme Léon Trotski ou des écrivains comme André Breton.
Autre conséquence importante dans l’organisation de cette nouvelle société : le rôle déterminant joué par les artistes femmes, qualifiées parfois de « protoféministes ». Certaines vont être d’influentes mécènes d’artistes reconnus ou en devenir, d’autres dont la plus célèbre est Frida Khalo, être artistes elles-mêmes, très engagées politiquement de surcroît. Olga Costa va jouer les 2 rôles. D’origine allemande, elle arrive avec ses parents au Mexique en 1925 et entre à l’Ecole Nationale des Beaux Arts. Elle est encouragée très tôt dans son travail de créatrice par le peintre José
Chavès Morado qu’elle va épouser en 1935. Ensemble, ils seront très actifs dans la promotion de la culture et de l’art mexicains tout au long de leur vie. Ils feront don de leur demeure de Guanajuato qui deviendra un musée après leur mort. Les éléments biographiques disponibles d’Olga Costa ne permettent pas d’identifier de deuil ou d’épisode de rupture sentimentale, mais les causes des souffrances intimes qu’un artiste exprime dans son œuvre ne sont pas toujours révélées au grand jour.
Cependant, le tableau intitulé « le cœur égoïste » parle de lui même. Celui qui le regarde comprend immédiatement l’intention de l’artiste : exprimer la douleur d’une déception amoureuse, d’un abandon, de la disparition d’un être cher. Pour se faire, Olga Costa fait appel au symbolisme de végétaux traditionnels du Mexique : le haricot mescal ou nopal qui est supposé favoriser la divination en produisant des visions et des hallucinations lors de rites initiatiques, des cabosses de cacao, aliments dont l’histoire et celle du Mexique sont liées depuis l’époque des Olmèques, plus de 2000 ans avant JC et enfin le figuier de Barbarie, cactus également originaire du Mexique. Dans les 3 cas, l’état de sécheresse domine, évoqué par les couleurs brunes du haricot et des cabosses de cacao et même du cactus, habituellement d’un beau vert vif. Le message est renforcé par la lame de couteau dont le manche sculpté représente une tête d’animal et qui transperce la feuille du cactus elle-même en forme de cœur et hérissée d’épines, référence iconographique à la couronne du Christ et à la culture chrétienne si importante au Mexique. L’ensemble est complété par le squelette de la tête d’un petit animal, placé sur un tissu vert pâle afin d’en faire ressortir le motif sur la nappe blanche. Tout cela évoque irrésistiblement la douleur provoquée par un « cœur égoïste ». L’impression de désolation est accentuée par la lumière provenant de la droite et qui permet de donner un discret relief au drapé du tissu et aux éléments de la nature-morte de refléter de faibles ombres. Ce tableau qui est presque un trompe-l’œil transporte le spectateur sur la scène d’un paysage désertique chargé de mélancolie.