Pour vous, quelles ont été les principales avancées en cardiologie depuis l’an 2000 ?

Pour moi, il s’agit indiscutablement du renouveau dans la connaissance des valvulopathies, des avancées considérables dans l’imagerie cardiovasculaire anatomique, métabolique et fonctionnelle et de l’explosion justifiée des traitements percutanés.

Prenons l’exemple des valvulopathies pour illustrer cela…

L’épidémiologie des valvulopathies a évolué avec la réduction de la prévalence du rhumatisme articulaire aigu et l’augmentation des valvulopathies dégénératives dans un contexte de morbidités multiples.

Au plan diagnostique, nous avons assisté à une révolution avec le développement des différentes modalités d’échocardiographie (3D, miniaturisation), la validation du strain myocardique multicavitaire…

 

L’avènement de l’imagerie multimodalité et en particulier l’apport de l’imagerie de coupe, scanner pour la valve aortique, l’aorte thoracique et bien sûr les coronaires et l’IRM pour la quantification des régurgitations valvulaires, a représenté une avancée majeure, ces techniques se complétant sans se substituer les unes aux autres. L’histoire naturelle a également bénéficié de ces avancées techniques, détection des signes infracliniques au repos ou à l’effort laissant présager une correction plus précoce, en amont de l’apparition des signes cliniques mais aussi évolution de la durabilité des bioprothèses.

Les avancées thérapeutiques ont également été considérables, non pas tant dans le domaine médicamenteux (échec des statines dans la prévention de l’évolution de la sténose aortique) que surtout au plan interventionnel, avec le développement exponentiel des indications des traitements percutanés : TAVI y compris dans les sténoses aortiques à faible risque opératoire, élargissement de ses indications aux autres valves (pulmonaires dans les cardiopathies congénitales, traitement percutané des régurgitations mitrales et tricuspides, TAVI dans les IA)

Le suivi des patients porteurs de valvulopathies a été influencé par la place également croissante de l’échocardiographie dans ses différentes modalités (transoesophagienne, en salle de cathétérisme comme au bloc opératoire). Le contrôle du geste pendant la procédure devient aujourd’hui indispensable afin de s’assurer de sa qualité. Cet exemple des valvulopathies peut éclairer les avancées dans les autres pathologies cardiovasculaires, ischémiques, insuffisance cardiaque, rythmologie… dans toutes ces situations cliniques du quotidien, les progrès ont été considérables, et « l’intelligence » humaine ou virtuelle a accompagné ces révolutions dans la prise en charge dans notre spécialité.

 

Quelle a été votre principale satisfaction dans votre carrière ?

J’ai privilégié la transmission à partir d’une démarche pédagogique que j’ai appliquée en particulier au domaine des ultrasons diagnostiques. La pratique de cette technique que j’ai transmise de façon artisanale a été au coeur de mon projet professionnel. L’idée de transmettre est venue naturellement au terme de ma formation à Broussais auprès de Benoit Diebold. L’enseigné devenant à son tour le membre d’un relais avec passage du témoin, en l’occurrence l’expérience et la connaissance dans ce domaine alors en pleine expansion.

 

À ma place, j’ai donc au travers de mes travaux de recherche clinique (ischémie ventriculaire droite, contribution au démembrement des sources cardiaques et aortiques d’AVC, échographie de stress…), la rédaction d’articles scientifiques, d’articles et de supports pédagogiques, l’élaboration de nombreux outils et supports, ouvrages, CD-roms, site internet… participé de cette démarche.

Tout cela joint à la rédaction de recommandations d’abord françaises en tant que Président de la Filiale d’échocardiographie de la SFC et plus récemment recommandations européennes, au nom de l’EACVI, a complété mon parcours qui a trouvé sa cohérence dans la durée. Enfin, la poursuite de l’enseignement au travers de la coordination du diplôme interuniversitaire d’échocardiographie d’île de France parachève cette démarche que je souhaite poursuivre.

Il reste tant à faire !

 

Quel serait votre principal regret ?

J’en ai plusieurs, mais le plus important à mes yeux demeure celui de ne pas avoir séjourné de façon suffisamment prolongée à l’étranger dans un service de cardiologie expert et complémentaire de nos pratiques françaises. La fameuse mobilité, devenue depuis ma promotion comme PU-PH, heureusement obligatoire pour toute promotion universitaire. C’est en effet une excellente chose que de passer du temps de travail et de réflexion dans un environnement totalement étranger à sa pratique et à sa routine.

 

Les avantages de la mobilité sont connus de tout le monde : outre la multiplication des publications scientifiques, le développement de contacts précieux et privilégiés, l’apprentissage de nouvelles techniques et méthodes de travail, le temps de la réflexion fondamentale, bref tout ce qui permet d’organiser le parcours professionnel à venir.

Certes, la multiplication des séjours courts à l’étranger pour formation et échanges, par exemple à Pise dans les années 90 pour apprendre l’échocardiographie de stress ou encore les séjours NewYorkais répétitifs pour partager notre réflexion et nos travaux avec les collègues américains lors de la description avec Pierre Amarenco de l’athérome aortique comme une source potentielle d’infarctus cérébral, ont été autant de moments privilégiés mais de durée cependant trop courte, expliquant donc le remords.

Les opportunités étaient pourtant là mais il fallait par ailleurs assurer le fonctionnement au quotidien d’un service de cardiologie hospitalo-universitaire, dont les effectifs en particulier universitaires étaient insuffisants et la recherche clinique inexistante.

Il fallait aussi prioriser l’acquisition de matériel en particulier échographique et donc en attendant se démultiplier sur plusieurs sites (Broussais, la Pitié) de façon à poursuivre aussi bien les travaux de recherche clinique que l’exploration routinière des patients. Bref, il était alors impossible de s’absenter de façon prolongée du service dans lequel je travaillais.

J’ai retenu la leçon et j’encourage vivement mes élèves à partir dorénavant, à l’étranger dès que possible afin de parfaire leur réflexion et leur formation, se nourrir et poursuivre leurs thèmes de recherche à leur retour, en préservant les précieux contacts noués lors de leur mobilité à l’étranger.

 

Comment voyez-vous l’avenir ?

L’ère que nous vivons me semble être celle de la dématérialisation de la démarche médicale et de l’avènement de la télémédecine sous toutes ses formes, y compris et peut être surtout inconnues et qui restent à découvrir.

La place croissante des applications de l’intelligence artificielle laisse entrevoir des possibilités immenses. Sans parler du diagnostic clinique ou encore de l’interrogation à distance des dispositifs implantés (pacemaker, défibrillateur, Holter implantable), un exemple permettra d’illustrer les possibilités immenses qui s’offrent à nous.

 

Dans le domaine des ultrasons diagnostiques, il est aujourd’hui possible d’archiver des données considérables en imagerie au format natif (possibilités depost-traitement infinies) et d’interroger une base de données à partir de mots clés simples. Ces bases de données en imagerie laissent entrevoir la démultiplication des capacités diagnostiques à l’échelle d’une population (Big data).

Nous avons ainsi observé le développement quasi simultané de la miniaturisation des appareils parallèlement au développement de stations de travail avec possibilité de reconstruction 3D. L’intelligence artificielle permet dès maintenant de caractériser de façon beaucoup plus fi ne la structure et la géométrie cardiaque en les comparant à des milliers de formes géométriques et pathologiques et donc de modéliser l’anatomie du coeur et ses fonctions. Les premiers travaux ont validé une approche automatique de certains diagnostics à partir de ces bases de données par exemple diagnostic d’une cardiomyopathie à un stade infraéchographique par l’analyse du strain ou encore anomalie de l’hémodynamique cardiaque en l’absence de toute modification géométrique.

Nous sommes donc dans le coeur du sujet du diagnostic par la multiplication des approches en imagerie, avec parallèlement une caractérisation métabolique par la tomographie par émission de positons et des images anatomo-fonctionnelles. Citons à cet égard, les avancées de l’IRM 4D de flux dans la caractérisation des anomalies valvulaires ou aortiques. Le cardiologue-imageur de demain sera donc installé devant une machine intelligente, parfaitement réglée et adaptée à la morphologie du patient, qui lui proposera un examen préférentiel, et à partir d’un algorithme validé, un diagnostic vraisemblable et qui lui suggérera enfin une démarche d’investigation complémentaire aboutissant à une certitude diagnostique et à un traitement adapté.

 

Dès aujourd’hui, dans les différents domaines d’imagerie cardiovasculaire, l’interrogation à distance des bases de données permet un « télétravail d’expertise » dont il reste à définir les limites et les contours. L’évolution du métier de cardiologue devra épouser ces évolutions. Comment réussir la quadrature du cercle ? Garder ses compétences cliniques, le bon sens clinique indispensable, sans multiplier à l’infini les examens, parfois apportant des résultats contradictoires, pour aboutir à une solution thérapeutique sans risque ou presque pour le patient.

Le chemin est encore long… mais passionnant pour les générations à venir… nos élèves et les élèves de nos élèves….

 

Ariel Cohen,
Paris

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