Pour vous, quelles ont été les 2 ou 3 principales avancées en cardiologie depuis l’an 2000 ?
En premier, et de loin, la généralisation du TAVI pour le traitement de la sténose aortique serrée du sujet âgé.
Il y a quelques semaines, je montais le boulevard Saint Michel et cela m’a fait penser à la mort subite de Jean Lenègre à cet endroit. Il savait bien sûr qu’il avait un RA serré mais ne pouvait pas se décider à se faire opérer compte tenu de la mortalité périopératoire importante de la chirurgie cardiaque à la fi n des années 60.
Puis j’ai pensé à ma propre mère, qui a aussi fait une mort subite sur RA serré en 1997… à 89 ans… et que nous avions renoncé à faire opérer.
Et enfin à la mère de mon meilleur ami italien à qui il a fait faire un TAVI il y a deux ans et qui va très bien. Pour moi qui ai vécu les premières dilatations de l’orifice aortique par Alain Cribier, avec un résultat hélas temporaire, c’est une révolution dans la pratique des cardiologues, et sûrement la chose la plus importante qui soit arrivée en cardiologie depuis l’angioplastie coronaire. C’est le prototype de l’innovation qui va augmenter à la fois l’espérance et la qualité de vie des « vieux » dans les nations développées.
En second, la technique d’ablation de la fibrillation auriculaire. En effet, la première étude date exactement de l’an 2000. Sa généralisation a été lente, car il a fallu que les rythmologues apprennent à faire un cathétérisme transseptal, qu’ils constituent des équipes spécialisées (publiques ou privées), qu’ils apprennent à gérer les complications éventuelles et à minimiser leur incidence et que parallèlement les constructeurs développent des outils adaptés. L’heure est venue de faire le bilan : ce n’est pas l’assurance d’une guérison, car la maladie du tissu auriculaire va continuer à évoluer, mais c’est une thérapeutique plus efficace que les médicaments antiarythmiques. Elle peut s’attaquer à la fois à la gâchette de déclenchement (les veines pulmonaires en particulier) ou au substrat électrophysiologique (c’est à dire surtout l’oreillette gauche). Soit seule au début de la maladie, soit combinée aux médicaments elle permet dans bien des cas un maintien du rythme sinusal dominant à long terme. Mais elle ne permet pas une « guérison » comme l’ablation d’un WPW ou la mise en place d’un TAVI.
Quelle a été votre meilleure expérience professionnelle ?
Indiscutablement mes 8 ans de chef de clinique à Lariboisière, comme cheville ouvrière d’une équipe à la pointe de la rythmologie mondiale. Une époque enthousiasmante par les progrès et les innovations incessantes, à la fois sur le plan conceptuel et sur le plan technique.
Quel serait votre principal regret ?
Evidemment de ne pas avoir pu poursuivre des travaux de Recherche Clinique dans mon domaine. Malgré mes efforts et ceux de mon équipe, cela s’avéra trop difficile en pratique privée. En particulier, j’aurai beaucoup aimé travailler sur l’épidémiologie des troubles du rythme, ce qui pour le coup nécessite à l’évidence un soutien étatique.
Comment voyez-vous le futur ?
Ce qui me frappe, c’est le hiatus grandissant entre deux types de cardiologues : les interventionnels et les autres. Il est de plus en plus évident que traiter et surveiller un hypertendu a peu à voir avec faire une angioplastie complexe ou un TAVI, ou encore mettre un défibrillateur triple chambre ou faire une ablation de FA. Moi qui ai été nommé interne en 1969, je me trouve bien placé pour réaliser la mutation de notre spécialité en un demi-siècle, et particulièrement depuis la première angioplastie coronaire d’Andreas Grüntzig (1977).
Le développement des techniques interventionnelles a tout changé… Je suis passé, comme mes collègues, de la discussion électrocardiographique suivie de la prescription d’amiodarone, au traitement des patients avec mes mains. Ainsi notre petit monde se divise en deux parties, et il serait logique que les compétences acquises en cardiologie interventionnelle (avec deux branches séparées, hémodynamique et rythmologie) soient sanctionnées par un diplôme opposable (un DESS) et pas seulement par un DIU. Nous l’avions demandé il y a déjà longtemps au Ministère de l’Education Nationale et cela avait été refusé au prétexte que beaucoup de spécialités auraient demandé la même chose (la radiologie en premier lieu). Cela n’empêcherait pas que la compétence en la matière s’apprend essentiellement par le compagnonnage, comme en chirurgie, ce qui est une des gloires de notre profession : nous sommes et devons rester des artisans. C’est dire que la fameuse I.A. ne doit pas nous faire peur : notre remplacement par des robots interventionnels n’est pas pour demain.
Jean-François LECLERCQ
Désormais retraité