Selon vous, quelles ont été les 2 ou 3 principales avancées en cardiologie depuis les années 2000 ?
Plus que 3 principales avancées en cardiologie, je vous propose d’aborder 3 domaines de progrès majeurs.
Tout d’abord la cardiologie interventionnelle. A la suite des premiers résultats avec les stents actifs qui datent des années 2000, la prise en charge de la maladie coronaire a connu des progrès majeurs, avec la quasi-disparition des resténoses. La rythmologie interventionnelle a pu elle aussi voir s’étendre ses indications notamment avec les pacemakers de resynchronisation dans l’insuffisance cardiaque, les défibrillateurs implantables, de même que les procédures d’ablation de la fibrillation atriale. Encore plus récemment, la cardiologie interventionnelle structurelle et notamment le TAVI (Transcatheter Aortic Valve Implantation) a permis de remplacer des valves, mais aussi de proposer d’autres interventions potentiellement salutaires. C’est d’ailleurs probablement le développement récente le plus important dans le domaine de la cardiologie interventionnelle.
Autre domaine ayant connu des avancées considérables, celui, en apparence moins spectaculaire, des traitements médicamenteux. La généralisation de l’usage des statines date de la fin des années 1990 et du début des années 2000. Il y a eu aussi des changements ou des extensions d’indication notamment dans l’insuffisance cardiaque, avec des revirements parfois spectaculaires ; c’est le cas des bêtabloquants, auparavant contre-indiqués dans l’insuffisance cardiaque, et qui sont aujourd’hui un des piliers de sa prise en charge. L’arrivée des inhibiteurs du P2Y12 (clopidogrel, prasugrel et ticagrelor) et des AOD (dabigatran, rivaroxaban et apixaban) a aussi marqué une forte avancée. L’impact positif démontré des médicaments hypoglycémiants non insuliniques sur la mortalité et la morbidité cardiovasculaires représente également un progrès majeur. Encore plus récemment, les anticorps monoclonaux mimant des mutations génétiques “spontanées”, telles que celles agissant sur le métabolisme du LDL-cholestérol (anti-PCSK9), ouvrent des perspectives thérapeutiques considérables en cardiologie.
Enfin, et non des moindres, on peut noter les avancées remarquables dans l’imagerie cardiaque. L’IRM et le scanner thoracique avec notamment l’utilisation du score calcique en prévention primaire, ont aussi transformé la pratique.
Quelle a été votre meilleure expérience professionnelle ?
Là encore, je ne pourrais me cantonner à une seule expérience.
Curieusement, une de mes principales fiertés est une expérience négative : lorsque l’AFSSAPS a examiné la possibilité d’intégrer la curiethérapie aussi appelée brachythérapie endocoronaire dans l’arsenal thérapeutique de la cardiologie en France pour réduire la fréquence de resténose coronaire, avant l’avènement des stents actifs, j’ai fortement poussé pour en interdire la diffusion en dehors du cadre strict de protocoles de recherche, et cela malgré les souhaits des fabricants et de nombreux cardiologues interventionnels. Cette thérapie, qui créait des destructions irréversibles des parois coronaires, présentait en fait un risque important notamment à cause des thromboses tardives. Je pense ainsi avoir contribué à éviter nombre de complications pour des patients qui pouvaient être traités autrement.
Par ailleurs, lorsque j’étais interne, j’ai fait ma coopération à l’Institut de Cardiologie de Montréal. J’ai eu la chance d’y apprendre les grands principes de la médecine scientifique d’observation, ce qui m’a permis plus tard de coordonner plusieurs registres nationaux ou internationaux. Celui dans lequel j’ai mis le plus d’énergie est le registre FAST-MI qui est sans doute un des 2 plus importants registres sur l’infarctus au niveau mondial. Il a permis et permet encore non seulement d’obtenir des renseignements à fort impact clinique potentiel, mais il a aussi été l’occasion de mettre en place une véritable coopération entre pratiquement tous les services de soins intensifs de cardiologie en France, pour lesquels FAST-MI est “leur registre”.
Quel serait votre principal regret ?
Rétrospectivement, je n’ai guère de regrets, car j’ai dans ma carrière toujours joui d’une liberté extraordinaire, dans une période historique où les progrès en cardiologie ont été absolument extraordinaires.
Ce que je crains en revanche c’est le futur. L’encadrement réglementaire de plus en plus étouffant, venant probablement des pays anglosaxons et qui s’oppose à la culture latine à laquelle nous sommes habitués, ne permet ni à la médecine, ni à la recherche médicale de s’exercer de la meilleure manière. Cette tendance touche d’ailleurs bien d’autres domaines que la médecine …
Comment voyez-vous le futur de la cardiologie ?
J’élargirais ma vision à la médecine en général au-delà de la cardiologie et je dois avouer que je suis inquiet de la dérive gestionnaire de la médecine.
Le système a mis en place une collaboration avec des médecins qui agissent comme des courroies de transmission du pouvoir administratif, au détriment de l’intérêt du patient. Ainsi la tarification à l’acte conduit à des situations ubuesques dans lesquelles le système impose de réaliser des actes coûteux pour la société et inutiles pour les patients. La résistance au pouvoir en place est de surcroît quasi-impossible, sous-peine de voir diminuer les moyens financiers et humains mis à disposition des services. J’espère cependant que, lorsque nous aurons touché le fond, nous finirons par remonter.
Sur le plan médical, il y aura sûrement des révolutions mais le propre des révolutions est qu’on ne les voit souvent pas venir. J’en veux pour preuve l’angioplastie qui a surgi de nulle part en 1977 alors que personne n’aurait pu l’imaginer un an auparavant. Peut être réussira-t-on à développer un vaccin contre l’athérome, qui sait…
Selon vous, quels sont les plus gros défi s que la cardiologie devra relever à l’avenir ?
Le plus gros défi à mon sens sera de poursuivre la progression dans un domaine où les progrès obtenus sont déjà majeurs.
La cardiologie est un domaine exigeant où l’objectif est de sauver des vies c’est-à-dire de réduire la mortalité. Cela suppose la mise en place d’études considérables. D’abord en termes de taille car pour démontrer les bénéfices réels au sein de populations dont le pronostic s’est déjà beaucoup amélioré, il faut un nombre très important de patients. Puis en termes de recul temporel, car la maladie coronaire est une maladie qui s’inscrit dans le temps et pour laquelle les bénéfices d’un traitement sont jugés à moyen ou long terme. Il en résulte que les études en cardiologie sont très coûteuses et les laboratoires pharmaceutiques s’en désintéressent de plus en plus, car la prise de risque est trop importante : ils n’ont aucune garantie qu’à l’issue de ces études dans lesquelles ils ont investi massivement, les conditions de mise sur le marché permettront un profit suffisant pour assurer le retour sur investissement.
Le défi est donc de faire comprendre que le combat n’est pas définitivement gagné en cardiologie, d’autant que l’évolution de nos sociétés voit progresser de façon particulièrement inquiétante des facteurs de risque comme le diabète ou l’obésité. Pour preuve, si la fréquence des infarctus a diminué depuis 1990, elle a cessé de baisser depuis quelques années et augmente même dans certaines populations telles que les femmes jeunes. Et la réduction de la mortalité des complications aiguës aboutit aussi à faire croître la fréquence de l’insuffisance cardiaque, où tant de progrès restent à faire.
Quel avenir voyez-vous pour la presse médicale ?
Il est difficile de faire des pronostics car l’arrivée d’internet bouleverse profondément le domaine de l’édition. Il existe deux types de presse médicale : la presse de formation, telle que CORDIAM, et la presse scientifique.
La presse de formation est actuellement quasi-intégralement financée par les acteurs privés notamment par l’insertion de pages de publicité dans les revues. Or il y a de moins en moins d’investissements publicitaires de la part des laboratoires pharmaceutiques. Cela induit donc un problème de financement. Si la presse de formation doit continuer à exister alors il faudra que les cardiologues acceptent de s’abonner à des revues qu’ils recevaient autrefois gratuitement. Ces revues sont importantes car elles contribuent à alimenter le niveau de compétence des cardiologues, par une sorte d’imbibition simple des connaissances, et sans contrainte réglementaire particulière, à la différence de ce qui peut se passer dans d’autres pays avec une formation continue obligatoire. L’expérience montre que les cardiologues français sont parmi ceux qui appliquent le mieux les recommandations, et qui sont donc les mieux formés, malgré l’absence de système rigide de formation.
La presse scientifique souffre elle aussi et cherche un modèle économique viable ; actuellement, avec le système traditionnel, l’accès à un seul article peut coûter de 15 à 40 euros, les abonnements annuels sont très onéreux, ce qui fait que beaucoup d’institutions essaient de réduire le nombre de leurs abonnements. On voit se développer en parallèle des systèmes avec un accès libre aux articles, mais les charges de publication doivent alors être supportées par les auteurs, avec des tarifs de publication souvent de 2000 à 3000 euros ; ici encore, les chercheurs n’ont pas forcément les budgets nécessaires pour assumer de tels frais… En parallèle, et je ne les citerai pas ici, des mouvements libertaires mettent à disposition des liens permettant d’avoir accès gratuitement à l’ensemble des articles scientifiques normalement payants ; ce n’est évidemment pas sans conséquence à terme sur la pérennité même des revues.
En fait, il est sans doute temps d’avoir une réflexion sur la nécessité de multiplier les articles (et les revues qui les publient) et de remettre en cause la règle du “publish or perish” : il faut bien reconnaître que tous les articles publiés (y compris les miens !) ne sont pas toujours essentiels et passionnants. Trop souvent, les publications sont destinées en premier à augmenter les sources de revenus des hôpitaux (les points SIGAPS), et à augmenter la notoriété des auteurs…
Nicolas Danchin,
Paris