Contexte et hypothèse

Chez les patients présentant une fibrillation atriale (FA) associée à une coronaropathie, les anticoagulants sont couramment utilisés en association aux antiagrégants. Cela augmente le risque de saignement de façon significative. Les recommandations européennes de 2016 préconisent une trithérapie (aspirine, inhibiteur de P2Y12 et anticoagulant) pour une durée de 1-6 mois après une angioplastie coronaire, puis une bithérapie par inhibiteur de P2Y12/anticoagulant, puis une monothérapie par anticoagulant.

L’étude AFIRE a émis l’hypothèse que le Rivaroxaban en monothérapie n’est pas inférieur à la bithérapie Rivaroxaban / antiagrégant, chez les patients en FA, qui présentent une coronaropathie stable.

Critères d’inclusion

  • Être âgé d’au moins 20 ans
  • Avoir une FA non valvulaire avec un score de CHADS2 ≥1
  • Avoir une coronaropathie stable : angioplastie percutanée (stent ou ballon) ou pontage coronaire au moins un an avant l’inclusion, sténose coronaire ≥ 50%

Plan d’étude et traitements étudiés

Etude randomisée ouverte menée au Japon, Rivaroxaban 10 ou 15 mg /j ou rivaroxaban 10 ou 15 mg /j et monothérapie antiagrégante (Aspirine 81-100 mg, ou clopidogrel 50-75 mg ou prasugrel 2,5-3,75 mg/j. Évaluation des événements en aveugle.

Critères de jugement     

  • Critères de jugement principal
    • d’efficacité : AVC, embolie systémique, infarctus, angor instable nécessitant une revascularisation et mortalité toute causes confondues
    • de sécurité : saignement majeur défini par les critères ISTH Critères de jugement secondaires Décès toutes causes confondues, éléments séparés du critère principal, décès ou événements cardiovasculaires ischémiques, bénéfice clinique net combinant les critères d’efficacité et de sécurité, saignements

Taille de l’échantillon et hypothèses statistiques

Hypothèse de non-infériorité du traitement anticoagulant seul. Marge de non-infériorité 1,46 ; risque alpha 0,025 (unilatéral). En cas de non-infériorité sur le critère d’efficacité, la supériorité du traitement anticoagulant en monothérapie était testée sur le critère de sécurité ; après clôture de la base de données, il a également été décidé de tester la supériorité de la monothérapie sur le critère principal d’efficacité.

Estimation de la taille de l’échantillon : 2200 patients, 219 événements correspondant au critère principal d’efficacité. Le critère d’efficacité principal a été évalué par des analyses en intention de traiter modifiée. Le modèle de Cox a été utilisé pour estimer le rapport de risque entre les deux bras, et la méthode de Kaplan-Meier a été utilisée pour estimer l’incidence cumulée.

Les mêmes méthodes statistiques ont été appliquées dans l’analyse du critère principal de sûreté, ainsi que pour les critères secondaires.

 

Population

Randomisation de 2236 patients, entre le 23 février 2015 et le 30 septembre 2017 ; 1118 patients par groupe. L’étude a été arrêtée précocement en raison d’un excès de mortalité significatif dans le groupe double thérapie (suivi moyen : 24,1 mois).

Résultats 

  • Critères de jugement principal

Efficacité (évènements CV et mortalité toute causes)

La monothérapie non-inférieure par rapport à la bithérapie sur le critère primaire d’efficacité : 4,14 versus 5,75 % (HR = 0,72 ; IC95 : 0,55-0,95 ; p < 0,001 pour la non-infériorité).

 

Sécurité (saignements majeurs)

On note un sur-risque hémorragique significatif dans le groupe bithérapie : 1,62 versus 2,76 % (HR = 0,59 ; IC95 : 0,39-0,89 ; p = 0,01 pour la supériorité).

  • Critères secondaires

Il y avait plus d’AVC hémorragiques dans le groupe double thérapie : 0,18 versus 0,60 % (HR = 0,30 ; IC95 : 0,10- 0,92). Surtout, on notait plus de décès cardiovasculaires et toutes causes dans le groupe double thérapie : 1,17 versus 1,99 % (HR = 0,59 ; IC95 : 0,36-0,96) et 1,85 versus 3,37 % (HR = 0,58 ; IC95 : 0,38-0,81).

Le bénéfice clinique net est en faveur de la monothérapie : 3,90 versus 6,28 % (HR = 0,62 ; IC95 : 0,47-0,82).

  • Analyses de sous-groupes

Pour ce qui est de l’efficacité comme de la sécurité, on ne note pas d’interaction avec le sexe, l’âge, le type de FA, le diabète la fonction rénale ou la dose de rivaroxaban.

 

Conclusion

Cette étude est la première à évaluer l’efficacité et la sécurité du rivaroxaban en monothérapie, chez des patients en FA présentant une coronaropathie stable. Le rivaroxaban en monothérapie n’est pas inférieur à la bithérapie (rivaroxaban et antiagrégant) pour ce qui est du risque d’évènements cardiovasculaires et de mortalité toutes causes, et il est supérieur au regard des saignements majeurs.

 

Charlotte PATIN, Rennes

 


A propos de l’étude AFIRE…

Gilles Lemesle, USIC et Centre Hémodynamique, Institut Cœur Poumon, Centre Hospitalier Universitaire de Lille

Anticoagulation seule chez le patient coronarien chronique en fibrillation atriale

La gestion des traitements antithrombotiques chez le patient coronarien chronique (à distance de tout épisode aigu ou revascularisation coronaire) nécessitant par ailleurs une anticoagulation au long cours pour une fibrillation atriale est en enjeu majeur en pratique clinique quotidienne. Ces patients ont, en effet, un risque ischémique/ thrombotique plus élevé et un risque hémorragique (en lien avec une fragilité plus importante et l’association de traitements antithrombotiques multiples) également plus élevé que le coronarien lambda. Ainsi, ce type de patients est en moyenne âgé de quasiment 10 ans de plus que le coronarien sans antécédent de fibrillation atriale.

L’étude Japonaise AFIRE a randomisé 2236 patients coronariens chroniques et en fibrillation atriale qui étaient sous double thérapie avant l’inclusion entre une anticoagulation seule par rivaroxaban (10 ou 15 mg par jour – dose japonaise) ou une anticoagulation par rivaroxaban en association avec une mono antiagrégation plaquettaire (aspirine 70% ou clopidogrel 27%, choix à la discrétion des investigateurs des différents centres). Il s’agissait d’une étude randomisée en ouvert de non-infériorité. Le critère primaire d’efficacité était un critère composite de décès toutes causes, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, embole systémique ou angor instable nécessitant une revascularisation coronaire. Le critère de sécurité était un critère de saignement majeur selon la définition de ISTH.

L’étude a été arrêté précocement (3 mois plus tôt que prévu) en raison d’un excès de mortalité significatif dans le groupe double thérapie (suivi moyen de 24,1 mois). Par ailleurs, dans cette étude, le groupe monothérapie a atteint la non-infériorité par rapport au groupe double thérapie sur le critère primaire d’efficacité : 4,14% vs. 5,75% (HR=0,72 [0,55-0,95], p<0,001 pour la non infériorité). Sur le critère de sécurité, on notait un sur-risque hémorragique significatif dans le groupe double thérapie : 1,62% vs. 2,76% (HR=0,59 [0,39-0,89], p=0,01 pour la supériorité). Il y avait notamment plus d’AVC hémorragiques dans le groupe double thérapie : 0,18% vs. 0,60% (HR=0,30 [0,10-0,92]). Surtout, on notait donc plus de décès cardiovasculaires et toutes causes dans le groupe double thérapie : 1,17% vs. 1,99% (HR=0,59 [0,36-0,96]) et 1,85% vs. 3,37%(HR=0,58 [0,38-0,81]). Au final, le bénéfice clinique net était en faveur du groupe monothérapie : 3,90% vs. 6,28%(HR=0,62 [0,47-0,82]). Ces résultats suggèrent donc de privilégier la monothérapie chez ces patients.

Toutefois, plusieurs limites doivent être mises en avant :

– 1. tout d’abord il s’agit d’une étude en ouvert avec les limites inhérentes à ce type de design,

– 2. les doses de rivaroxaban utilisée ne correspondent pas aux doses européennes et les résultats observés dans les études Japonaises ne sont parfois pas reproduits en Europe,

– 3. seul le rivaroxaban a été testé dans cette étude (les autres anticoagulants n’étaient pas autorisés),

– 4. les patients pouvaient recevoir de l’aspirine ou du clopidogrel,

– 5. les patients avaient un risque « coronaire » plutôt faible puisque seuls 35% des patients avaient un antécédent d’infarctus et 70% avaient eu une angioplastie coronaire avec stent.

Pour terminer, d’un point de vue méthodologique, selon le calcul de puissance initial, le taux d’évènement attendu pour le critère primaire dans le groupe double thérapie était de 6,1% par an soit un taux observé qui aurait dû être aux alentours de 12% à la fin du suivi de l’étude et non pas seulement 5,75%. Avec un taux d’évènements aussi faible dans les deux groupes, il était très simple de montrer la non-infériorité sur le critère primaire. Il est en revanche difficile de savoir si ces résultats, y compris ceux observés sur un critère secondaire tel que la mortalité, sont réellement extrapolables à une pratique de vie réelle.

Nous attendons donc avec impatience que l’étude française AQUATIC débute (début 2020). Cette étude a prévu de randomiser en double aveugle cette fois : une stratégie d’anticoagulation seule + placebo (toute anticoagulation possible) et une stratégie d’association anticoagulant + aspirine 100mg/j. En outre, cette étude a prévu d’inclure des patients à risque « coronaire » élevé contrairement à l’étude AFIRE. Cette étude, coordonnée par les Pr Gilard, Cayla et Lemesle, devrait apporter des nouveaux éléments de réponse dans l’avenir

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