Jacques Gauthier, jchm.gauthier@orange.fr

Après l’invention du vin et l’apparition de la viticulture dans l’Antiquité lointaine et en Grèce, nous vous proposons de suivre son cheminement à travers le monde Romain ….

Jusqu’au 2e siècle av. J.-C. les Romains consommèrent essentiellement des vins importés de Grèce dont ceux célèbres de Lesbos ou le Chio mais progressivement des vignobles fi rent leur apparition sur la péninsule italienne et les premiers crus réputés sont mentionnés (Setia, Sorrente, Cécube cher à Auguste…). Pline l’Ancien classa 16 grands crus tout en reconnaissant ne pas être exhaustif ; le plus fameux est le vin de Falerne avec son millésime exceptionnel Opimien (Opimius étant consul en – 121 av. JC) et l’agronome romain Columelle en fournit un rapport détaillé sur la richesse de leurs saveurs et de leurs qualités mentionnant les ajouts d’eau, du gypse, du sel des aromates de la résine, du defrutum… Que l’on ne doute pas cependant de la qualité des vins grecs et romains sur la mention de ces ajouts indispensables à leur conservation ; dans le Satyricon sont mentionnés des crus vieillis 15 ou 20 ans et de grandes caves ont été retrouvées aussi bien en Grèce qu’en Italie ; les caves de Scaurus comptaient plus de 300 000 amphores d’origine et d’âge différents ; celle d’Hortensius, l’avocat rival de Cicéron, plus de 50 000.

Dans sa remarquable Histoire du vin antique, André Tchernia insiste sur le rôle médicinal du vin citant Asclépiade de Bithynie le plus célèbre (après Hippocrate) et riche médecin de Rome célèbre pour son « livre sur la prescription du vin » dont les disciples portaient le titre de médecins prescripteurs de vin.

Les vins de l’antiquité sont célébrés à travers la Grèce et le monde romain par les poètes d’Homère à Ausone. La sacralisation judéo-chrétienne du vin (des noces de Cana à la Cène, du premier miracle à l’eucharistie) prolonge les mythes anciens exprimés dans les fêtes de l’antiquité gréco-romaine. Déjà présente dans la région de la Narbonnaise, la culture de la vigne remonte avec les armées romaines après la conquête des Gaules le long de la vallée du Rhône.

 L’ édit de Domitien (92 ap JC) , répartissant les zones de culture respective de la vigne et des céréales pour protéger les vignobles de l’Italie, fut abrogé par l’empereur Probus (276 ap JC) contribuant au développement des vignes dans tout le monde gallo-romain et la diffusant en Champagne et en Aquitaine. Le climat et le terroir exceptionnels de la Gaule expliquent la qualité des vignobles conduisant à l’abandon progressif de la traditionnelle cervoise en même temps que les tonneaux changent d’affectation à travers un commerce triangulaire troquant vins contre esclaves.

À noter que le vin romain titrait souvent en dessous de 10°et sa consommation était interdite aux femmes… Ce qui serait à l’origine du baiser pour s’assurer du respect de cette règle de conduite dont la transgression était sanctionnée par la peine de mort… Et peut-être bien des époux abusèrent de cette loi.

La décadence de l’Empire romain à la fin du Ve siècle conduisit à une régression importante de la culture de la vigne sous l’occupation des barbares, cependant grands consommateurs mais non-viticulteurs. Les vignobles furent parfois arrachés mais le plus souvent envahis par les ronces. Le glissement du pouvoir administratif et progressivement économique vers les abbayes et les évêchés favorisa lentement une reprise de la culture très sensible en particulier dans l’évêché d’Autun et en Bourgogne. L’émergence d’une noblesse de terre, préoccupée de ses prébendes, participa au sauvetage de la vigne. Au huitième siècle l’empereur Charlemagne, dont la tempérance est légendaire, concéda le monopole de la bière aux abbayes mais aussi couvrit de vignobles les coteaux bien exposés de la vallée du Rhin autour d’Aix-la-Chapelle étendant au nord du 45ème parallèle la culture de la vigne. S’appuyant sur la tradition monastique, les vignobles se développèrent autour des abbayes, profitant des progrès architecturaux avec l’apparition du cellier favorable au vieillissement du vin.

Le hasard voulut que Vincent, fêté le 22 janvier, fût promu saint patron des vignerons car les reliques de ce diacre espagnol, peu soucieux de viticulture, étaient abritées par l’abbaye de Saint-Germain des Prés, premier domaine viticole de France qui récoltait ses raisins dans la région de Suresnes (interprétation parfois mal différenciée avec le mot Suren) ; de surcroît sa prononciation d’origine Vincenzo (vin sans eau) participa à son succès toujours établi aujourd’hui aux dépens de saints plus méritants tels Saint-Martin… Prudence rapporta son supplice à Valence sous les persécutions de Dioclétien, en même temps que son évêque Valère. Sa foi affirmée en dépit des tortures légendaires contribua à son immortalisation.

L’histoire du vin et le développement de la vigne en France font partie intégrante de notre patrimoine national et connurent encore bien des épisodes tantôt liés aux maladies de la vigne tantôt à des guerres commerciales mais avec un souci constant de la qualité réglementée par des appellations et témoignant du goût du travail des viticulteurs hexagonaux.

 

RÉFÉRENCES

Hugh Johnson une histoire mondiale du vin Hachette

Alexandre Dumas mon dictionnaire de cuisine 10/18

Jean-Claude Bologne Histoire morale et culturelle de nos boissons Robert Laffont

Jean Bottero la plus vieille cuisine du monde édition Louis Audibert

Christian Millau petit dictionnaire amoureux de la gastronomie Plon

Marc Lagrange le vin et la médecine éditions Féret

Gilbert Garrier histoire sociale et culturelle du vin in extenso Larousse

André Tchernia, Jean-Pierre Brun le vin Romain antique Glénat

Jean-Robert Pitte, Le désir du vin à la conquête du monde Fayard

Pierre Nora les lieux de mémoire quarto 3 Gallimard
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