Frédéric Schnell, service de médecine du sport,
Hôpital Pontchaillou, CHU Rennes – Frederic.SCHNELL@chu-rennes.fr

 

La réalisation d’un ECG est recommandée par la Société Française de Cardiologie lors de la visite d’absence de contre-indication à la pratique sportive. L’interprétation de l’ECG d’un sportif peut parfois s’avérer difficile. En effet, une activité physique intense et prolongée (>4 heures de sport intense/semaine) peut entraîner un remodelage électrique d’origine physiologique. Ceci s’associe à des modifications ECG liées à l’origine ethnique et à l’âge. Il est impératif de connaître ces modifications physiologiques pour éviter d’une part les fausses réassurances mais également la réalisation d’examens complémentaires injustifiés du fait d’une mauvaise interprétation. La dernière classification internationale de l’ECG de l’athlète publiée en 2017, que nous allons décrire dans cet article, permet de repérer chez quel athlète des examens complémentaires sont nécessaires (Figure 1).

ECG et visite d’absence de contre-indication à la pratique sportive en compétition

Les Sociétés Européenne (ESC) et Française de Cardiologie (SFC) recommandent la réalisation d’un ECG lors de la visite d’absence de contre-indication à la pratique sportive en compétition1. Un ECG est également imposé pour la surveillance médicale des athlètes français sur liste de haut niveau, ainsi que par de nombreuses fédérations sportives internationales pour leurs athlètes élites ou professionnels. La fréquence de réalisation d’un ECG est fixée par un consensus de la SFC, détaillé dans la figure 2. Bien évidemment, en fonction de l’histoire familiale, de l’examen clinique ou d’éventuels symptômes, un ECG pourra être réalisé de manière plus précoce ou plus rapprochée. Par ailleurs chez l’athlète vétéran (>35 ans), la principale étiologie des accidents cardiologiques étant la coronaropathie, un ECG de repos est certes moins rentable, mais toujours conseillé dans le bilan initial.

Classification internationale d’interprétation de l’ECG de l’athlète de 2017²

La pratique sportive intense et régulière (>4 heures de sport intense par semaine) est à l’origine d’un remodelage cardiaque électrique qui peut mimer une cardiopathie. Ce remodelage est inconstant, et ne concerne qu’une faible proportion des sportifs demandant la réalisation d’un certificat pour la pratique du sport en compétition. Néanmoins, les modifications physiologiques induites doivent être connues pour éviter de demander la réalisation d’examens complémentaires inutiles. La dernière classification internationale d’interprétation de l’ECG de l’athlète de 2017 2 distingue des modifications électriques considérées comme : – normales, ne nécessitant pas de bilan en l’absence de symptômes ou d’histoire familiale de cardiopathie héréditaire ou de mort subite ;

limites, ne nécessitant pas de bilan si elles sont présentes de manière isolée, mais nécessitant un bilan si au moins 2 de ces anomalies sont associées

anormales, nécessitant une évaluation complémentaire à la recherche d’une pathologie cardiovasculaire (figure 1). Bien évidemment, en présence de symptômes, d’une histoire familiale suspecte ou d’une anomalie clinique, un ECG normal ne permet pas de

 

Modifications ECG « normales »

Rythme et conduction

Un bloc de branche droit incomplet est à considérer comme normal indépendamment de la pratique sportive. D’autres variations sont à mettre sur le compte de la modification de la balance du système nerveux autonome avec une hypertonie vagale liée à la pratique sportive.

– Une fréquence cardiaque (FC) > 30 battements par minute (bpm) est normale. Un rythme ectopique atrial ou jonctionnel avec des QRS fi ns et une FC < 100 bpm sont
également normaux.
Bien évidemment, une arythmie respiratoire est normale.
– Un bloc atrio-ventriculaire de 1er degré (BAV1) est normal si le PR est < 400 ms • un bloc atrio ventriculaire de 2e degré de type Mobitz 1 est également physiologique chez un athlète asymptomatique.

 

Hypertrophie ventriculaire

– L’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) électrique isolée, sans onde Q pathologique ou trouble de la repolarisation suggérant une cardiopathie hypertrophique, ne doit pas faire réaliser de bilan complémentaire.

–  L’hypertrophie ventriculaire droite est également normale chez un athlète.

 

Repolarisation ventriculaire

Une repolarisation précoce est fréquemment rencontrée chez le sportif. La repolarisation précoce est défi nie par une surélévation du point J ≥ 0.1 mV avec une élévation concave du segment ST. On peut également voir une onde J, qui correspond à un crochetage ou un empâtement de la fin du QRS dans les dérivations inférieures et/ou latérales.

Les ondes T peuvent être négatives en aVR, V1 et D3, indépendamment de la pratique sportive.

Une repolarisation de type juvénile avec des ondes T négatives de V1 à V3 peut se rencontrer chez les jeunes sportifs jusqu’à 16 ans inclus3. Il est important de prendre en compte l’effet de l’ethnie sur la repolarisation. Un sus décalage du segment ST suivi d’une onde T négative de V1 à V4 chez un athlète afro-caribéen est normal4.

 

Modifications ECG « limites »

Certaines particularités ECG nécessitent un bilan si ≥ 2 d’entre elles sont présentes. Dans ce cas, il faudra en 1er lieu réaliser une échocardiographie.

– bloc de branche droit complet entre 120 et 140 ms ;

– déviation de l’axe QRS gauche (axe entre -30° à -90°) ou droite (> 120°) ;

– hypertrophie atriale gauche [onde P prolongée >120 ms en D1 ou D2, avec portion négative ≥1 mm en profondeur et ≥ 40 ms en V1] ou droite [onde P ≥ 2.5 mm en D2, D3 ou aVF].

Modifications ECG « anormales »

Troubles conductifs

Une FC < 30 bpm ou un BAV 1 avec un PR ≥ 400ms doivent faire réaliser un bilan complémentaire. Une exploration à l’effort est le 1er examen à réaliser. Un BAV 2 Mobitz 2 ou un BAV complet nécessitent également de s’assurer d’une bonne tolérance à l’effort, mais il convient également de rechercher une cardiopathie morphologique par une échocardiographie.

 

Troubles du rythme

La présence de ≥ 2 extrasystoles ventriculaires n’est pas normale, et nécessite la réalisation d’une échocardiographie, d’un test d’effort et d’un holter ECG de 24 heures. Si des formes répétitives sont documentées, il faudra poursuivre les explorations, notamment par une IRM cardiaque. Les extrasystoles supra-ventriculaires (ESSV) isolées ne nécessitent pas de bilan. Néanmoins, en cas d’arythmie atriale, il faudra au minimum explorer le sujet par une échocardiographie, un test d’effort et un holter ECG.

 

Ondes Q pathologiques

Les ondes Q pathologiques sont défi nies par un ratio Q/R ≥ 0,25 ou une onde Q ≥ 40 ms, dans au moins 2 dérivations (à l’exclusion de D3 et aVR). La présence d’une onde Q doit faire réaliser une échocardiographie et faire suspecter une coronaropathie chez les patients à risque.

 

 Bloc de branche gauche complet et élargissements du QRS

Un bloc de branche gauche complet (BBGc), ainsi que des QRS ≥ 140 ms nécessitent toujours un bilan complémentaire, en 1er lieu une échocardiographie. La recherche d’une cardiopathie ischémique doit également être envisagée en fonction du terrain en cas de BBGc.

 

Troubles de la repolarisation

Les ondes T négatives sont considérées comme anormales si elles atteignent une profondeur ≥ 1 mm et qu’elles sont présentes dans ≥ 2 dérivations contiguës, à l’exception

– des dérivations aVR, D3 et V1 (de ce fait des ondes T négatives en V1 et V2 ne nécessitent pas de bilan) ;

– de la repolarisation décrite précédemment chez l’athlète afro-caribéen

– ou de la repolarisation de type juvénile.

Un sous-décalage du segment ST est à considérer comme pathologique s’il dépasse ≥ 0,5 mm dans ≥ 2 dérivations contiguës. Ces 2 groupes d’atypies doivent faire rechercher des cardiopathies morphologiques sous-jacentes. En fonction de la localisation des ondes T négatives, la cardiopathie sous-jacente peut varier. En cas d’ondes T négatives en latéral ou inféro-latéral, il conviendra d’éliminer une cardiopathie hypertrophique (CMH), dilatée (CMD), un ventricule gauche non compacté (VGNC), une dysplasie arythmogène du ventricule droit (DAVD) et une myocardite. La présence d’une telle anomalie nécessite de réaliser une échocardiographie,une IRM myocardique, un test d’effort et un holter ECG.

En cas d’ondes T négatives dans le territoire antérieur, les pathologies retrouvées sont la DAVD et la CMD ; il convient donc d’ajouter au bilan précédent la recherche de potentiels tardifs. En cas d’ondes T négatives en inférieur ou d’un sous-décalage ST, le bilan peut être allégé avec réalisation uniquement d’une échocardiographie; une IRM sera réalisée en fonction du contexte. Il peut être utile de compléter par un bilan familial à la recherche d’arguments en faveur d’une cardiopathie héréditaire. En l’absence d’anomalie, un suivi est nécessaire au minimum durant la durée de la carrière sportive de l’athlète 5,6.

 

Anomalies ECG pathognomoniques de cardiopathies rythmiques

Ondes Epsilon : Elles sont pathognomoniques de la DAVD. Comme elles sont généralement visibles à un stade avancé, elles sont le plus souvent associées à d’autres anomalies telles que des ondes T négatives en antérieur. Les explorations à programmer en cas d’ondes epsilon doivent viser à diagnostiquer une DAVD.

Brugada de type 1 : il faudra stratifier le risque global du sportif.

Pré-excitation ventriculaire : Association entre PR court (120 ms. Il convient de vérifier le caractère à risque de la voie accessoire. Un test d’effort peut suffi re dans les rares cas où la pré-excitation disparaît d’un battement sur l’autre lors de l’accélération de la fréquence cardiaque7 . Dans les autres cas, une étude électrophysiologique est nécessaire pour stratifier le risque de cette voie accessoire, afin d’autoriser ou non la poursuite de la pratique sportive. Dans tous les cas, une échocardiographie est nécessaire (CMH, maladie d’Epstein).

Allongement de l’intervalle QT : l’intervalle QT est prolongé par la pratique sportive8 ; par ailleurs, la fréquente bradycardie sinusale rend les formules de corrections moins appropriées. La plus utilisée reste celle de Bazett (QTc = QT/VRR’). La norme est donc différente chez le sédentaire et l’athlète, la valeur seuil de QTc≥480 ms est retenue chez les athlètes féminines et celle de ≥470 ms chez les hommes. Si la fréquence cardiaque est inférieure à 50 bpm il est recommandé de répéter l’ECG, notamment après 2 à 4 semaines de désentrainement. La dynamique du QT doit également être étudiée, via la réponse à la mise en orthostatisme 9 ou lors d’un test d’effort. Il ne faudra pas oublier de rechercher des causes secondaires (médicaments allongeant le QT et hypokaliémie). En fonction de ces premiers éléments, des tests pharmacologiques ou génétiques pourront être proposés.

 

 Enquête familiale

Les cardiopathies responsables de modifications de l’ECG chez l’athlète jeune sont principalement de causes héréditaires, la réalisation d’un ECG chez les apparentés de 1er degré peut donc s’avérer rentable dans la prise en charge diagnostique. Certes, l’absence d’autre cas familiaux ne permet pas d’éliminer une cardiopathie d’origine génétique ; mais la découverte de plusieurs cas d’anomalies de type troubles de la repolarisation ou allongement de l’intervalle QT doit conduire à approfondir encore le bilan 10.

 

Conclusion

Les connaissances concernant les modifications électriques d’origine physiologique ont progressé sur les 10 dernières années. De ce fait le nombre de faux positifs et les surcoûts en découlant ont considérablement diminué rendant l’ECG plus adapté à un dépistage systématique. Néanmoins, il faut garder à l’esprit les limites de cet examen. Il n’est pas sensible dans le dépistage de la coronaropathie et est inefficace dans le dépistage des pathologies de l’aorte. Il peut être normal même en cas de cardiopathie héréditaire. L’ECG doit donc toujours être interprété en tenant compte du contexte familial, d’éventuels symptômes et de l’examen clinique.

Auteur correspondant : Dr. Frédéric Schnell Service de médecine du sport, Hôpital Pontchaillou, CHU Rennes 2 rue Henri le Guilloux, 35000 Rennes, France

 

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.

 

RÉFÉRENCES

  1. Corrado D, Basso C, Rizzoli G, Schiavon M, Thiene G. Does sports activity enhance the risk of sudden death in adolescents and young adults? J Am Coll Cardiol. 2003;42:1959–1963.
  2. Drezner JA, Sharma S, Baggish A, Papadakis M, Wilson MG, Prutkin JM, et al. International criteria for electrocardiographic interpretation in athletes. Br J Sports Med. 2017; 704-731.
  3. Calò L, Sperandii F, Martino A, Guerra E, Cavarretta E, Quaranta F, et al. Echocardiographic fi ndings in 2261 peri-pubertal athletes with or without inverted T waves at electrocardiogram. Heart.2015;101:193–200.
  4. Papadakis M, Carre F, Kervio G, Rawlins J, Panoulas VF, Chandra N, et al. The prevalence, distribution, and clinical outcomes of electrocardiographic repolarization patterns in male athletes of African/Afro-Caribbean origin. Eur Heart J. 2011;32:2304–2313.
  5. Schnell F, Riding N, O’Hanlon R, Axel Lentz P, Donal E, Kervio G, et al. Recognition and signifi cance of pathological T-wave inversions in athletes. Circulation. 2015;131:165–173..
  6. Sheikh N, Papadakis M, Wilson M, Malhotra A, Adamuz C, Homfray T, et al. Diagnostic Yield of genetic testing in young athletes with T-wave inversion. Circulation. Circulation. 2018;138:1184-1194.
  7. Daubert JC, Ollitrault J, Descaves C, Mabo P, Ritter P, Gouffault J. Failure of the exercise test to predict the anterograde refractory period of the accessory pathway in Wolff Parkinson White Syndrome. Pacing and ClinElectrophysiol. 1988;11:1130–1138.
  8. Funck-Brentano C, Jaillon P. Rate-corrected QT interval: techniques and limitations. Am J Cardiol. 1993;72:17-22.
  9. Viskin S, Postema PG, Bhuiyan ZA, Rosso R, Kalman JM, Vohra JK, et al. The response of the QT interval to the brief tachycardia provoked by standing: a bedside test for diagnosing long QT syndrome.J Am Coll Cardiol. 2010;55:1955-61
  10. Schnell F, Carré F. Letter by Schnell and Carré Regarding Article, “Diagnostic Yield of Genetic Testing in Young Athletes With T-Wave Inversion”. Circulation. 2019;139:994–995
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