Enseignement par Simulation : une Révolution pour notre Formation en Cardiologie ?

Introduction

Ces dernières années, la formation des étudiants en médecine vit une réelle mutation avec une place croissante de l’enseignement par simulation. En effet, la simulation est récemment devenue une obligation légale dans l’évaluation des étudiants en médecine de 2e cycle (loi Santé 2022)1.
Cependant, comme nous allons le voir, la simulation n’est pas seulement dédiée aux plus jeunes, mais aussi aux cardiologues plus expérimentés ! Tout comme les pilotes d’avion de ligne, qui sont régulièrement soumis à des entraînements sur simulateur afin de vérifier le maintien de leurs compétences à réagir dans certaines situations de crise, la simulation pourrait devenir une des méthodes de formation continue des cardiologues. Toutefois, dans une récente enquête internationale auprès de 172 jeunes cardiologues de moins de 40 ans, issus de 43 pays, seuls 48% des participants avaient déjà suivi une formation par simulation, tandis que 91% jugeaient cette méthode d’enseignement « nécessaire » en cardiologie2.
La Commission d’Enseignement par Simulation de la Société Française de Cardiologie (SFC) a pour objectif de répondre à cette problématique à travers ses principales missions : faire connaître et développer l’utilisation de la simulation en Cardiologie, véritable bras armé de la formation continue dans les prochaines années3.
Afin de continuer à promouvoir la simulation en Cardiologie, nous allons aborder à travers cet article, l’historique et le rationnel de l’enseignement par simulation en médecine, puis nous présenterons de façon pratique les grandes applications de la simulation en Cardiologie.

 

L’Histoire de l’Enseignement par Simulation en médecine

La toute première expérience de simulation appliquée à la médecine est décrite en France, au XVIIIe siècle, par Angélique du Coudray qui avait développé un mannequin en tissu pour former à l’accouchement. Alors que des simulateurs plus sophistiqués ont été introduits dans l’aviation dans les années 1920, la première utilisation documentée d’un mannequin n’a eu lieu en médecine qu’en 1960, lorsqu’un groupe d’anesthésistes a collaboré avec un fabricant de jouets pour développer un simulateur grandeur nature d’un patient en arrêt cardiaque4. Par la suite, un simulateur commandé par ordinateur a été développé pour enseigner l’intubation orotrachéale5. Grâce aux progrès techniques et éthiques, la simulation est désormais considérée comme la pierre angulaire de la formation médicale3 , avec des pratiques en France réglementées par les autorités6.

 

Rationnel de l’Enseignement par Simulation

Le rationnel de l’Enseignement par Simulation est souvent résumé par cet adage « Jamais la première fois sur le patient !7 » En effet, nous avons tous appris la médecine à travers l’ancien adage « Vois une fois, fais une fois, puis apprends-le » qui reflète une vieille tradition où les patients étaient utilisés à la fois comme source principale et comme sujet de formation médicale. Dans un souci éthique et pratique d’une sécurité du patient et d’un apprentissage de l’apprenant dans un environnement serein, nos pratiques d’enseignement ont évolué. Pour aller plus loin, on pourrait même espérer que cet adage soit bientôt remplacé par « Jamais la première fois sans formation par simulation !3 ». En cardiologie, la simulation est particulièrement bien adaptée pour apprendre et maintenir un niveau de compétence pour pratiquer en toute sécurité les compétences techniques autant que développer les compétences non techniques, comme le travail en équipe7

 

Ainsi, la conférence de consensus sur la recherche en simulation de la Society for Simulation in Healthcare (SSH)8 a identifié 10 objectifs majeurs de recherche en simulation dont les principaux évalués en cardiologie sont :
– Évaluation pour l’apprentissage des compétences procédurales : gestes techniques (ETO, coronarographie, ponction transseptale…), aptitudes psychomotrices…
– Évaluation de la formation en équipe : développement des compétences d’équipes (communication)
– Étude des facteurs influençant les performances humaines : identification des facteurs modifiant les performances individuelles ou en équipe.
– Étude des processus d’apprentissage liés au débriefing au cours des séances de simulation haute-fidélité.

Il est important de préciser qu’il existe de nombreuses études ayant montré l’efficacité des programmes de simulation en Evidence Based Medicine. On distingue classiquement quatre niveaux de preuve selon le modèle de Kirkpatrick9 :

– 1er niveau : on évalue la satisfaction des étudiants (premier niveau toujours évalué dans les études car à la base de la pédagogie, mais non suffisant).
– 2ème niveau : connaissances et compétences acquises
– 3ème niveau : modification des comportements
– 4ème niveau (le « graal » de la recherche en simulation): démontrer le bénéfice clinique sur la prise en charge des patients (diminution de la morbi-mortalité…).

En effet, au-delà de son intérêt en tant qu’outil pédagogique efficace, la simulation des procédures interventionnelles permet de réduire les complications iatrogènes. Ainsi, une étude a montré que le nombre de complications lors de la mise en place d’un cathéter veineux central diminuait significativement dans le groupe ayant suivi un programme de simulation, par rapport au groupe ayant reçu une formation traditionnelle10. Plus récemment, une méta-analyse a montré que la présence d’un programme de simulation sur la gestion de l’arrêt cardiaque dans des centres de réanimation permettait une augmentation de la survie des patients avec arrêts cardiaques, comparé à des centres dispensant une formation traditionnelle11.

 

Place de la Simulation dans la Gestion de Situations de Crise

La simulation de situations de crise en cardiologie permet de travailler sur la gestion d’une urgence vitale tant à l’échelle individuelle qu’à l’échelle de l’équipe toute entière. Il est possible de proposer des scénarios d’arrêt cardiaque, d’arythmies ventriculaires potentiellement mortelles ou d’œdème aigu du poumon sévère12.
Ainsi, ce type de simulation avec scénario en équipe permet d’identifier de potentiels dysfonctionnements organisationnels au sein de l’équipe. Un débriefing constructif avec vidéo est réalisé afin d’identifier ces faiblesses et d’améliorer la performance globale de l’équipe13.

 

Place de la Simulation en Cardiologie Interventionnelle

La cardiologie interventionnelle est une cible de choix pour l’enseignement par simulation en raison de ses aspects techniques et de ses protocoles qui impliquent des complications potentiellement graves. Il existe différents simulateurs très sophistiqués permettant de se former à l’angioplastie coronaire avec implantation de stent ou des procédures plus complexes avec utilisation d’un Rotablator, ou encore la mise en place d’un TAVI (Figure 1). Par exemple, au cours d’une simulation de coronarographie avec implantation de stent, l’apprenant pourra réaliser les actes suivants : ponction d’un accès artériel, passage du guide jusqu’aux artères coronaires, injection de produit de contraste, obtention des vues appropriées, implantation du stent et réalisation d’une hémostase.

 

Les cardiologues spécialistes en rythmologie ont également à leur disposition différents simulateurs dédiés, permettant de simuler par exemple une ponction transseptale utile lors de certaines procédures d’ablation ou encore la réalisation de cartographies 3D d’activation lors d’une exploration électrophysiologique endocavitaire (Figure 2).

 

 

Au-delà de se former au geste technique lui-même, la simulation joue un rôle crucial pour permettre à l’équipe médicale et paramédicale de se former à la gestion des complications interventionnelles. Ainsi, l’objectif de la simulation en cardiologie interventionnelle ne sera pas seulement de former les jeunes praticiens mais aussi d’assurer un entrainement régulier de type formation continue pour les cardiologues expérimentés. En effet, il est capital de maintenir ses compétences afin de réagir à une situation d’urgence, notamment en cas de complications rares mais sévères comme par exemple la dissection coronarienne péri-procédurale.
Exactement comme le pilote d’avion qui s’entraîne des dizaines de fois pour savoir réagir à une situation de crise extrêmement rare qu’il ne rencontrera peut-être même pas dans sa carrière, l’équipe de cardiologie interventionnelle a un intérêt majeur à régulièrement vérifier ce maintien des connaissances et compétences, y compris pour les situations les plus exceptionnelles.

 

Place de la Simulation pour l’ETO

La simulation est utile pour l’apprentissage de l’échocardiographie, à la fois transthoracique (ETT) et transoesophagienne (ETO)14 (Figure 3).

 

 

En effet, l’ETT sur simulateur est utile pour enseigner l’anatomie et la physiologie cardiaques aux étudiants en médecine15. De plus, Bernard et al. ont montré qu’un court programme d’auto-apprentissage basé sur l’acquisition de connaissances de base en ETT sur simulateur pouvait être utile à une population de novices en échocardiographie16. Concernant l’ETO, plusieurs études randomisées ont établi une amélioration des compétences psychomotrices et des connaissances en ETO après une formation sur simulateur ETO comparativement à un enseignement traditionnel17,18. Cependant, il existe encore quelques limitations techniques comme la sensation d’introduction de la sonde dans l’œsophage, laquelle n’est actuellement pas reproduite par simulateur.

 

Conclusion

Le développement de l’enseignement par simulation est aujourd’hui une véritable nécessité pour l’avenir de notre profession. Comme nous venons de le voir, la simulation peut être utile aux plus jeunes dans leurs objectifs de formation mais aussi aux cardiologues expérimentés afin de maintenir un niveau élevé de compétences techniques comme non techniques. La simulation deviendra dans les années à venir l’un des outils incontournables de la formation continue des cardiologues, permettant de garantir un maintien des compétences et du savoir-faire tout au long d’une carrière.

 

Théo Pezel
Service de Cadiologie, CHU Lariboisière, Unité INSERM-UMR 942, Paris, France. Actuellement en mobilité au sein du département d’imagerie cardiovasculaire, Johns Hopkins Hospital, Baltimore, USA

Anne Bernard
Service de Cardiologie, CHU de Tours Centre Régional d’Enseignement par la Simulation en Santé (CRESiS), Université de Tours
Présidente de la Commission d’Enseignement par Simulation de la SFC

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt en lien avec cet article.

 

 

 

RÉFÉRENCES

1. Site internet : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b1762_rapport-avis.pdf.
2. Pezel T, Coisne A, Mahmoud-Elsayed H, Mandoli GE, Moharem Elgamal S, Podlesnikar T, Cameli M, Grapsa J, Lafi tte S, Edvardsen T, Donal E, Dreyfus J. EACVI Communication Paper: First International Young dedicated Multimodal Cardiovascular Imaging Simulation Education Event Organized by the ESC. Eur Heart J – Cardiovasc Imaging. 2019;
3. Pezel T, Coisne A, Picard F, Gueret P, French Commission of Simulation Teaching of the French Society of Cardiology. How simulation teaching is revolutionizing our relationship with cardiology. Arch Cardiovasc Dis. 2020;113:297–302.
4. Grenvik A, Schaefer J. From Resusci-Anne to Sim-Man: The evolution of simulators in medicine: Crit Care Med. 2004;32:S56–S57.
5. Denson JS, Abrahamson S. A computer-controlled patient simulator. JAMA. 1969;208:504–508.
6. Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé. Haute Autorité de Santé (HAS). https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2013 01/guide_bonnes_pratiques_simulation_ sante_guide.pdf.
7. Gosai J, Purva M, Gunn J. Simulation in cardiology: state of the art. Eur Heart J. 2015;36:777–783.
8. Dieckmann P, Phero JC, Issenberg SB, Kardong-Edgren S, Ostergaard D, Ringsted C. The fi rst research consensus summit of the Society for Simulation in Healthcare: conduction and a synthesis of the results. Simul Healthc 2011;6(Suppl):S1-S9.
9. Kirkpatrick DL, Kirkpatrick JD. Evaluating training programs: the four levels. San Francisco: Berrett-Koehler Publishers; 2006.
10. Barsuk JH, Cohen ER, Feinglass J, McGaghie WC, Wayne DB. Use of Simulation-Based Education to Reduce Catheter-Related Bloodstream Infections. Arch Intern Med. 2009;169:1420.
11. Mundell WC, Kennedy CC, Szostek JH, Cook DA. Simulation technology for resuscitation training: a systematic review and meta-analysis. Resuscitation. 2013;84:1174–1183.
12. Gaba DM, Howard SK, Flanagan B, Smith BE, Fish KJ, Botney R. Assessment of clinical performance during simulated crises using both technical and behavioral ratings. Anesthesiology. 1998;89:8–13. Savoldelli GL, Naik VN, Park J, Joo HS, Chow R, Hamstra SJ. Value of Debriefi ng during Simulated Crisis Management: Oral versus Video-assisted Oral Feedback. Anesthesiology. 2006;105:279–285.
14. Dreyfus J, Donal E, Pezel T. Moving Into a New Era for Echocardiography Education With Simulation and Workshop-Based Training. JACC Case Rep. 2020;S2666084919306734.
15. Hammoudi N, Arangalage D, Boubrit L, Renaud MC, Isnard R, Collet J-P, Cohen A, Duguet A. Ultrasound-based teaching of cardiac anatomy and physiology to undergraduate medical students. Arch Cardiovasc Dis. 2013;106:487–491.
16. Bernard A, Chemaly P, Dion F, Laribi S, Remerand F, Angoulvant D, Ivanes F. Evaluation of the effi cacy of a self-training programme in focus cardiac ultrasound with simulator. Arch Cardiovasc Dis. 2019;112:576–584.
17. Weber U, Zapletal B, Base E, Hambrusch M, Ristl R, Mora B. Resident performance in basic perioperative transesophageal echocardiography: Comparing 3 teaching methods in a randomized controlled trial. Medicine (Baltimore). 2019;98:e17072.
18. Ferrero NA, Bortsov AV, Arora H, Martinelli SM, Kolarczyk LM, Teeter EC, Zvara DA, Kumar PA. Simulator training enhances resident performance in transesophageal echocardiography. Anesthesiology. 2014;120:149–159.

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