L’immunothérapie anticancéreuse fait l’objet de recherche depuis quelques décennies mais c’est avec la découverte des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire (ICI) que la révolution a eu lieu. Il a été découvert les voies essentielles à la tolérance immunitaire induite par les cellules cancéreuses. Ces voies passent par une anergie des lymphocytes-T via l’activation de CTLA-4 (cytotoxic T lymphocyte antigen- 4) ou encore du récepteur PD-1 des Lymphocytes-T (programmed cell death-1) via son ligand PD-L1 (programmed cell death ligand-1), exprimé par les cellules cancéreuses.1
L’inhibition isolée ou combinée de CTLA-4, PD-1 ou PD-L1 permettent une restauration de la réponse immune antitumorale. Ainsi, des inhibiteurs spécifiques (anticorps monoclonaux [mAb] administrés par voie intraveineuse) ont été développés notamment : un anti-CTLA-4 (ipilimumab); des antiPD-1 (pembrolizumab, nivolumab, cemiplimab) et des anti-PD-L1 (atézolizumab, avélumab, durvalumab). Ces traitements sont efficaces dans de nombreux cancers, notamment lorsque les tumeurs sont très immunogènes comme les mélanomes, passant de quelques mois de survie sans traitement à plusieurs années.1
Néanmoins, le principal effet indésirable des ICI est la survenue d’une auto-immunité pouvant affecter n’importe quel organe et pouvant être responsable d’une létalité dans environ 1% des patients traités.2 Ces toxicités immuno-induites (ToxI) sont en augmentation avec l’extension des indications des ICI. Les ToxI peuvent survenir à la fois précocement après l’instauration du traitement, environ 1 mois après la première injection (voire 15 jours en cas de combinaison d’ICI) mais également à distance de leur administration, jusqu’à plusieurs mois après la dernière injection voire au-delà.2 Ces délais peuvent être expliquées par les temps de demi-vie long (semaines/mois) des ICI, mais aussi par la saturation très lentement réversible de leur cibles conduisant à une hyperactivation prolongée du système immunitaire.2
Les principales atteintes cardiaques induites par les ICI, sont graves mais rares, incluant des myocardites aigues associées à des troubles du rythme ou de la conduction ventriculaire et des dysfonctions ventriculaires gauches et les péricardites immuno-induites. Des vascularites et des syndromes de Takotsubo ont également été rapportés.3 Par ailleurs, un nombre croissant de cas d’infarctus du myocarde ont été répertoriés dans la littérature bien que l’imputabilité des ICI ne soit pas encore définitivement établie.4 La physiopathologie de ces atteintes est une infiltration massive du myocarde et du système cardiovasculaire par des macrophages et des lymphocytes-T CD4+ et CD8+ activés qui détruisent les organes.5 Les myocardites immuno-induites sont rares et leur incidence est estimée entre 0,25 et 1,14%.3 Elles surviennent plus fréquemment dans le premier mois suivant la première administration et/ ou lors des deux à trois premières administrations.3 Si elles sont exceptionnelles, elles sont particulièrement sévères, avec une mortalité évaluée jusqu’à 67% en cas de combinaison d’ICI.3 La myocardite doit être évoquée devant des symptômes d’installation récente (dyspnée, douleur thoracique, syncope, palpitations, œdème aiguë du poumon, état de choc), une élévation d’un biomarqueur (Troponine I ou T) et/ ou une modification de l’ECG. La quasi-totalité des patients présentant une myocardite ont des taux circulant de troponine et des ECG anormaux.6 On retrouve une association fréquente entre myocardites et myosites secondaires aux ICI (activation du système immunitaire avec cible partagée entre muscle cardiaque et autres muscles de l’organisme). Plus d’un tiers des malades présentant une myocardite-ICI ont aussi une myosite-ICI.3 Les atteintes des muscles respiratoires et notamment diaphragmatiques dans ces formes de myosites sont particulièrement sévères et doivent être dépistées systématiquement, particulièrement par un gaz du sang recherchant une hypercapnie infraclinique ou dans le bilan étiologique d’une hypoxémie avec fonction cardiaque normale. Les patients présentant une suspicion de myocardite aiguë doivent être admis initialement en soins intensifs spécialisées pour surveillance du rythme cardiaque (tachycardie ventriculaire et blocs conductifs de haut degré menaçant le pronostic vital dans plus de 30% des patients),7 échographie transthoracique à la recherche d’une dysfonction ventriculaire gauche, et IRM cardiaque (hypersignal T1 et T2, rehaussement tardif en cas de nécrose mais sensibilité et spécificité très imparfaite dans ce contexte 8 ). La fraction d’éjection du ventricule gauche peut être conservée dans la moitié des cas.7 Le pronostic est souvent aux arythmies cardiaques potentiellement fatales.7 La coronarographie est réalisée quasi-systématiquement afin d’éliminer un diagnostic différentiel, et permet de réaliser dans le même temps des biopsies endo-myocardiques afin de confirmer le diagnostic (gold-standard).9 L’administration d’ICI doit être interrompue le temps que le diagnostic de certitude soit obtenu. L’instauration d’un traitement par corticoïdes constitue le traitement de première ligne mais est dans la majorité des cas insuffisants.10 Dans les formes fulminantes avec instabilité hémodynamique, rythmique ou association avec une atteinte des muscles respiratoires, le recours à d’autres traitements immunosuppresseurs devra être discuté par des équipes pluridisciplinaires expertes.1, 11, 12
CORDIAM, Supplément digital, Nov 2021, N°1
Joe-Elie Salem,
MD, PhD, Sorbonne Université, APHP, Sorbonne Université, INSERM, CIC-1901,
Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Département de Pharmacologie, UF de Pharmacologie
cardiovasculaire et oncologique Cardio-Oncologie, UNICO-GRECO Cardio-oncology program,
75013, Paris, France
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