Étude « ADDICTO-USIC » : Évaluation de la prévalence et de l’impact pronostique de la consommation de substances addictives en Unités de Soins Intensifs de Cardiologie (USIC)

 

Nouvelle forme de recherche impliquant un « binôme jeune / sénior » sur chaque centre ! Étude conjointe entre le groupe Urgences et Soins intensifs de Cardiologie (USIC) et le Collège des cardiologues en Formation (CCF) de la Société Française de Cardiologie.

 

Au sein de la Société Française de Cardiologie, le Groupe Urgences et Soins Intensifs de Cardiologie (USIC) favorise depuis longtemps les échanges avec les jeunes du Collège des Cardiologues en Formation (CCF). C’est dans cette dynamique que l’idée de l’étude « ADDICTO-USIC » a été pensée permettant de recueillir des données épidémiologiques inédites sur la prévalence et l’impact pronostique de la consommation de diverses toxiques et médicaments à risque d’addiction. Sur le plan du financement, c’est l’obtention par le Pr Patrick Henry au nom du groupe USIC d’une Dotation Recherche de la Fondation Cœur et Recherche de 150 000 euros qui a rendu possible la réalisation de cette large étude multicentrique sur près d’une quarantaine de centres à travers la France métropolitaine et les Outre-mer. L’objectif de cet article est de revenir ensemble sur cette incroyable aventure humaine et scientifique, dans un esprit constant de mentorat entre jeunes et séniors, en présentant le rationnel et le principe de cette étude : un premier exemple d’une collaboration entre jeunes du CCF et cardiologues « séniors » de l’un des groupes de la SFC.

 

Contexte du projet 

 

En population générale, l’INSEE rapporte que près de 5% des français souffriraient d’une addiction médicamenteuse ou liée aux drogues, sans compter le tabac ou l’alcool. Il s’agit donc d’un enjeu qui touche seulement une partie limitée de la population mais avec des conséquences souvent graves. En effet, 100 000 décès/an seraient liés à ces addictions (hors tabac et alcool) selon les dernières données de l’INSEE (https://www.insee.fr). De plus, nous savons qu’au-delà des conséquences somatiques de la consommation de ces substances, un retentissement psychologique, social et rapidement économique intervient pour les patients. Il s’agit donc bien d’un véritable problème de santé publique majeur dans notre société.

 

L’enjeu de mieux cerner et de mieux prendre en charge les patients souffrant d’une addiction n’est pas récent. Cependant, la pandémie mondiale liée à la COVID-19 a créé un état de morosité, voire de dépression collective, rapporté par plusieurs instituts de sondage. Ainsi, en France, plusieurs enquêtes rapportent depuis le mois d’avril 2020, une augmentation importante de certains stupéfiants comme le cannabis, de la consommation d’alcool mais également de certains médicaments comme les anxiolytiques et les antidépresseurs. C’est pourquoi, ce contexte sanitaire extrêmement difficile, depuis plus d’un an maintenant pour la population française, rend la question des conséquences des addictions encore plus cruciale pour notre communauté scientifique mais aussi pour la population générale… Les résultats de l’étude ADDICTO-USIC n’en seront que plus attendus.  

 

Mais alors, quel est le rationnel de s’intéresser aux consommations de ces addictions en Unité de Soins Intensifs de Cardiologie (USIC) ? Il est décrit au travers d’une succession de petits effectifs dans la littérature, un nombre important de complications cardiovasculaires liées à ces substances. En effet, la quasi-totalité de ces substances (cocaïne, cannabis, alcool, antidépresseurs tricycliques…) entraînent des complications cardiovasculaires variées, allant d’un syndrome coronaire aigu, au tableau d’insuffisance cardiaque aigu avec myocardite, en passant par des troubles du rythme ou de la conduction. Cependant, les conséquences cardiologiques de ces différentes substances n’ont jusqu’alors été évaluées qu’au travers de cohortes de taille limitée, ou le plus souvent monocentriques. Par ailleurs, la question clinique posée en pratique quotidienne n’est pas celle de l’addiction mais bien celle de la polyaddiction ! Ainsi, comme aiment le rappeler les addictologues : « un train peut souvent en cacher un autre ». Autrement dit, il a déjà été rapporté que l’addiction à une première substance est un risque majeur de devenir addictif à une autre substance ou plus. Par ailleurs, plusieurs études de basic science ou sur de petits effectifs ont rapporté des phénomènes synergiques entre ces drogues, avec une aggravation du pronostic et de l’impact clinique, en cas d’association de ces substances. Cependant, aucune étude multicentrique n’a pour l’instant proposé un effectif suffisant permettant d’évaluer avec suffisamment de puissance statistique, l’impact clinique de ces phénomènes synergiques de polyaddiction.

 

Objectifs de l’étude 

 

L’étude ADDICTO-USIC est une cohorte prospective avec un recrutement systématique et consécutif de tous les patients hospitalisés en USIC, avec pour objectifs : 

  • Mesurer la prévalence de l’utilisation des substances psychoactives, médicaments, alcool et tabac chez tous les patients hospitalisés en USIC ; 
  • Étudier l’association statistique entre ces différentes substances comme facteur d’exposition et la sévérité clinique initiale en USIC lors de l’hospitalisation ; 
  • Évaluer l’impact pronostique en termes d’évènements cardiovasculaires et de mortalité, de la consommation de ces substances à 6 mois et à 1 an de suivi.

 

Présentation du design de l’étude 

 

Sur la période de recrutement du mois d’avril 2021, cette étude de cohorte prospective a permis de recruter 1576 patients sur 39 centres à travers la France (Tableau 1 – Liste des centres participants). Tous les patients hospitalisés en USIC ont été recrutés de façon systématique et consécutive, avec recueil de nombreuses données cardiologiques (cliniques, échocardiographie, ECG, biologie…) et d’addictologie (recherche de toxiques, mesure du CO expiré, questionnaires d’addiction…).

 

Tout l’intérêt de ce projet à grand échelle est la constitution d’un large registre national de l’impact cardiovasculaire de ces substances addictives. Aucune étude de ce type n’a été proposée jusqu’à maintenant dans la littérature. Ainsi, ce projet constitue probablement la première base mondiale évaluant l’impact cardiovasculaire de l’ensemble de ces addictions. De plus, le véritable plus de ce projet réside dans le fait d’évaluer les conséquences de la polyaddiction. En effet sur le plan statistique, nous mesurerons l’impact de chaque toxique pris séparément dans un premier temps, ensuite nous étudierons l’impact d’association de toxiques. Par exemple, nous déterminerons si la prise de cocaïne et de cannabis est plus grave sur le plan cardiovasculaire que la cocaïne seule. Le financement institutionnel de ce projet permet d’assurer la réalisation d’un suivi systématique de tous les patients, à 6 mois et à 1 an, réalisé par des assistant(e)s de recherche clinique qui renseigneront de façon prospective les évènements suivants : mortalité toute cause, mortalité cardiovasculaire, infarctus du myocarde, hospitalisation pour insuffisance cardiaque, AVC, pose d’un défibrillateur ou d’un pacemaker.  

 

La liste des 39 centres participants au projet ADDICTO-USIC est disponible sur e-cordiam.fr.

 

Détails pratiques des toxiques et substances mesurés

 

L’originalité de ce travail repose incontestablement sur l’utilisation d’un kit de dosage urinaire « multi-drogues » de grande fiabilité et permettant une recherche simultanée de 10 types de substances (Figure 1). Ainsi en utilisant ce kit de dosage, l’équipe dispose en 5 minutes, d’un résultat fiable permettant de détecter la prise de stupéfiants (cannabis, cocaïne, héroïne, morphine et opiacées, amphétamines et ecstasy) mais également de médicaments à haut risque addictif (barbituriques, benzodiazépines, antidépresseurs tricycliques, méthadone et subutex). La fiabilité du kit qui a été utilisé est excellente (validée à 97-99%).

 

 

De nombreuses études ont évalué l’impact du tabac sur le plan cardiovasculaire. Cependant, la très large majorité de ces études ont évalué le tabac de façon déclarative, c’est-à-dire que c’est le patient qui déclare être fumeur ou non et quantifié sa consommation récente de tabac. Aussi, il existe alors un biais de mémorisation systématique à ce type d’étude. Ainsi, la seconde originalité de ce travail est de proposer une « authentification du tabagisme actif » systématique pour tous ces patients hospitalisés en USIC, à travers la mesure du CO expiré chez tous les patients. En effet, chaque centre était doté d’une machine de dosage du CO expiré. La mesure relevée a un double intérêt : tout d’abord authentifier le tabagisme actif en s’amendant de ce risque de biais de mémorisation, mais également en permettant une mesure quantitative de la consommation récente du tabagisme actif.

 

Questionnaires spécifiques en addictologie 

 

Au-delà d’une évaluation cardiovasculaire complète et robuste, cette étude s’est accompagnée d’une « évaluation addictologique » de ces patients. En effet, nous avons utilisé plusieurs questionnaires évaluant le degré d’addiction de ces patients, avec notamment le questionnaire FACE pour le degré d’addiction à l’alcool, et le questionnaire de Fagerström pour la quantification de l’addiction au tabac. Ainsi cette étude a permis, au-delà de simplement associer une consommation de substance à un évènement clinique, d’évaluer comment le degré d’addiction du patient permet potentiellement de moduler la force de cette association. 

 

Une donnée unique à travers la photographie systématique de l’ECG

 

C’est encore un point clé de ce projet : le premier ECG de ces patients a été photographié par l’investigateur avec une analyse a posteriori, prévue par un corelab dédié d’experts en rythmologie. Nous le savons, l’ensemble de ces substances entraîne de nombreuses anomalies de l’ECG : effet stabilisant de la membrane, modification du segment ST, troubles de la conduction, troubles du rythme… Cependant là encore, seules des études avec des effectifs limités ont évalué les conséquences de ces substances sur le plan électrocardiographique. Ainsi, l’étude ADDICTO-USIC constitue également la première base mondiale d’analyse d’ECG rattachés à une consommation d’addiction en USIC.

 

Principe d’un binôme par centre : « le compagnonnage aussi dans la recherche »

 

L’essence de ce projet repose sur une COLLABORATION PERMANENTE ENTRE JEUNES ET SENIORS. Ainsi, sur chacun des centres impliqués dans cette étude, un jeune du CCF et un senior rattaché au groupe USIC seront impliqués et valorisés. De plus, nous avons mis en place une proposition de groupes de travail (rythmologie, syndrome coronaire aigu, insuffisance cardiaque, imagerie…) afin que jeunes et seniors travaillent sur des études ancillaires à partir de cette base de données, permettant de répondre à de nombreuses questions sur l’ensemble de ces substances. Enfin, le comité de pilotage de l’étude (steering committee) est constitué à 50% de membres du bureau du CCF et à 50% de membres du bureau du groupe USIC ! 

Plusieurs séniors évoquent souvent le fait que les jeunes sont de moins en moins intéressés par la recherche… Et bien ce projet collectif, porté par le CCF, est un signal fort que de nombreux jeunes sont intéressés et motivés pour participer à ce type de projet collaboratif. Cependant, pour les jeunes, l’initiation d’une grosse étude est complexe et c’est à travers ce compagnonnage avec leur senior que l’aventure peut prendre vie, comme c’est le cas ici avec l’étude ADDICTO-USIC.

 

Importance d’un financement institutionnel par Dotation recherche de la Fondation Cœur et Recherche

 

C’est indéniablement l’élément indispensable à la création de ce projet incroyable à l’échelle nationale : le financement à hauteur de 150 000 euros de ce projet par la Dotation recherche de la Fondation Cœur et Recherche. En effet, le groupe USIC avait candidaté à cette dotation afin d’obtenir un soutien permettant l’achat des kit urinaires de dosage, mesure du CO expiré et surtout de pouvoir rémunérer les assistant(e)s de recherche clinique qui assureront le suivi.

Nous tenons ici à remercier à nouveau la Fondation Cœur et Recherche, ainsi que l’ensemble de ses donateurs et mécènes, sans lesquels ce projet n’aurait pas pu être imaginé et proposé aux jeunes. En plus de son engagement à faire avancer la recherche cardiovasculaire, l’une des priorités de la fondation Cœur et Recherche est l’émergence de jeunes équipes de recherche par le biais du mentorat.

 

 

Conclusion

 

L’étude ADDICTO-USIC, constitue une cohorte prospective évaluant de façon systématique et consécutive, les conséquences cardiovasculaires à court et moyen terme de la consommation de substances psychoactives et de médicaments en USIC. Mais au-delà d’une simple étude de recherche clinique, c’est un avant tout l’exemple d’une belle collaboration entre jeunes et seniors, à travers 39 centres en France, autour d’une thématique qui offre une vraie possibilité d’explorer de nombreux versants de la cardiologie. 

 

Un grand merci à tous les jeunes et seniors investigateurs de ce projet !

 

Théo Pezel (Vice-président du CCF, co-investigateur principal de l’étude ADDICTO-USIC, Chef de clinique-assistant (CCA) au CHU Lariboisière à Paris) 

Patrick Henry (Past-président du groupe USIC de la SFC, co-investigateur principal de l’étude ADDICTO-USIC, Cardiologue au CHU Lariboisière à Paris)

 

N°42 OCTOBRE/NOVEMBRE 2021

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