Au cœur du Tour de France

Entretien avec Jacky Maillot et Hugues Zimmermann

La vision des cardiologues est intéressante à la fois sur la fréquence des problèmes cardiologiques pendant le Tour de France chez les cyclistes mais aussi dans le public. Nous aborderons le type de bilan médical général envisagé et plus précisément le bilan cardiologique. Bien sûr, un mot sur le dopage car c’est la thématique qui vient immanquablement à l’esprit des lecteurs.

Le Tour de France est un événement sportif de première importance et il est immanquable que l’organisation du Tour soit confrontée à des situations susceptibles d’intéresser les cardiologues. CORDIAM a souhaité faire le point avec Hugues Zimmermann, cardiologue et Jacky Maillot, médecin de l’équipe Groupama-FDJ.

Cordiam : Quel rôle jouent les médecins sur le Tour ?

Jacky Maillot : En pratique, on rencontre très peu de pathologies pendant le Tour, même si cela nous est arrivé récemment, non pas sur le Tour de France, mais sur le Tour d’Espagne. Si bien qu’on fait surtout du préventif en réunissant les coureurs de l’équipe Groupama FDJ une fois par an à Besançon pour faire des tests en fin de saison. Ce sont ces tests qui permettent, s’ils sont normaux, la délivrance de la Licence.

Cordiam : Quels sont les tests faits systématiquement ?

Pour la Fédération Internationale, il y a un test ECG d’effort obligatoire tous les 2 ans et une échographie cardiaque tous les 2 ans. Au niveau de la Fédération Française du Cyclisme, les préconisations sont plus strictes, et ce sont celles que nous suivons : c’est un ECG d’effort tous les ans avec échographie cardiaque tous les 2 ans voire tous les ans s’il y a des éléments à surveiller. En dehors du domaine cardiaque, il y a d’autres examens médicaux, avec des examens posturologiques, podologiques, mais aussi des biologies fonctionnelles assez poussées à la recherche de tous les facteurs de risque. Ça peut être aussi des examens à visée immunitaire : on a eu des problèmes de virus qui pouvaient donner des myocardites à cytomégalovirus, on a eu aussi des suspicions de myocardites à COVID…

Notre rôle est de prévenir tout cela, et on sait que les charges d’entrainement considérables que subissent les coureurs fragilisent l’immunité. Ils sont donc très vulnérables à tous ces virus. C’est comme ça qu’on a eu une suspicion de myocardite COVID et une myocardite avérée à CMV.

Cordiam : Trouvez-vous fréquemment des anomalies de l’électrocardiogramme, de l’épreuve d’effort ou de l’écho chez les coureurs ou est-ce que cela reste exceptionnel ?

Hugues Zimmermann : Si on parle des vraies anomalies, on en a très peu. Mais tout dépend de ce que l’on entend par anomalie. Des anomalies d’électrocardiogramme de repos, si on considère comme normal un ECG de non sportif, elles sont extrêmement fréquentes.
Sans doute environ deux fois sur trois. Mais il faut évidemment bien se rendre compte que ce sont de grands sportifs, des athlètes de haut niveau et pas des sportifs du dimanche.

Jacky Maillot : Ils font en moyenne 25 heures de vélo par semaine. Avec une intensité vraiment importante. Hugues Zimmermann : On trouve beaucoup de troubles de la repolarisation, des allongements de l’espace PR, des blocs de branche droits incomplets. Mais tout cela est absolument banal chez le sportif. Des anomalies qui sortent de la normalité dans l’équipe de ce panel de jeunes sportifs de la FDJ, je n’ai pas souvenir qu’il y en ait eu. Si bien qu’on a très rarement à pousser les examens plus loin sur ce plan-là.

Cordiam : Quelle est votre démarche sur l’électrocardiogramme qui n’est pas l’électro d’un non sportif. Est-ce que vous allez plus loin ?

Hugues Zimmermann : J’ai la chance de voir les cyclistes de l’interrogatoire à l’examen clinique, à l’électrocardiogramme de repos, mais avec également l’échographie, a minima tous les 2 ans, et aussi l’épreuve d’effort. C’est important car ce n’est pas que l’analyse de l’ECG isolément, c’est l’analyse de l’électrocardiogramme dans son contexte. C’est tout de suite relativisé par le contexte : l’interrogatoire sur les antécédents familiaux est fondamental. Il aide à “éliminer” de vraies anomalies devant ces variations courantes de l’ECG : pas d’HVG pathologique, pas de troubles de la repolarisation ischémiques… A contrario, il stimule la vigilance pour certains coureurs.

Cordiam : Quand il y a suspicion d’une maladie authentique, par exemple pour les myocardites que nous avons évoquées, est-ce vous qui êtes responsable de la suite du bilan, ou est-ce que vous passez la main ?

Jacky Maillot : Dans l’équipe, il y a un process qui a été mis en place pour optimiser la prise en charge du coureur chez lequel on suspecte une pathologie. On le « rapatrie » sur Besançon, et tout le bilan est organisé là-bas. Ça va de l’avis cardiologique de Hugues Zimmermann à l’IRM. Cela va permettre de poser le diagnostic, que ce soit un problème cardiologique ou un problème ostéoarticulaire. Besançon est en quelque sorte notre base, avec tout un plateau médical adapté. Mais encore une fois, les vrais problèmes cardiologiques sont rares : la myocardite que nous évoquions remonte à 2-3 ans. Il y a un problème immunitaire dû à ces charges de travail physique considérables ; on travaille beaucoup sur ces problèmes d’immunité notamment avec des probiotiques ou prébiotiques ou des stimulants de l’immunité justement parce que c’est leur point faible. Un coureur en forme est toujours enrhumé, comme le dit un vieil adage. Le coureur qui a de grosses charges de travail subit des grosses contraintes thermiques quand on mesure la température interne. En course, la température interne du coureur est autour de 39-40°C ; dès qu’il arrête la course, il redescend à 37°C et il y a donc une variation très rapide, et une période de vulnérabilité immunitaire. Les anglo-saxons appellent cela « l’open window phenomenon ». Cette baisse d’immunité leur fait attraper très facilement des rhumes à ce moment-là, d’autant qu’il y a des étapes où il fait 25-30°C au départ et 3°C à l’arrivée au sommet. C’est justement dans ce genre de course que l’on a détecté une myocardite : elle a été diagnostiquée sur un grand tour, le coureur a été arrêté, il se plaignait de palpitations, pas pendant l’effort, mais dès qu’il stoppait son effort en période de récupération précoce. C’étaient des extrasystoles ventriculaires, a priori bénignes mais inhabituelles, qui nous conduits à pousser le bilan jusqu’au diagnostic de myocardite.

Cordiam : Et on sait que des myocardites peuvent provoquer des fibrillations ventriculaires…

Jacky Maillot : On peut avoir d’autres types de pathologies. Par exemple, on a pu observer une tachycardie de Bouveret au cours d’une épreuve d’effort.

Hugues Zimmermann : C’est le cas assez récent d’un des coureurs qui se plaignait depuis plusieurs mois, même années, d’avoir en plein effort la sensation de jambes coupées, l’impression de ne plus pouvoir avancer, ni de progresser, et donc non satisfait de la gestion de la course… Plusieurs hypothèses avaient été évoquées. A l’occasion de l’épreuve d’effort, au maximum de l’effort, il a déclenché un trouble du rythme supraventriculaire, une tachycardie par réentrée qui nous a poussés à l’exploration. La présence d’une voie lente a été confirmée ; il a eu une ablation avec succès et a repris très rapidement son activité sportive. C’est habituellement bénin et sans conséquence mais ici, l’impact professionnel était réel ; le diagnostic a pu traîner un moment car ce n’était pas simple à mettre en évidence. A aucun moment le coureur ne s’est plaint de palpitations. Les symptômes étaient vraiment atypiques : « je suis cuit », « j’avance plus », bref réellement rien d’évident. Comme on l’a dit, on fait habituellement ces épreuves d’effort en fin de saison. Un de mes leitmotivs c’est de faire en sorte que le test d’effort soit maximal ; C’est compliqué car ils sont en burn-out en fin de saison et ils n’ont qu’une envie c’est de raccrocher, ce qui est bien normal. Or ce genre de choses ne se met en évidence que quand on est dans le rouge, dans le dur, et ça, il ne faut pas l’oublier.

Cordiam : Est-ce que cela vous arrive de faire porter des Holters en pleine course ?

Jacky Maillot : Oui, ça nous est arrivé. C’était sur une suspicion de myocardite à COVID. Mais ça reste tout à fait exceptionnel.

Hugues Zimmerman : Ça n’est pas toujours facile d’interprétation, surtout des Holters à des fréquences à plus de 200 par minute. Ça arrive quand il y a des symptômes. Il faut approfondir pour essayer de mettre en évidence des anomalies.

Cordiam : Les coureurs sont d’accord pour être équipés comme cela ? Ils ne vous en veulent pas ?

Jacky Maillot : Oui, ils sont assez disciplinés et ne nous en veulent pas. Au contraire, ça les rassure qu’on pousse les explorations. Surtout compte tenu de l’actualité. Il y a eu notamment les décès de jeunes coureurs belges. Je ne connais pas le règlement en Belgique, mais il y a des pays, comme le Canada, qui demandent moins d’investigations. C’est vrai qu’en France, on a eu très peu de morts, et cela fait des années qu’il n’y en a pas eu. Le dernier décès sur le Tour de France date de 1996, mais c’était traumatique, pas du tout cardiologique.
Il y a parfois des situations, par exemple l’année dernière sur le tour d’Espagne, associées à certaines circonstances de déshydratation, et ajoutées à la prise de caféine, qui peuvent engendrer des problèmes. Sur une étape de 5 heures, ils peuvent perdre 2 à 3% de la masse corporelle : par exemple, pour un coureur de 70 kg, on note une perte de 2,5/3 kg malgré l’apport. Sur une étape du Tour de France, ils peuvent boire 10 à 12 L sur la journée et 5 à 6 litres pendant la course elle-même, ce qui est énorme. Et malgré ces apports, ils perdent 2 à 3% de leur poids corporel, qui est une perte essentiellement hydrique. On a eu le cas : les coureurs ont cette tradition de prendre des gels glucidiques avec présence de caféine, et on a eu des troubles du rythme, des palpitations, le coureur était déshydraté, il faisait 35°C, il a pris un gel caféiné et la fin d’étape a été très douloureusement vécue par lui avec des palpitations. Il était très inquiet.

Hugues Zimmermann : C’était un cas intéressant : 34 ans, donc assez âgé pour un sportif. La cause de la mort subite chez le sportif de plus de 35 ans la plus fréquente est ischémique. On a exploré et documenté des troubles du rythme ventriculaire lors de l’épreuve d’effort, ça n’était là encore que des ESV mais répétitives et fréquentes. On a poussé les explorations (coro-scanner, IRM à deux reprises) : aucune anomalie. Le coureur n’a pas été bloqué mais les circonstances favorisantes avec cette prise excessive de caféine ont été pointées car probablement arythmogènes dans le contexte de déshydratation et la décharge d’adrénaline de la préparation du sprint.

Cordiam : Est-ce que cela vous arrive à titre exploratoire de doser les troponines ou les CPK à la fin d’une étape ? les CPK doivent monter terriblement ?

Après une course à pied de Chartres jusqu’au 1er étage de la tour Eiffel on peut voir des sportifs CPK à 15 000, des taux hallucinants par rhabdomyolyse.

Jacky Maillot : Le cyclisme étant un sport porté, on a des rhabdomyolyses beaucoup moins importantes, car c’est moins traumatisant. On peut en avoir mais elles sont modérées. On va à 3 000 / 5 000 maximum. On ne va jamais à des valeurs élevées. La troponine, et notamment la troponine ultrasensible, est dosée de temps en temps notamment quand on a des doutes de myocardite. Elles sont dosées souvent après un entrainement donc ces biais entrainent une difficulté dans l’interprétation. La troponine monte très facilement.

Hugues Zimmermann : Il y a des papiers qui datent d’environ 10-15 ans, dans lesquels on a montré une élévation quasi-systématique de la troponine après un effort prolongé des marathoniens suite à des prélèvements après le marathon de Boston. Finalement quelle est la valeur normale de la troponine chez le sportif de haut niveau ? cela reste flou, la normale n’est pas connue donc le diagnostic est compliqué.

Jacky Maillot : Ça pourrait être intéressant à regarder, mais le problème serait la logistique. Souvent on arrive tard et il faudrait trouver un laboratoire qui se prête à cette étude et c’est compliqué.

Cordiam : Le SAMU utilise des systèmes qui permettent de doser la troponine dans l’ambulance. Ça pourrait être utile ?

Hugues Zimmermann : Oui, ce serait sans doute intéressant.

Cordiam : Le BNP aussi doit monter ?

Hugues Zimmermann : Oui effectivement, et c’est lié à une contrainte sur le ventricule droit pendant les efforts poussés. Il y a des papiers qui montrent qu’il y a une légère élévation du BNP après un effort intense. C’est du domaine de la recherche et ça peut intéresser certaines équipes. A notre connaissance, on ne le fait pas en pratique courante sur le suivi du sportif.

Cordiam : Y a-t-il des OAP pendant la course ?

Jacky Maillot : Non jamais. Mais on a des petits troubles respiratoires c’est clair. On a une vraie pathologie du travail. Ce sont des Broncho-constrictions induites par l’effort et on a environ largement 50% des coureurs qui ont une broncho-constriction suite à l’effort, ce qui est d’ailleurs documenté, avec notamment un test de provocation. C’est une vraie pathologie professionnelle. On est un des seuls sports avec la natation et le biathlon à avoir une telle prévalence. Les problèmes respiratoires ne sont pas d’origine cardiaque.

Hugues Zimmermann : Par contre, on avait eu un coureur avec des anomalies cardiaques liées à sa période de repos. Il était breton et avait été bilanté chez François Carré : il était atteint d’une HVG échographique et électrique avec des mesures autour de 14/15 mm, donc qui frise ou dépasse la normale au niveau des épaisseurs  du septum et la paroi postérieure. C’est tout le problème en cardiologie du sport du diagnostic et de faire le différentiel entre un cœur d’athlète et l’hypertrophie pathologique. Il n’y avait aucun terrain familial chez lui, pas d’hypertension artérielle, pas d’autre raison d’avoir une hypertrophie secondaire. Comme il est convenu dans ces cas-là, on avait mis à profit la pause après la saison car l’HVG quand elle est liée à la surcharge de travail régresse. En un mois ou 6 semaines, il avait normalisé ses paramètres myocardiques. Refaire un bilan après une pause, c’est vraiment quelque chose qu’on utilise, comme c’est classiquement recommandé, pour essayer de faire la part des choses entre une authentique pathologie et les simples conséquences de la pratique intensive du sport.

Cordiam : La pression artérielle monte à combien à la fin d’une étape ou dans une montée difficile ?

Jacky Maillot : Pendant les épreuves d’effort, ils passent tous les 220-240 mm Hg au pic. Au repos, ils sont tous autour de 100-110 mm Hg, mais l’acmé de l’effort et non arrêt de l’effort la valeur est de 220 à 240. La diastolique reste assez basse : autour des 70-80 mm Hg.

Cordiam : Et leur fréquence cardiaque ?

Hugues Zimmermann : Le matin au repos au lever, beaucoup sont entre 35 et 40 battements par minute. A l’effort, ils montent beaucoup plus haut. Ils sont enregistrés depuis pas mal d’années vers 200 à 220 à l’effort maximal.

Jacky Maillot : Cet enregistrement nous permet parfois de faire un diagnostic. J’avais par exemple un coureur belge qui était monté à 250 de fréquence cardiaque. Il a été exploré et cela a montré une anomalie cardiaque ; je l’ai perdu de vue car il a arrêté sa carrière là-dessus. On avait fait ce diagnostic de tachycardie symptomatique : il était couché dans le fossé quand je suis arrivé. C’était rapidement régressif mais il a été exploré ensuite en Belgique et l’exploration nous a donné des anomalies du rythme cardiaque de type ventriculaire.

Cordiam : Est-ce qu’ils font de temps en temps des malaises vagaux sévères ?

Jacky Maillot : A l’effort rarement, mais quand ils arrêtent l’effort oui. Ils font souvent des hypotensions orthostatiques dès qu’ils descendent du vélo. Ils ne se sentent pas bien et ils sont obligés de s’assoir voire de s’allonger et relever les jambes. C’est assez classique, ça n’alerte pas franchement. C’est quasiment du quotidien.

Hugues Zimmermann : Ils ont une hypertonie parasympathique qui explique beaucoup de choses : bradycardie, PR longs, …

Jacky Maillot : On se sert beaucoup de la fréquence cardiaque au repos pour établir l’état de forme : on fait de la surveillance de la variabilité cardiaque, mais sur le terrain on prend la mesure le matin. Entre la fatigue neurovégétative, le parasympathique et l’orthosympathique, si le coureur prend 15/20 pulsations le matin sur une course à étapes, on sait qu’il se passe quelque chose, qu’il y a une certaine fatigue, et l’expérience montre que 2/3 jours après il rentre à la maison parce qu’il n’est plus bien du tout, il n’est plus dans la performance.

Cordiam : Pour ce qui est du bilan systématique fait chez les cyclistes en France, on a l’impression qu’il vaut mieux être cycliste en France que dans d’autres pays, que le bilan est plus poussé et donc qu’il y a moins de risque d’accidents cardiaques ?

Jacky Maillot : Effectivement la règlementation en France est plus exigeante. Ce qui est très bien. Si la France était alignée sur l’UCI (Union Cycliste Internationale) avec un test d’effort tous les 2 ans, nous dans l’équipe avec Hugues, on aurait continué à le faire tous les ans car ça nous parait très important. Il n’est pas rare qu’on dépiste, une année sur deux, des anomalies : tachycardie supraventriculaire, etc … c’est rassurant pour le coureur qu’on l’explore et c’est rassurant pour l’équipe parce que ce sont les salariés d’une équipe, d’un employeur français et c’est notre responsabilité qui est en cause. Ça rassure tout le monde.

Cordiam : Vous évoquiez les accidents graves, les morts subites par exemple, survenus ailleurs qu’en France. Est-ce réellement assez fréquent ?

Jacky Maillot : Oui, entre les années 2010 et 2015, il y a eu 3 à 4 décès en course. C’étaient des coureurs belges. Les journalistes ont forcément évoqué le dopage. Mais il n’y a eu aucune preuve. A priori on ne rencontre plus ce problème,… Peut-être que la Fédération belge a renforcé son modèle de surveillance et ses exigences pour les sportifs de haut niveau ? Je ne peux pas le dire avec certitude. Les accidents sont souvent survenus en période hivernale, quand la circulation virale est plus importante : peut-être qu’il s’agissait de troubles du rythme dus à une myocardite. La myocardite est devenue célèbre depuis le COVID, mais avant on en avait déjà et souvent non diagnostiquée car peu ou pas symptomatique. C’est pourtant fréquent chez le cycliste ; j’insistais tout à l’heure sur les troubles immunitaires mais ça veut dire qu’on a aussi des pathologies virales qui peuvent avoir un tropisme cardiaque. On y fait plus attention parce que ça a été mis en évidence par le COVID, si bien qu’on en a plus qu’avant. On les cherchait beaucoup moins avant.

Cordiam : Le dopage actuellement est un fait du passé ?

Jacky Maillot : Il y a de plus en plus de contrôles, donc il est forcément de moins en moins présent. On a à peu près 250 contrôles anti-dopages par an. A titre d’exemple et comparatif, je m’occupe aussi d’une équipe de foot de ligue 2. On a eu 2 contrôles dans l’année. Ça veut tout dire. Ils sont contrôlés à tout moment. Ça s’appelle le système Adams. Chaque coureur est géolocalisé en permanence à tout moment de l’année de 6h à 23h. Il y a une prise de conscience dans le cyclisme que le dopage est un fléau. Beaucoup de choses ont été mises en place. Dans certaines équipes comme la nôtre, on a mis aussi en place des contrôles supplémentaires, urinaires et capillaires, en plus de ceux réalisés par les instances fédérales nationales et internationales. On sélectionne nos coureurs et on n’embauche pas n’importe qui.

Cordiam : Quel est le niveau d’hémoglobine des coureurs ?

Il varie entre 14 et 16,5 g/dl. ce n’est pas très élevé. Pour l’améliorer, on fait des stages en montagne, en altitude pour augmenter le taux d’hémoglobine. Les autres avantages de ces stages en montagne sont l’extraction de l’oxygène, la stimulation des systèmes oxydatifs, tampons… Mais l’impact sur l’hémoglobine est faible. Si on gagne 0,5 g/dl après 15 jours c’est le maximum. On ne se sert plus du tout de l’hématocrite. Avant, au-dessus de 50% il fallait arrêter le coureur. Mais c’est un paramètre tellement variable en fonction du taux d’hydratation, qu’on n’en tient plus compte. Pour déceler le dopage sanguin, on surveille le taux d’hémoglobine et les off-scores, des indices de stimulation de la moelle osseuse. C’est une formule mathématique qui tient compte du taux d’hémoglobine, des valeurs de réticulocytes,… et là on obtient un chiffre qui nous donne des indices de stimulation. Si l’index est faible cela signifie que le coureur a pu avoir recours à une transfusion, si l’index est élevé cela a pu être en faveur d’une stimulation.

Cordiam : Pour ce qui est de la bronchoconstriction à l’effort, ils sont amenés à prendre des corticoïdes inhalés ?

Jacky Maillot : Oui depuis 2014, il y a une modification de la règlementation. Maintenant tous les corticoïdes inhalés, à condition de respecter les doses et les betâ-2-mimétiques, les bronchodilatateurs (salbutamol, formotérol) sont autorisés sans demande d’autorisation AUT à condition de respecter les doses prescrites. Il y a quelques années, il y a eu le cas Froome (doses élevées de salbutamol dans les urines). On a le droit à 16 bouffées par 24h. Ce qui est déjà beaucoup. Il faut savoir que les betâ-2-mimétiques, comme le salbutamol, à fortes doses ont un effet stimulant de la masse musculaire.

Cordiam : Avez-vous des anecdotes ?

Jacky Maillot : Depuis l’affaire Festina en 1998, le cyclisme a souvent été décrié. Je pense qu’on a beaucoup redressé la barre. On a mis en place une surveillance médicale bien plus pointue qu’auparavant. On met aussi plusieurs mesures de prévention du dopage. Plus on encadre un sportif, moins il a tendance à aller voir ailleurs. Mais l’imagination ne manque pas et le dopage sera toujours présent au niveau des nations. On se rappelle des jeux de Sotchi. A nous d’être vigilants et raisonnables. Les performances aujourd’hui sont très élevées. Il y a 20 ou 25 ans il existait des courses de mises en route, ce qui n’existe plus maintenant. Les sommes importantes investies par les sponsors demandent des résultats. Il faut être en bonne santé pour être performant : il faut préserver les coureurs, et préserver leur corps. Tout est règlementé : aujourd’hui on est limité entre 70 et 80 jours de course par an. Dans les années 80, ça allait jusqu’à 200 jours par an de course pour un coureur. Ils ont aussi systématiquement des jours de repos. Dans l’équipe, on les met en moyenne 4 à 6 semaines de repos par an : ils font de la marche, du jogging mais pas de vélo. Il y a 200 à 220 jours d’entrainement en plus des jours de course.

Cordiam : On a parlé des coureurs. Parlons de leurs docteurs. Etes-vous stressés pendant le tour de France ?

Hugues Zimmermann : Tant qu’il n’y a pas de mort subite (rires)… Un coureur italien a fait un ACR à l’arrivée d’une course cette année, il a été réanimé avec succès, il est maintenant équipé d’un DAI. Donc oui, il y a toujours une certaine pression !

Jacky Maillot : C’est une aventure de trois semaines et demi. Dans 2 jours, je rejoins l’équipe, on fait un stage à Ténérife en altitude. On loge à 2 100m. Je n’ai pas le même âge qu’eux et je loge avec eux. Le Tour de France nous accapare quasiment toute l’année, c’est l’objectif. Et puis après il y a le reste des courses. Il y a une énorme implication de tout le monde : il y a les coureurs qui font le Tour de France et il y a les autres coureurs. C’est très stressant pour nous, il y a une pression de résultats aussi. On a envie de gagner. Au début il y a une telle pression qu’il y a beaucoup de chutes des coureurs. Ils veulent bien faire. Comme on dit dans notre jargon : c’est le dernier qui freine. Il y a énormément de chutes parce qu’il y a des engagements. Ils prennent énormément de risques pour gagner. Une victoire sur le Tour de France est tellement médiatisée, retransmise dans tellement de pays, qu’elle est valorisée pour le coureur, pour l’équipe et les sponsors. On a hâte d’y être mais on est contents quand c’est fini.

Cordiam : Quand vous devez annoncer à un coureur qu’il n’est pas raisonnable qu’il continue, ça doit être dur ?

Jacky Maillot : Bien sûr. Ce ne sont pas des nouvelles agréables. Il s’est préparé quasiment 6 mois pour faire le Tour de France et si au bout de 2/ 3 jours il a une blessure et qu’il doit arrêter, c’est pénible pour lui mais aussi pour l’équipe, en plus si c’est le leader. Ça nous est arrivé. Tour de France 2020, première étape. Sur une équipe de 8 coureurs, 6 sont tombés, dont nos 2 leaders, gravement, qui n’ont pas pu terminer. Ce fut dramatique. Les coureurs le comprennent : il y a le moment de la déception mais ils savent que la saison va continuer. Maintenant pour réussir le Tour de France, il faut être à 100% de ses moyens. Avant quand il y avait une chute, au bout de 3/4 jours le coureur revenait dans le peloton. Maintenant l’intensité est telle que s’il y a une chute, avec une blessure, il faut dire adieu au classement général : on ne peut absolument plus rattraper le niveau.

Cordiam : Quelle est la vitesse moyenne des coureurs ?

Jacky Maillot : La vitesse a augmenté car les méthodes d’entraînement et le matériel ont changé. La vitesse moyenne d’une course sur route a augmenté : selon le profil on constate des moyennes à 42-45 km/h avec des pics à 75 km/h lors d’une arrivée en sprint sur route, et 110 km/ h lors de descente de col. La nutrition a changé et est individualisée. Dans chaque équipe, on a nos cuisiniers avec des menus préétablis (avec de la nutrition d’effort). On surveille leur hydratation par le poids, des méthodes de bio-impédancemétrie. S’ils perdent 2% de leur hydratation, ils diminuent de 20% leur temps de maintien de PMA. On surveille tous les jours. Tous les coureurs ont une stratégie d’hydratation personnalisée. C’est l’équipe médicale qui prépare tout cela en amont.

Cordiam : Quel est le devenir des coureurs ?

Jacky Maillot : A Besançon, on a fait une étude avec le CHU sur ce que devenaient les coureurs cyclistes qui ont participé à au moins un Tour de France. Un jour, un journaliste me questionnait à une arrivée au sommet. Les coureurs arrivaient dans des états lamentables, vraiment épuisés. Le journaliste me dit : « Mais vous êtes médecin, est-ce bien raisonnable de les laisser se mettre dans ces états-là ? ». J’étais très ennuyé parce que je n’étais pas préparé à cette question. Je lui ai dit qu’ils étaient entrainés, surveillés, etc. Quelques années après, il y a Laurent Fignon dans les années 2010 qui annonce qu’il avait un cancer. C’était l’un des 3 maillots jaunes vainqueurs du Tour de France qui annonçait qu’il avait un cancer et qui allait en décéder. On a repris tous les anciens coureurs qui ont fait au moins un Tour de France entre 1947 et 2010. 850 coureurs. Et on s’apercevait qu’ils vivaient en moyenne 4 ans de plus que la moyenne de la population, qu’ils développaient beaucoup moins de pathologies cardiovasculaires, beaucoup moins de maladies métaboliques et moins de cancers. Malheureusement, on n’a pas publié ces résultats. On a communiqué sur ces résultats sans trop insister, car le problème est que ce sont des années à dopage et pour nous médecins du cyclisme c’était faire l’apologie du dopage. Le sport de haut niveau a donc quand-même cette vertu protectrice. 80% des coureurs interrogés continuent à faire du sport. Ils ont aussi probablement une certaine hygiène de vie. Les seules pathologies cardiovasculaires qu’on constatait c’est 10 ans après l’arrêt de leur carrière ils développaient des troubles du rythme auriculaire comme de la fibrillation atriale, sinon très peu d’autres problèmes coronariens.

Hugues Zimmermann : Dans cette même étude, les paramètres myocardiques des cyclistes étaient documentés avec une augmentation progressive mais rapide des diamètres et des épaisseurs ventriculaires gauches, qui floraient bon le dopage. Jacky, je dois t’avouer que quand tu m’as sollicité pour faire les examens je me suis interrogé : qu’est-ce que je vais trouver ? Je me suis vite rassuré et ainsi rassurer tout le monde, ils ont tous des paramètres myocardiques qui sont à la limite supérieure de la norme mais dans la norme. Comme ça fait quelques années et que ça ne bouge plus…

Interview réalisée par Nicolas Danchin et Angélique Bironneau et rédigée par Cindy Patinote

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