ALL-HEART

 

Effets cardiovasculaires de l’allopurinol dans la cardiopathie ischémique. Allopurinol and cardiovascular outcomes in ischaemic heart disease)

 

Contexte et hypothèse

Dès le 19ème siècle, les médecins ont constaté l’association  entre la goutte et l’hypertension artérielle, le diabète et  les maladies cardiovasculaires et rénales. L’hypothèse  émise à l’époque était que l’acide urique était  responsable de l’hypertension et de l’athérosclérose1.  

Au début des années 1960, les études épidémiologiques  ont mis en évidence l’association entre une élévation  de l’acide urique et la présence d’un syndrome  métabolique, de néphropathie vasculaire, d’infarctus  du myocarde et d’AVC2,3.  

L’allopurinol est un médicament utilisé pour prévenir  la goutte : il inhibe la xanthine oxydase, une enzyme  de la voie du catabolisme des purines qui convertit  l’hypoxanthine et la xanthine en acide urique. Jusqu’à  maintenant, des études de registre et des petits essais  randomisés ont suggéré une possible association entre  allopurinol et amélioration de la fonction endothéliale  et symptômes angineux4,5.  

Cependant, aucune étude randomisée n’a évalué ces  effets potentiels à grande échelle.  

Présenté par le Professeur Isla Shelagh Mackenzie  (Dundee, UK), l’essai clinique ALL-HEART (Allopurinol  and cardiovascular outcomes in ischaemic heart disease) est  le premier essai randomisé de large échelle à évaluer  l’effet cardiovasculaire de l’allopurinol chez les patients  porteurs d’une cardiopathie ischémique. 

 

Critères d’inclusion

Les participants à ALL-HEART étaient des hommes  et femmes âgés de 60 ans et plus, porteurs d’une  cardiopathie ischémique. La cardiopathie ischémique  était défi nie par un antécédent d’infarctus du myocarde  ou d’angine de poitrine. Les critères d’exclusions étaient  les suivants : antécédent de goutte, insuffisance rénale  chronique avec DFG inférieur à 30 ml/min, insuffisance  cardiaque NYHA III et IV, maladie hépatique, allergie à  l’allopurinol ou à un apparenté.

 

Plan d’étude et traitements étudiés

Il s’agit d’une étude randomisée, multicentrique, en  ouvert avec adjudication des évènements en aveugle.  Cette étude pragmatique a été financée par le NIHR  (National Institute for Health and Care Research). 

Les 2 bras de randomisation étaient :  

  • Bras contrôle : traitement standard sans traitement  additionnel 
  • Bras interventionnel : Allopurinol dont la dose  dépendait de la fonction rénale ; pour les patients avec  un DFG 60 mL/min une dose de 100 mg / j pendant  2 semaines, puis 300 mg / j pendant 2 semaines, puis  600 mg / j par jour. Pour les patients ayant un DFG  entre 30 et 59 mL/min, une dose de 100 mg / j était  administrée pendant 2 semaines, puis 300 mg/ j.

 

Critères de jugement

Le critère de jugement principal était le critère  composite suivant : infarctus du myocarde non  fatal, AVC non fatal, ou décès cardiovasculaire. Les  critères de jugement secondaires principaux étaient  les évènements du critère composite pris séparément. 

 

 Taille de l’échantillon et hypothèses statistiques

Les investigateurs ont estimé qu’un effectif de 5 721  participants était nécessaire pour détecter une différence  de 20 % dans le critère de jugement principal avec une  puissance de 80 % et un risque alpha de 0,05.

 

Population

Entre février 2014 et septembre 2017, 5 721 patients  ont été inclus en intention de traiter dans 424 centres de  consultation. La durée moyenne de suivi était de 4,8 années.  Il y avait 2 853 patients dans le bras allopurinol et 2 868 dans  le bras standard. 

 

 

Résultats

Parmi les 5 721 patients inclus initialement, 9 %  dans le groupe allopurinol et 2,6 % dans le groupe  standard ont retiré leur consentement. Dans le groupe  allopurinol, 57,4 % ont arrêté le traitement au cours  de l’essai clinique. Le taux d’acide urique a été divisé  par 2 à 6 semaines dans le groupe allopurinol.

  • Critère de jugement principal  

Avec un taux du critère de jugement composite de 11 % dans  le groupe allopurinol et de 11,3 % dans le groupe standard,  il n’y a pas eu de différence significative liée au traitement par allopurinol (HR 1,04, 95 % CI 0,89 – 1,21) (Figure 1).

 

 

 

  • Critères secondaires 

Il n’y a eu aucune différence dans les critères de jugement  secondaires principaux entre groupe allopurinol versus  groupe standard : 

– Infarctus du myocarde non fatal : 5,5 % vs. 6 % – AVC non fatal : 3,4 % vs. 3 % 

– Décès cardiovasculaire : 3,9 % vs. 3,8 % 

  • Mortalité totale  

Le décès toute cause est survenu avec un taux de 10,1 %  dans le groupe allopurinol, contre 10,6 % dans le groupe  standard, sans différence entre les 2 groupes. 

  • Evénements indésirables et tolérance 

Parmi les patients inclus plus de 6 semaines dans l’essai  clinique il n’y a pas eu d’effet indésirables graves recensés  liés à l’allopurinol, notamment de réaction cutanée (NB :  l’allopurinol peut être responsable de réaction cutanée  grave de type Stevens-Johnson). Il n’y a pas eu de  différence sur la qualité de vie (échelle EQ-5D et SAQ)

 

Conclusion

L’étude ALL-HEART est la première étude randomisée de  grande échelle évaluant l’allopurinol dans la cardiopathie  ischémique, chez des individus ne souffrant pas de  goutte. La conclusion est l’absence de bénéfices sur la  prévention des événements cardiovasculaires chez les  patients porteurs d’une cardiopathie ischémique. L’autre  élément de conclusion important est la bonne tolérance  du traitement, élément rassurant pour les patients à la fois  porteurs d’une cardiopathie ischémique et d’une goutte.  Quelques points importants ont été discutés par le Pr Leslie  Cho (Cleveland) sur l’essai clinique ALL-HEART : alors que  l’association entre stress oxydatif et athéro-thrombose est  bien démontrée, l’allopurinol n’a qu’une action antioxydante  marginale, pouvant expliquer l’absence d’effet. De plus, les  patients inclus étaient âgés (70 ans d’âge moyenne), avec  une cardiopathie ischémique déjà probablement installée,  laissant peu de chance à une amélioration.

Enfin, 56 % des  patients ont arrêté le traitement avant la fi n de l’étude, mais  le Pr. Isla Shelagh Mackenzie a indiqué que l’analyse per protocole donne des résultats consistants à celle en intention  de traiter. Si on souhaite continuer à explorer la piste anti oxydative dans la cardiopathie ischémique, plusieurs voies  restent ouvertes : sélectionner des patients avec un stress  oxydatif élevé, et trouver d’autres agents thérapeutiques.

 

RÉFÉRENCES

1. Feig DI, Kang D-H, Johnson RJ. Uric Acid and Cardiovascular Risk. N Engl J Med 2008;359:1811– 21. doi:10.1056/NEJMra0800885

2. Gertler MM, Garn SM, Levine SA. Serum uric acid in relation to age and physique in health and in coronary heart disease. Ann Intern Med 1951;34:1421–31. doi:10.7326/0003-4819-34-6-1421

3. Cannon PJ, Stason WB, Demartini FE, et al. Hyperuricemia in Primary and Renal Hypertension. New England Journal of Medicine 1966;275:457–64. doi:10.1056/NEJM196609012750902

4. Wechter J, Phillips LJ, Toledo AH, et al. Allopurinol protection in patients undergoing coronary artery bypass graft surgery. J Invest Surg 2010;23:285–93. doi:10.3109/08941939.2010.513758

5. Weimert NA, Tanke WF, Sims JJ. Allopurinol as a cardioprotectant during coronary artery bypass graft surgery. Ann Pharmacother 2003;37:1708–11. doi:10.1345/aph.1D023

 

Michel Zeitouni, Sorbonne Université, Hôpital Pitié Salpetrière, Action Cœur

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