Leçons de l’intestin

 

Ces derniers mois ont été marqués par l’arrivée des résultats d’études de prévention importantes et originales, destinées à répondre à de vraies préoccupations de santé publique. 

Nous avons déjà longuement présenté et discuté l’étude LOOP1 , qui montrait qu’un enregistreur ECG implantable de longue durée permettait, dans une population à risque, de mieux détecter la survenue d’épisodes de fibrillation atriale, mais n’avait pas pour autant d’impact majeur sur le devenir clinique des patients. 

Lors du congrès de l’ESC, ont été présentés les résultats de l’étude danoise DANCAVAS2 , étude en population générale qui a cherché à déterminer l’impact d’une politique de détection des maladies cardiovasculaires : il a été proposé à plus de 16 000 hommes de 65 à 74 ans, tirés au sort parmi 46 000, de faire un bilan biologique, une mesure de l’index de pression systolique, et un scanner avec mesure du score calcique. Près des deux tiers ont effectivement eu ce bilan. En cas d’anomalie, des mesures spécifiques étaient proposées. Le critère de jugement principal était la mortalité toute cause à plus de 5 ans. Déception : dans les conditions de l’essai, le risque de mortalité à 5 ans n’était pas influencé par la politique de dépistage. 

La troisième étude3 ne vient pas de la cardiologie, mais j’en parle car c’est sans doute celle dont les résultats sont les plus surprenants. Il s’agissait d’évaluer l’impact de la coloscopie systématique, chez des femmes et des hommes de 55 à 64 ans. La philosophie sous-jacente était que la coloscopie devait permettre de diagnostiquer plus précocement des cancers et de retirer des polypes potentiellement précancéreux, avec un impact favorable sur la mortalité à 10 ans. L’étude a été menée en Pologne, Norvège et Suède : la coloscopie a été proposée à 28 220 personnes (dont 42 % ont effectivement passé l’examen), et 56 365 ont servi de témoins. A dix ans, on observe significativement moins de cancers dans le groupe auquel la coloscopie a été proposée (0,98 % versus 1,20 % chez les contrôles), avec un excès de cancers pendant les 5 premières années (efficacité du dépistage) mais nettement moins par la suite (efficacité du traitement préventif des lésions précancéreuses). En revanche, il n’y a aucun effet ni sur la mortalité globale (11,03 % versus 11,04 % ; rapport de risque 0,99, intervalle de confiance 0,96-1,04), ni même sur la mortalité par cancer du côlon : 0,28 % dans le groupe invité, 0,31% dans le groupe témoin ; RR 0,90 (IC 0,64-1,16). Bonne nouvelle néanmoins, pas d’accident grave imputable à l’acte de coloscopie.  

Ces trois études sont particulièrement intéressantes car elles ne se contentent pas de voir si une politique de dépistage permet bien de trouver les pathologies recherchées (c’est le cas à chaque fois), mais parce qu’elles vont jusqu’au bout du raisonnement : la détection puis le traitement de la pathologie recherchée permettent-ils d’améliorer l’espérance de vie ? A chaque fois, la réponse est non. Est-ce donc un coup de grâce pour toute politique de prévention ? Certainement non, mais ces trois études montrent l’absence de ce que les mathématiciens appellent la transitivité (d’après mes souvenirs d’école) dans le domaine de la médecine : les examens pertinents améliorent bien la détection, les études dans les pathologies considérées ont montré l’effet positif des traitements ; donc, proposer ces examens de détection devrait se traduire par une réduction de mortalité. Ce n’est malheureusement pas le cas. Les explications possibles de ces échecs sont multiples et je ne m’y attarderai pas : entre autres, dans les deux dernières études, tous les sujets invités à faire les examens proposés ne les ont pas subis ; les mesures proposées dans DANCAVAS en cas de dépistage positif étaient sans doute mal calibrées ; la durée du suivi, bien que longue, était peut-être insuffisante…

Finalement, ces études doivent nous inciter à la modestie. Retenons la leçon du côlon : la vérité médicale est plus complexe que ce que laissent entrevoir les raisonnements simples.

 

  1. Svendsen JH et al. Lancet 2021 
  2. Lindholt JS et al. NEJM 2022 
  3. Bretthauer M et al. N Engl J Med 2022

 

Nicolas Danchin

Liens d’intérêt (10 dernières années) :
Subventions de recherche : Amgen, Astra-Zeneca, Bayer, Intercept, Eli-Lilly, MSD, Pfizer, Sanofi . Honoraires pour conférences/consultance/études : Amgen, Astra-Zeneca, Bayer, BMS, BoehringerIngelheim, Daiichi Sankyo, Lilly, MSD, Novartis, Novo-Nordisk, Pfizer, Sanofi , Servier, UCB, Vifor

Commentaire(0)