La mort subite chez les sportives

La mort subite du sportif (MSS) est un phénomène associé aux activités sportives de compétition et de loisirs. Il a été constaté que les MSS se produisent 5 à 33 fois moins souvent chez les femmes que chez les hommes, et cette différence persiste malgré une augmentation de la participation des femmes aux sports. De plus, les examens tels que l’électrocardiogramme et l’échocardiographie sont des outils utiles permettant de différencier facilement les adaptations cardiaques physiologiques et pathologiques chez les sportives. Cependant, une proportion significative des causes de MSS chez les femmes sont non structurelles ou inexpliquées après autopsie, et sont probablement secondaires à des canalopathies.

 

Introduction

La mort subite est un problème de santé majeur, responsable de 13 à 20 % de tous les décès dans les sociétés occidentales. La pratique d’une activité sportive régulière est unanimement recommandée car elle permet de diminuer le risque de mort subite à moyen et long terme. Cependant, et paradoxalement, l’activité sportive peut exceptionnellement entraîner des complications cardiaques pouvant aller jusqu’à la mort subite.

Alors que l’exercice physique à court et à long terme est connu pour être associé à une multitude de changements structurels et fonctionnels cardiaques pour répondre à une demande accrue de débit cardiaque, les différences biologiques entre les hommes et les femmes peuvent entraîner des adaptations cardiaques distinctes après l’exercice, conduisant à une différence dans l’incidence de la mort subite entre les sexes.

 

Les femmes dans le sport

Traditionnellement, la participation des femmes aux activités sportives est restée dans une large mesure en retrait par rapport à celle des hommes. L’idée que le sport est dangereux pour les organes reproducteurs féminins a longtemps prévalu et les femmes n’ont pas été autorisées à participer aux premiers Jeux olympiques modernes en 1896. Par la suite, la pratique du sport par les femmes a augmenté de plus de 1000 % au cours des 50 dernières années, le jogging et le cyclisme étant les activités les plus populaires parmi les femmes.

 

Épidémiologie de la mort subite du sportif chez les femmes

La définition la plus courante de la mort subite du sportif (MSS) est une mort subite non traumatique survenant pendant ou dans l’heure qui suit un exercice physique. De nombreuses études ont fourni des estimati ons de l’incidence de la MSS chez les femmes. Néanmoins, la comparaison de ces incidences se heurte à un certain nombre de difficultés. Il existe des incohérences dans les définitions de la MSS employées, les méthodes utilisées pour collecter les cas de MSS, ainsi que la population étudiée (population tout venant ou sportif, sportif en compétition ou non, et les groupes d’âge inclus) sont hétérogènes.

En dépit de ces problèmes, la fréquence de la MSS chez les femmes est considérablement plus faible que chez les hommes dans les différentes études. Dans l’ensemble, les études ont démontré que les femmes constituent entre 0-17% des MSS. En France, une étude a montré que seulement 5,2% des MSS sont survenus chez des femmes.1 On pourrait supposer que la différence dans la survenue des MSS entre les sexes est attribuée à une participation généralement plus faible des femmes aux activités sportives. Cette hypothèse est contredite par plusieurs études trouvant des incidences plus faibles chez la femme que chez l’homme.

Il n’a pas été constaté de différence de ratios hommes/femmes dans les MSS entre les sports pratiqués de manière récréative et en compétition. Les activités sportives principalement associées à la MSS chez les femmes en France sont le jogging, le cyclisme et la natation. Alors qu’environ 90% des cas surviennent pendant l’activité sportive, 10% ont eu lieu dans l’heure qui a suivi.

 

Spécificités physiologiques et physiopathologiques chez les femmes

Les spécificités de l’adaptation cardiaque féminine à l’exercice physique peuvent contribuer à la différence d’incidence de la MSS entre les sexes.

• Hypertrophie cardiaque

L’hypertrophie ventriculaire gauche est associée à la survenue d’arythmies ventriculaires. Alors que la testostérone favorise directement l’hypertrophie myocardique en se liant aux récepteurs des myocytes, les oestrogènes inhibent l’hypertrophie myocardique.

Il est important de noter que chez la femme, les paramètres liés à l’adaptation physiologique à l’exercice sont moins susceptibles de se chevaucher avec ceux observés en cas de cardiomyopathies primaires.

Les paramètres échocardiographiques devant faire suspecter une cardiomyopathie chez la femme : un diamètre télédiastolique du ventricule gauche ≥60 mm, d’une épaisseur de la paroi du ventricule gauche > 12 mm, d’une hypertrophie ou d’un remodelage concentrique. La présence de critères échographiques d’hypertrophie du ventricule gauche, en particulier lorsqu’elle est associée à une inversion de l’onde T dans les dérivations inférieures ou latérales, une dépression du segment ST ou des ondes Q pathologiques doivent également alerter (Figure 1).2

• Remodelage du ventricule droit

L’inversion de l’onde T dans le territoire antérieur peut être trouvée chez les athlètes en bonne santé, mais elle est aussi fréquemment rencontrée chez les pati ents atteints de dysplasie arythmogène du ventricule droit. D’autre part, une inversion de l’onde T étendue à V4, dans les dérivations inférieures ou latérales, ou accompagnée d’une dépression du segment ST, ou d’ondes Q pathologiques est rare chez les femmes sportives et doivent inciter à rechercher une cardiopathie hypertrophique, dilatée, une dysplasie arythmogène du ventricule droit ou une myocardite.

• Fibrose myocardique

De manière générale, l’exercice prolongé à haute intensité peut provoquer une inflammation du myocarde et ainsi stimuler la fibrose myocardique, substrat potentiel pour les arythmies malignes. Une étude a montré que la fibrose myocardique non ischémique était présente chez 17% des athlètes masculins, mais aucune des athlètes féminines n’en était atteinte. Ce phénomène pourrait être en parti e dû aux oestrogènes, à l’origine de la baisse de la tension artérielle et son effet inhibiteur de la prolifération des fibroblastes cardiaques.

• Maladie des artères coronaires

L’effet des exercices d’endurance sur l’athérosclérose coronaire semblent différer entre les hommes et les femmes. Les hommes sportifs ont plus de plaques coronaires et de calcifications que les témoins masculins sédentaires. Cette différence n’est pas du tout observée pour le sexe féminin.

De plus, l’étiologie des syndromes coronariens aigus diffère entre les sexes. La rupture de plaque et la formation d’un thrombus prédominent chez les hommes, alors que les érosions de plaque avec microembolisations, le dysfonctionnement microvasculaire ou les dissections coronaires sont plus fréquents chez les femmes. De manière globale, l’ischémie myocardique est moins impliquée dans les MSS chez les femmes que chez les hommes.

 

Cependant, les sporti ves att eintes de « la triade de l’athlète féminine », composée de troubles de l’alimentati on,d’aménorrhée et d’ostéoporose, peuvent constituer un sous-groupe présentant un risque accru de MSS associée à la maladie coronarienne. En effet, les athlètes aménorrhéiques présentent des anomalies lipidiques et une dilatation médiée par le flux moindre dans leurs artères, qui sont des facteurs de risque d’athérosclérose.

 

• Système nerveux autonome

Les différences de balance sympatho-vagale entre les sexes peuvent influencer le risque de MSS, surtout en présence d’une maladie cardiovasculaire sous-jacente. La MSS peut être causée par une arythmie ventriculaire, déclenchée par un pic d’activité sympathique, par exemple lors d’un exercice de courte durée à haute intensité. Le système nerveux autonome a été analysé chez des pati ents souffrant d’une occlusion coronaire, et l’activation vagale était plus fréquente chez les femmes que chez les hommes. Cette activation vagale accrue chez les femmes peut être un phénomène protecteur contre le déclenchement d’arythmies mortelles dans le cadre d’une maladie cardiovasculaire établie ou d’une canalopathie à l’effort.

• Intervalles QT et syndrome de Brugada

Physiologiquement, les femmes ont un intervalle QTc plus long que les hommes car la testostérone et la progestérone raccourcissent l’intervalle QTc, alors que l’oestrogène le prolongerait. Des examens complémentaires sont nécessaires lorsqu’une athlète féminine asymptomatique présente un intervalle QT > 480 ms.

Les femmes atteintes du syndrome du QT long (LQTS) ont des intervalles QTc plus longs que les hommes et sont généralement plus susceptibles de développer une arythmie ventriculaire. Le risque de mort subite chez les femmes atteintes du LQT1 est particulièrement important dans le contexte du sport, car il a été démontré que le stress physique est un évènement déclencheur d’arythmies.4

Le syndrome de Brugada a une prédominance masculine et le risque de mort subite est plus élevé chez les hommes post-pubères atteints du syndrome de Brugada que chez les femmes.

 

Causes de la mort subite du sportif chez les femmes

La faible incidence de la MSS chez les femmes limite l’identi ficati on des causes mais l’on sait que les causes de la MSS varient dans différents pays en fonction de la prévalence des maladies cardiaques sous-jacentes.

Bien que la maladie coronaire soit la principale cause des MSS chez les hommes de plus de 35 ans, elle est beaucoup moins fréquente chez les femmes.

La plupart des MSS chez les femmes sont non structurelles ou inexpliquées après autopsie et pourraient être attribuées à un syndrome du QT long, un syndrome de Brugada ou une tachycardie ventriculaire polymorphe catécholaminergique. La prédominance féminine dans le syndrome du QT long et la plus grande susceptibilité féminine aux morts subites dans le LQTS1 et le LQTS2 après la puberté par rapport aux hommes pourraient expliquer que la proportion élevée de MSS non structurelle chez les femmes soit due au syndrome du QT long. Par conséquent, cela suggère qu’une plus grande attention devrait être portée aux longs intervalles QT dans les électrocardiogrammes des athlètes féminines.5

 

Autres facteurs intervenant dans la mort subite du sportif

D’autres facteurs, qu’ils soient biologiques, psychologiques ou liés au style de vie, peuvent infl uencer le risque de MSS. Alors que les hommes sont plus susceptibles de consommer des graisses et de la viande rouge et de boire de l’alcool, les femmes consomment plus de fruits, de légumes et de produits à base de céréales complètes. En outre, la prévalence globale des hommes qui fument est sensiblement plus élevée que chez les femmes. Ces facteurs pourraient être responsables de l’augmentation du risque d’athérosclérose, puis de maladies coronariennes et de MSS chez les hommes. De plus, les comorbidités ayant une implication cardiaque ne sont pas réparties de manière homogène. Par exemple le diabète est plus fréquent chez les hommes, alors que le stress et les diagnostics psychiatriques sont plus fréquents chez les femmes.

Plus spécifique au sport, les femmes sont moins susceptibles que les hommes d’utiliser des stéroïdes anabolisants androgènes qui sont associés à une hypertrophie cardiaque, à des arythmies et à des morts subites.

Cependant, les femmes courent un plus grand risque de torsade de pointes lorsqu’elles uti lisent des médicaments qui prolongent l’intervalle QT et sont plus vulnérables aux arythmies ventriculaires pendant certaines phases menstruelles. Ces médicaments proarythmiques comprennent le sotalol, l’amiodarone, les macrolides et le fluconazole. Par conséquent, la participation à des activités sportives au cours de la première moitié du cycle menstruel, combinée à l’utilisation de médicaments qui prolongent l’intervalle QT, pourrait avoir des effets multiples, augmentant le risque de MSS chez les femmes.

 

Conclusion

L’incidence de la MSS semble moins importante chez les femmes que chez les hommes. Certains signes électrocardiographiques ou échocardiographies devront alerter et justifier des examens complémentaires pour rechercher des anomalies structurelles : un diamètre télédiastolique du ventricule gauche ≥60 mm, d’une épaisseur de la paroi du ventricule gauche > 12 mm, d’une hypertrophie ou d’un remodelage concentrique, des inversions d’ondes T inférieures ou latérales. Etant donné qu’une forte proportion de MSS féminines sont non structurelles, les mesures préventives chez les femmes devraient mettre l’accent sur les antécédents familiaux pour découvrir des canalopathies potentielles.

RÉFÉRENCES :

1. Marijon E, Bougouin W, Celermajer DS et al. Characteristics and outcomes of sudden cardiac arrest during sports in women. Circ Arrhythm Electrophysiol 2013; 6:1185 -1191.

2. D’Ascenzi F, Biella F, Lemme E et al. Female athlete’s heart: sex effects on electrical and structural remodeling. Circ Cardiovasc Imaging 2020;13:e011587.

3. Merghani A, Maestrini V, Rosmini S et al. Prevalence of subclinical coronary artery disease in masters endurance athletes with a low atherosclerotic risk profile. Circulation 2017;136:126 -137.

4. Linde C, Bongiorni MG, Birgersdotter-Green U et al.; ESC Scientific Document Group. Sex differences in cardiac arrhythmia: a consensus document of the European Heart Rhythm Association, endorsed by the Heart Rhythm Society and Asia Pacific Heart Rhythm Society. Europace 2018;20:1565 -1565ao

5. Rajan D, Garcia R, Svane J et al. Risk of sp orts-related sudden cardiac death in women. Eur Heart J 2022 ;43 : 1198 -1206.

Commentaire(0)