Organisation régionale des soins en cardiologie interventionnelle : l’implantation exemplaire d’un centre de coronarographie sur le site de Cherbourg-en-Cotentin
L’installation du premier plateau de coronarographie dans la Manche visait à améliorer les délais de prise en charge pour les habitants du territoire victimes de déficiences cardiaques aiguës.
État des lieux avant implantation
• Ecarts significatifs à la moyenne de la surmortalité due aux pathologies coronariennes pour les habitants de la Manche.
• Plus de 1 000 actes de cardiologie interventionnelle (coronarographies diagnostiques et angioplasties coronaires) par an réalisés à Caen au bénéfice de patients résidant dans la Manche.
• Temps médian d’accès en intervention SMUR aux plateaux techniques cardiologiques caennais de 138 minutes (soit 2h18) : un gain de transport de 20 minutes serait donc insuffisant pour la moitié des pati ents.
• 4 des 5 plus gros employeurs de la Manche sont situés sur le territoire du Cotentin (pour deux d’entre eux, à La Hague et Flamanville, le temps médian d’accès est respectivement de 2h37 et 2h33).
• L’impact des surpopulations (populations non permanentes, estivales ou hivernales) dues au tourisme entraîne dans certaines régions françaises des adaptations de l’off re de soins. Le port de Cherbourg-en-Cotentin voit passer annuellement 700 000 passagers (transmanche et croisiéristes). Ce flux annuel est continu.
• Le bassin industriel, en continuel développement, emploie également beaucoup de travailleurs intérimaires ou « détachés » ; du fait de leur mode de vie (isolement familial et géographique). Il s’agit d’une population cumulant facteurs de risques cardio-vasculaires et au suivi médical faible ou inexistant.
• La situation financière du CHPC n’est pas un obstacle au projet d’implantation : au contraire, le développement d’activités induit par un tel équipement et la réduction des taux de fuites hors territoire de nos pati ents est une des solutions identifiées pour la maîtrise du déficit.
• 70% des transports inter-établissement assurés par les 2 SMUR du CHPC répondent à l’urgence cardio-vasculaire : leur durée moyenne de 4h aller-retour entraîne une indisponibilité opérationnelle de près de 1 000 heures des équipages SMUR : l’implantation d’une coronarographie à Cherbourg restituerait donc 11% de disponibilité annuelle.
• Enfin, Cherbourg-en-Cotentin était la seule ville de France métropolitaine de plus de 80 000 habitants à ne pas être dotée d’un plateau de coronarographie.
Ouvrir un nouveau plateau de cardiologie interventionnelle : pourquoi ?
Cherbourg-en-Cotentin était la seule ville de France métropolitaine de plus de 80 000 habitants située à plus d’une heure d’un plateau de cardiologie interventionnelle. Les deux seuls plateaux de Normandie occidentale étaient en effet situés à Caen, l’un en public, l’autre en privé. Ce défaut de couverture territoriale posait d’évidents problèmes de santé publique. Retard de prise en charge et recours fréquents à la fibrinolyse dans les syndromes coronariens aigus exposaient les pati ents à un risque de complications accru. Nous avions prouvé, grâce au registre régional RESIST des syndromes coronariens aigus avec sus-décalage du segment ST, mené par le CHU de Caen, qu’il y avait, dans ce contexte, une mortalité 2 à 3 fois supérieure dans la Manche par rapport au Calvados. Lorsqu’on se trouve loin d’un centre de cardiologie, il y a un risque de renoncement aux soins pour des raisons qui peuvent parfois être logiques. Plus la population se trouve près d’un centre plus sa chance de survivre à ces situations critiques est importante. Pour chacun, il était évident qu’il n’y avait pas d’autre solutions que l’ouverture d’une salle à Cherbourg, en raison de l’éloignement des autres centres situés à Caen et à Rennes.
Fort de ce constat, le projet régional de Santé de Normandie a permis l’implantation d’une salle de cardiologie interventionnelle dans le territoire du département de la Manche. Situé au coeur du bassin de population et d’emploi le plus important du département, le Centre Hospitalier Public du Cotentin a donc sollicité l’autorisation d’exercer cette activité, conformément à son projet médical d’établissement.
Les objectifs étaient multiples mais correspondaient à l’ambition du CHPC pour la population de son territoire et du département. L’objectif primaire était de répondre à un besoin de santé publique afin de diminuer la morbimortalité associée aux pathologies coronariennes. Les autres objectifs visaient à étoffer l’off re de soins critiques notamment pour les services des Urgences-SMUR en difficulté sur le territoire.
L’amélioration de l’attractivité tant sur le plan médical que socio-économique passait par le développement d’activités nouvelles. Le site de Cherbourg-en-Cotentin constituait la localisation présentant le plus de territoire non couvert par les deux centres caennais existants. Par ailleurs la densité de population nouvellement couverte par cette implantation était plus importante que sur tout autre site. La communauté médicale de l’établissement s’est donc mobilisée pour mener ce projet d’avenir, collectif et ambitieux.
Quelle organisation pratique ?
C’est une salle autonome qui a été implantée à Cherbourg, avec mutualisation de deux équipes qui travaillent ensemble et se composent de onze cardiologues interventionnels qui sont amenés à travailler sur quatre salles : trois se situant à Caen et une à Cherbourg.
En pratique, après une convention de collaboration avec le CHU de Caen, toute l’équipe de cardiologie interventionnelle vient travailler à Cherbourg. Certains sont plus spécifiquement attachés au CHPC, quatre au total. Et sept soignants du CHU de Caen viennent régulièrement, un jour ou deux par semaine.
Des praticiens et des assistants médicaux travaillent entre les sites à temps partagé. Cela a permis au CHPC d’avoir d’emblée des professionnels expérimentés, et d’assurer la permanence des soins spécifiques de la cardiologie interventionnelle. Une ligne sécurisée de visioconférence relie 24/24 et 7j/7 les plateaux techniques du CHPC et du CHU de Caen permettant une concertation entre praticiens en temps réel.
Quel bilan après deux années de fonctionnement ?
L’investissement financier, en matériel et équipe médicale dédiée, a été de 1,8 millions d’euros (financés par l’ARS et 150 000 euros par Coeur et Cancer).
Entre le 23 Novembre 2020, date d’ouverture de la salle, et le 23 Novembre 2021, 1 673 pati ents ont été pris en charge par le plateau technique. Un chiffre au-delà des attentes, qui témoigne assez bien du besoin que représentait une telle machine dans l’offre de soins locale.
73 % des pati ents sont des hommes, avec une moyenne d’âge de 69 ans. Le pic de fréquentation sur un mois a été atteint en Mai 2021 avec 173 actes.
Pour la première année d’utilisation du matériel, on dénombre 1 289 coronarographies et 656 angioplasti es.
Au bout du compte, la création de cette nouvelle salle, dans une région jusqu’alors « orpheline » s’avère un véritable succès, à la fois pour la santé de la population et en termes de collaboration et de fonctionnement intégré entre le CHU de Caen et le Centre Hospitalier Public du Cotentin.