La parmentière, (partie 2)

Connue depuis le paléolithique et contribuant à l’alimentation des populations amérindiennes depuis plusieurs millénaires, la pomme de terre n’est arrivée que très récemment dans nos assiettes, au milieu du XIXème siècle, comme aliment de disette avant d’être diffusée et appréciée dans le monde entier. L’ONU a désigné l’année 2008 comme année de la pomme de terre afin de « renforcer la prise de conscience du rôle clé de la pomme de terre», aliment à haute valeur énergétique, peu exigeant pour sa culture, présent sur tous les continents. Nous avons vu dans la précédente chronique le rôle joué par Parmentier pour sa popularisation en France.

 

Le berceau de la pomme de terre se situe dans la Cordillère des Andes (Chili, Bolivie et tout particulièrement le Pérou) où elle est identifiée dès 13 000 av. J.-C. Elle a largement contribué dès 4 000 ans avant notre ère avec le maïs et le quinoa à l’alimentation des civilisations pré-incas qui vouèrent même un culte à la déesse de la pomme de terre : Axomama. Il est vrai que les « papas » n’étaient guère exigeantes pour leurs cultures, se contentant d’un sol pauvre, s’adaptant aux conditions climatiques, s’échelonnant sur les altitudes du niveau de la mer jusqu’à 4 000 m et se conservant plusieurs années par des techniques élaborées par les Incas. Les civilisations amérindiennes précolombiennes avaient déjà appris à les cultiver près du lac Titicaca en les débarrassant de leurs toxines. Des techniques de congélation à haute altitude, cuisson et déshydratation – ressemblant beaucoup à la lyophilisation actuelle – permettaient de les conserver plusieurs années. Cette pomme de terre déshydratée par l’alternance de soleil et de gel prenait le nom de « chuno ». Dure comme une pierre, elle était stockée dans des greniers sur les itinéraires des Incas. Les Quechuas pratiquent encore de nos jours des techniques de conservation identique.

Arrivée en Espagne, via les Canaries dans les galions des conquistadors dès le XVème siècle, elle prend rapidement le nom de « patata » car le mot amérindien « papa » désignait le Pape en langue espagnole. Peu de temps après, les navires du capitaine Drake l’introduisent en Angleterre. Toutefois elle ne jouit pas d’une bonne réputation lors de son introduction en Europe où elle s’imposa plus tardivement et avec un décalage encore plus marqué en France en raison de réticencesliées à des archaïsmes religieux et à des craintes sanitaires.

Dès 1600 dans « Le théâtre d’agriculture et mésnage des champs » Olivier de Serres la signale en Dauphiné, semblable à la truffe. « La pomme de terre était connue sous le nom de truffole, (ou cartoufle) et c’est vers 1540, dans notre Haut-Vivarais à trois lieues d’Annonay, que ce tubercule a été semé pour la première fois dans le royaume, ayant été importé par un moine franciscain, de Tolède en Espagne, nommé Pierre Sornas, natif de Bécuze, qui, malade et très âgé, s’était retiré dans sa famille. » En dépit de ses qualités reconnues par l’agronome ardéchois, la pomme de terre resta longtemps confinée au rôle de plante décorative ou médicinale.

Le botaniste suisse Gaspar Bauhin la nomme Solanum tuberosum en 1596, la cultive à Bâle puis Montbéliard et la fait connaître à Charles de l’Écluse qui ensemencera les tubercules et en assurera la diffusion auprès de ses confrères universitaires, ce qui lui vaudra d’être reconnu comme le « propagateur de la pomme de terre ».

Essentiellement d’usage médical, la solanacée n’apparait dans l’alimentation humaine qu’en raison des famines récurrentes sous l’action de savants comme Parmentier en France et Volta en Italie.

En 1793, un arrêté de la Commune ordonne de consacrer les jardins de luxe à sa culture ; ainsi le Jardin des Tuileries se transforme en champ de pommes de terre. En 1794, la Convention décrète l’extension de la culture de la pomme de terre à tout le territoire. La même année, la citoyenne Mérigot, première femme auteure gastronomique comme le rappelle Maguelonne Toussaint-Samat, publie « la cuisinière républicaine » consacrée entièrement à la pomme de terre et propose 31 recettes dont cinq sucrées.

Les famines qui se succèdent vont accélérer sa diffusion et, à parti r de 1840, toute l’Europe se nourrit de pommes de terre, de l’Angleterre à la Russie.

Friedrich Engels en 1884 dans l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État écrira : « Le fer était entré au service de l’homme, la dernière et la plus importante de toutes les mati ères premières qui jouèrent dans l’histoire un rôle révolutionnaire, la dernière… jusqu’à la pomme de terre. »

En 1886, le botaniste français Alexis Millardet met au point la bouillie bordelaise, créée initialement pour la vigne ; elle s’avère aussi efficace sur une maladie cryptogamique de la pomme de terre, le mildiou, responsable de la dernière grande famine du XXème siècle en Irlande en raison de sa monoculture qui causera l’exode massif de la population.

La pomme de terre (Solanum tuberosum) est une plante herbacée, pouvant s’élever à plus d’un mètre, plantée en hiver et récoltée au printemps, dont on mange les tubercules chargés de substances nutritives.

Les qualités nutritives de la pomme de terre la font recommander par le doyen Léon Binet (1891-1971) « du nourrisson pas encore adapté jusqu’au vieillard affaibli » avec un intérêt dans la pharmacopée pour les rhumatismes, la fécule pour la peau, le jus de pomme de terre pour les ulcères.

Parmi les milliers de variétés connues dans le monde, le catalogue Français en inscrit près de 220 encore loin du Pérou où un dicton énonce : « il y a plus d’espèces disponibles que de jours dans l’année ».

Une grande palette de couleurs du jaune à l’ocre en passant par les rouges des Flandres et la bleue d’Auvergne et autant de formes : des oblongues, cylindriques, rondes ou plus tourmentées, rendent compte de leurs diversités.

Bertrand Dumont relève que « ce sont des siècles de sélection artificielle ainsi que des variations environnementales culturelles qui ont amené les pommes de terre à leurs formes actuelles ».

La Chine est le premier producteur mondial (avec sa variété Kexin 1) devant l’Inde et la Russie (participant à l’élaboration de la vodka) ; récoltée toute l’année suivant les régions, nécessitant peu d’engrais et un sol peu gourmand, elle s’est adaptée aux nouvelles conditions climatiques. En février 2016, la Chine a annoncé que la pomme de terre deviendrait son quatrième aliment de base, au même titre que le riz, le blé et le maïs.

La France, avec une culture fortement implantée dans le Nord Est, en est le 2ème producteur en Europe de l’Ouest après l’Allemagne mais reste le premier exportateur mondial essentiellement en Europe car, en réalité, la pomme de terre voyage peu.

Le français consomme 30 kg par an (+25 kg sous forme de produits transformés) loin derrière l’Algérie, le plus gros consommateur de pommes de terre avec 111 kg par an et par habitant.

Ce légume riche en fibres procurant la sensation de sati été est essentiellement très riche en glucides qui lui confèrent sa valeur nutritionnelle. Il constitue un apport important de potassium mais aussi de phosphore, magnésium, fer, cuivre et zinc. Il contient aussi de la vitamine C, B6 et B9.

Pour 100 g de pomme de terre, la composition se réparti t ainsi : 0,3g lipides (dont 1/3 acides gras saturés),16,7 g de glucides dont 15,8 g d’amidon et 1,8 g de protides et 51,5 mg de sel (source : Anses 2017) et 78% d’eau. Pour 100 g cuites à la vapeur, elles apportent 75 calories mais jusqu’à 300 cal pour 100 g préparés en frites et 500 en chips. Son index glycémique cuite à l’eau est de 50/100 mais varie selon la préparation et la cuisson.

Il existe un très grand nombre de variétés de pommes de terre à disposition des cuisiniers comme des ménagères pour s’adapter aux plats concoctés. La Bintje, à chair jaune et farineuse, est excellente pour les frites et la purée comme la Monalisa. Belles de Fontenay, Charlottes et Amandines seront idéales en robe des champs…

Certaines variétés bénéficient d’AOC : Pommes de terre de Noirmoutier, de l’île de Ré…

Délaissant son appellation de légume « venteux et flatulent », la pomme de terre réussit à s’inscrire dans la gastronomie française en gratins ou galettes, sautées, rôti es ou soufflées…

Conclusion

La pomme de terre est devenue l’un des aliments les plus consommés au monde sous de multiples formes. La production mondiale atteint le chiffre record selon la FAO, de 376 millions de tonnes dont 6 pour la France et près de la moitié dans les pays en voie de développement. En 1995, la NASA expérimente la culture de pommes de terre dans l’espace lors d’une mission de la navette spatiale Columbia dans l’espoir de la cultiver sur la planète Mars. Parlera-t-on alors de pomme de Mars ? La pomme de terre n’a pas fi ni son histoire…

BIBLIOGRAPHIE

– Étonnantes histoires de légumes et de fines herbes ; Bertrand Dumont ; éditions Multi Mondes

– Histoire naturelle et morale de la nourriture ; Marguerite Toussaint-Samat ; In Extenso éditions Larousse

– Peti te et grande histoire des légumes ; Éric Birlouez ; éditions Quae

– 2000 ans d’histoire gourmande ; Patrice Gélinet ; éditi ons Perrin

– Histoire à la casserole ; Henri Pigaillem ; éditions Télémaque

– Les petits plats dans les grands ; Henriett e Walter ; éditions Robert Laffont

– L’Homnivore ; Claude Fischler ; éditions Odile Jacob essais

– Une histoire mondiale de la table ; Antony Rowley ; éditions Odile Jacob

– Anne Muratori-Philip ; discours à l’Institut de France.

– Wikipédia : articles dédiés

Commentaire(0)