ULTIMATE-DAPT : peut-on relayer la double antiagrégation par du ticagrelor seul à un mois d’un syndrome coronarien aigu traité par angioplastie ?
Messages clés
– Cet essai international (Chine, Pakistan, RoyaumeUni) a randomisé les patients entre une bithérapie aspirine + ticagrelor et ticagrelor + placebo à 1 mois d’un syndrome coronarien aigu revascularisé par angioplastie.
– Le ticagrelor seul a montré une réduction des évènements hémorragiques comparé à la bithérapie, sans différence sur les évènements ischémiques.
– La diminution des évènements cliniques nets (hémorragiques et ischémiques) est significative, et de près de 30 % dans groupe le ticagrelor seul.
Les recommandations américaines et européennes sur le syndrome coronarien aigu préconisent de manière standard la double anti-agrégation plaquettaire par aspirine et un anti-P2Y12 dans les suites d’un infarctus du myocarde revascularisé par angioplastie.1, 2 Cette stratégie repose sur le risque ischémique accru dans les mois suivants l’épisode : risque de récidive d’infarctus et de thrombose de stent notamment. Avec le vieillissement de la population et l’augmentation parallèle du risque hémorragique des patients, la question de la durée de la double anti-agrégation plaquettaire se pose de plus en plus souvent. Plusieurs études ont tenté d’évaluer la sécurité d’une stratégie de désescalade rapide : soit en rétro-gradant le 2ème anti-agrégant pour un anti-P2Y12 moins puissant, soit en stoppant un des 2 anti-agrégants.3, 4 L’objectif de cette désescalade est de réduire efficacement le risque hémorragique sans compromettre sur le risque ischémique. L’essai ULTIMATE-DAPT a cherché à évaluer l’efficacité et la sécurité d’une monothérapie par ticagrelor comparée au traitement standard (bithérapie aspirine – ticagrelor) à 1 mois post-infarctus.5
Méthodes
ULTIMATE-DAPT est un essai international, multicentrique, contrôlé par placebo, randomisé en double aveugle et ayant inclus des patients avec un syndrome coronarien aigu dans les 30 jours précédents (NSTEMI, STEMI ou angor instable défini comme une plaque rompue, une sténose critique > 90 % ou une lésion thrombotique). Les patients inclus étaient ceux qui avaient déjà participé à l’essai IVUS-ACS en Chine, au Pakistan, au Royaume-Uni et en Italie.6 Les patients ne devaient pas avoir présenté d’évènement (quel qu’il soit) dans le mois suivant l’angioplastie sous double antiagrégation plaquettaire. Les patients étaient exclus en cas d’AVC, de pontage, de chirurgie prévue dans les 12 mois ou d’indication associée à une anticoagulation. Les patients étaient ensuite randomisés en 1/1 (avec stratification sur le type d’infarctus, le diabète et le pays) entre une bithérapie par ticagrelor + aspirine (N = 1 700) et ticagrelor + placebo (N = 1 700).
Les critères de jugement primaires comprenaient un critère d’efficacité : les saignements cliniquement pertinents (saignements mineurs et majeurs avec transfusion, chirurgie ou décès) et de sécurité : les MACCE (décès cardiaque, infarctus, AVC, thrombose de stent). L’analyse d’efficacité (saignement) était prévue comme une analyse de supériorité (marge 5 %), celle de sécurité (ischémique) en non-infériorité (marge 2,5 %) avec un calcul du nombre de sujets nécessaires de 3 400 patients et 3 068 patients respectivement (puissance 80 %). Le critère d’efficacité sur les saignements devait être significatif pour pouvoir analyser le critère de sécurité (risque ischémique).
Résultats
Au total, 3 400 patients ont été inclus, (1 700 par groupe) avec des caractéristiques comparables : âge moyen 62 ans, 75 % d’hommes, 62 % d’hypertension, 32 % de diabète, 9 % de patients coronariens connus. La présentation clinique était pour un tiers d’angor instable, un tiers de NSTEMI et un tiers de STEMI, avec une FEVG moyenne de 62 %, et 70 % de lésions monotronculaires (> 50 % sur l’IVA). À noter 1 % de conversion du ticagrelor au clopidogrel dans chaque groupe et une levée de l’aveugle chez 1 % des patients avec un saignement grave (chirurgical ou conduisant au décès).
La monothérapie par ticagrelor a montré une réduction du risque hémorragique (HR 0,45, IC 95 % 0,30-0,66, p < 0,001) avec une incidence des saignements de 2,1 % dans le groupe ticagrelor seul vs. 4,6 % dans le groupe ticagrelor + aspirine. (Figure 1) Les saignements majeurs nécessitant une transfusion, une chirurgie ou conduisant au décès (BARC 3/5) étaient aussi réduits dans le groupe ticagrelor seul, une fois analysés séparément. Le risque ischémique était similaire entre les 2 groupes (HR 0,98, IC 85 % [0,69-1,39]), avec une incidence de MACCE de 3,6 % dans le groupe ticagrelor + placebo vs. 3,7 % dans le groupe ticagrelor + aspirine. Les évènements cliniques nets (comprenant les évènements ischémiques et hémorragiques) étaient significativement réduits dans le groupe ticagrelor seul (5,7 % vs. 8,2 %, HR 0,68 – IC 95 % [0,53-0,88], p = 0,007). On ne notait pas d’interaction spécifique en sous-groupe notamment pas de différence selon la présentation sous forme d’angor instable, NSTEMI, STEMI.
Conclusion
ULTIMATE-DAPT a inclus plus de 3 000 patients asiatiques et européens et a montré qu’une monothérapie par ticagrelor à partir du 30ème jour après un syndrome coronarien traité par angioplastie est sûre et efficace. Cette stratégie est supérieure à la bithérapie aspirine + ticagrelor sur le risque hémorragique, et noninférieure sur le risque ischémique, chez les patients qui n’ont présenté aucun évènement depuis l’infarctus. Ces résultats pourraient, en association à ceux des précédentes études concordantes, modifier les recommandations sur le syndrome coronarien et le « dogme » des 12 mois de double anti-agrégation plaquettaire.
Quelques limites sont néanmoins à souligner, notamment l’hétérogénéité de la population : un tiers d’angor instable (dont 40 % sans élévation de la troponine) qui bénéficient déjà d’une désescalade selon les recommandations actuelles et ont pu tirer le résultat dans un sens favorable. De plus, 90 % des patients ont été inclus en Chine, ce qui peut compromettre la généralisation des résultats.
Orianne Weizman, Paris
Présenté par Gregg Stone au congrès de l’ACC, le 7 avril 2024 en Late Breaking Science (publication simultanée dans le Lancet).
1 . Byrne RA, Rossello X, Coughlan JJ, Barbato E, Berry C, Chieffo A, et al. 2023 ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes. Eur Heart J. 25 août 2023;ehad191.
2 .Lawton JS, Tamis-Holland JE, Bangalore S, Bates ER, Beckie TM, Bischoff JM, et al. 2021 ACC/AHA/SCAI Guideline for Coronary Artery Revascularization. J Am Coll Cardiol. janv 2022;79(2):e21-129.
3 .Kim BK, Hong SJ, Cho YH, Yun KH, Kim YH, Suh Y, et al. Effect of Ticagrelor Monotherapy vs Ticagrelor With Aspirin on Major Bleeding and Cardiovascular Events in Patients With Acute Coronary Syndrome: The TICO Randomized Clinical Trial. JAMA. 16 juin 2020;323(23):2407.
4 .Vranckx P, Valgimigli M, Jüni P, Hamm C, Steg PG, Heg D, et al. Ticagrelor plus aspirin for 1 month, followed by Ticagrelor monotherapy for 23 months vs aspirin plus clopidogrel or ticagrelor for 12 months, followed by aspirin monotherapy for 12 months after implantation of a drug-eluting stent: a multicentre, open-label, randomised superiority trial. The Lancet. sept 2018;392(10151):940-9.
5 .Ge Z, Kan J, Gao X, Raza A, Zhang JJ, Mohydin BS, et al. Ticagrelor alone versus ticagrelor plus aspirin from month 1 to month 12 after percutaneous coronary intervention in patients with acute coronary syndromes (ULTIMATE-DAPT): a randomised, placebo-controlled, double-blind clinical trial. The Lancet. avr 2024;S0140673624004732.
6 . Ge Z, Gao XF, Kan J, Kong XQ, Zuo GF, Ye F, et al. Comparison of one-month versus twelve-month dual antiplatelet therapy after implantation of drug-eluting stents guided by either intravascular ultrasound or angiography in patients with acute coronary syndrome: rationale and design of prospective, multicenter, randomized, controlled IVUS-ACS and ULTIMATE-DAPT trial. Am Heart J. juin 2021;236:49-58.