Faut-il toujours prescrire des bétabloquants en post-infarctus chez les patients avec une FEVG préservée ? L’essai REDUCE-AMI

Messages clés

– Cet essai, randomisé en ouvert, rassemble les données de 5 000 patients inclus en post infarctus immédiat avec une FEVG préservée, dans 3 registres de vraie vie européens et asiatiques.

– Le traitement par métoprolol ou bisoprolol n’a pas montré d’amélioration sur le pronostic à moyen terme (~5 ans).

– Le décès toute cause, cardiovasculaire et les récidives d’infarctus n’ont pas été réduits par la prise de bêtabloquants.

– Les auteurs n’ont pas rapporté de surrisque de bradycardie, syncope ou hypotension dans le groupe bêtabloquants.

– D’autres essais en double aveugle sont nécessaires, avec des données sur le pronostic rythmique, pour trancher sur le bénéfice des bêtabloquants en post infarctus sans dysfonction ventriculaire gauche.

 

Les bêtabloquants sont depuis des dizaines d’années l’un des piliers du traitement médical de l’infarctus du myocarde.1, 2Néanmoins, son efficacité au long cours reste incertaine, notamment chez les patients sans dysfonction ventriculaire gauche (FEVG > 50 %). Ces patients représentent une proportion de plus en plus importante des infarctus du myocarde en raison de l’amélioration des techniques et des délais de revascularisation. De plus, la tolérance et l’adhérence aux bêtabloquants sont un souci quotidien en pratique clinique. Notamment avec l’augmentation des infarctus du sujet jeune, chez qui le traitement bêtabloquant est souvent négligé en raison de ses effets secondaires. C’est dans ce contexte que l’essai REDUCE-AMI a cherché à évaluer l’impact pronostique des bêtabloquants en post infarctus sans dysfonction ventriculaire gauche (FEVG > 50 %) à l’ère de l’angioplastie et du traitement cardioprotecteur moderne.3

 

Méthodes

Les patients éligibles étaient inclus entre 1 et 7 jours de l’admission pour un infarctus du myocarde (avec ou sans sus décalage du segment ST, mais obligatoirement IDM de type 1/athéromateux). La coronarographie devait avoir confirmé la présence d’une sténose coupable avant la randomisation. L’échographie cardiaque de référence avant la randomisation devait avoir confirmé la FEVG préservée, définie comme ≥ 50 %.4 S’il existait une autre indication pour le traitement bêtabloquant, selon le médecin référent, les patients ne pouvaient pas être inclus. Les patients ont été recrutés prospectivement sur la base de 3 registres d’infarctus (en Suède majoritairement, puis en Estonie et en Nouvelle-Zélande), puis randomisés en 1/1 (et avec stratification sur le centre) dans le groupe placebo ou bêtabloquants. L’allocation du traitement était réalisée en ouvert : soit un traitement par métoprolol (dose cible 100 mg) ou bisoprolol (dose cible 5 mg), soit aucun traitement (pas de prise de placebo dans le groupe contrôle).

 

Le critère de jugement principal était un composite du décès toutes causes ou de la récidive d’infarctus du myocarde dans un délai médian de 3 ans. Les critères secondaires comprenaient le décès toute cause, le décès cardiovasculaire, l’infarctus du myocarde, l’hospitalisation pour fibrillation atriale ou l’insuffisance cardiaque.

 

Les critères de sécurité incluaient les bradycardies, hypotension, syncope, asthme, BPCO ou AVC. L’analyse statistique a été réalisée en intention de traiter, avec un nombre de sujets nécessaire basé sur les évènements : 379 évènements nécessaires soit environ un recrutement de 5 000 patients. Les inclusions ont été poursuivies jusqu’à obtenir assez d’évènements pour interpréter les résultats avec une puissance suffisante.

 

Résultats

Au total, entre septembre 2017 et mai 2023, 5 020 patients ont été randomisés dont 99,7 % avec des données sur la survenue ou non du critère de jugement principal. Cela correspond à 2 508 dans le groupe bêtabloquants (62 % de métoprolol, 38 % de bisoprolol) et 2 512 dans le groupe contrôle (suivi médian 3,5 ans, écart interquartile 2,2 à 4,7 ans). Les caractéristiques des patients étaient similaires : âge médian 65 ans, 22 % de femmes, 45 % d’hypertension, 14 % de diabète de type 2, 7 % de patients coronariens connus (IDM ou angioplastie).

 

Dans 35 % des cas, les patients étaient inclus dans les suites d’un IDM avec sus décalage du segment ST, dont 95 % revascularisés par angioplastie (donc 95 % sous aspirine et anti P2Y12). Les patients étaient très bien traités avec dans 99 % des cas des statines, 80 % un inhibiteur du système rénine angiotensine (IEC ou ARA2), et 20 % des cas un inhibiteur calcique.

L’analyse n’a pas montré de différence sur la survenue du critère de jugement principal (HR 0,96 ; IC 95 % [0,79 – 1,16] P = 0,64). (Figure 1) On ne retrouvait pas de différence non plus sur les décès toutes causes, décès cardiovasculaire, récidive d’infarctus, fibrillation atriale ou insuffisance cardiaque analysés chacun séparément. La survenue de bradycardie, hypotension, syncope, asthme, BPCO ou AVC ne différait pas entre les 2 groupes. L’analyse en sous-groupes n’a pas montré d’argument en faveur d’un bénéfice des bêtabloquants dans certaines sous-populations. Il est à noter que 10 à 15 % des patients du groupe « sans bêtabloquants » en prenaient finalement à 6 et 12 mois.

 

Conclusion

Les bêtabloquants ne semblent pas apporter de bénéfice pronostique à moyen terme chez les patients ayant présenté un infarctus du myocarde avec une FEVG préservée. Cette absence d’effet pronostique était consistant dans tous les sous-groupes. Néanmoins, il s’agit d’une étude en ouvert, sans contrôle par placebo avec du cross-over entre les 2 groupes au cours du suivi. De plus, les auteurs n’ont pas montré de données sur la survenue d’arythmies ventriculaires dans les 2 groupes.

 

Il s’agit pourtant d’un des principaux domaines d’efficacité des bêtabloquants en phase aiguë d’infarctus. D’autres essais randomisés, contrôlés, en double aveugle sont nécessaires pour conclure définitivement sur l’intérêt pronostique et rythmique des bêtabloquants en post infarctus sans dysfonction VG.

 

Orianne Weizman, Paris
Présenté par Troels Yndigen au congrès de l’ACC, le 7 avril 2024 en Late Breaking Science (publication simultanée dans le New England Journal of Medicine)

 

1 . Byrne RA, Rossello X, Coughlan JJ, Barbato E, Berry C, Chieffo A, et al. 2023 ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes. Eur Heart J. 25 août 2023;ehad191.

2 . Kalarus Z, Svendsen JH, Capodanno D, Dan GA, De Maria E, Gorenek B, et al. Cardiac arrhythmias in the emergency settings of acute coronary syndrome and revascularization: an European Heart Rhythm Association (EHRA) consensus document, endorsed by the European Association of Percutaneous Cardiovascular Interventions (EAPCI), and European Acute Cardiovascular Care Association (ACCA). EP Eur. 1 oct 2019;21(10):1603-4.

3 . Yndigegn T, Lindahl B, Mars K, Alfredsson J, Benatar J, Brandin L, et al. Beta-Blockers after Myocardial Infarction and Preserved Ejection Fraction. N Engl J Med. 7 avr 2024;NEJMoa2401479.

4 . Yndigegn T, Lindahl B, Alfredsson J, Benatar J, Brandin L, Erlinge D, et al. Design and rationale of randomized evaluation of decreased usage of beta-blockers after acute myocardial infarction (REDUCE-AMI). Eur Heart J Cardiovasc Pharmacother. 2 févr 2023;9(2):192-7.

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