Les personnes vivant en milieu montagnard ont une adaptation chronique permettant de maintenir un « environnement intérieur » relativement constant : c’est ce que l’on appelle l’homéostasie. Cependant, en haute montagne et notamment chez les « non autochtones », les contraintes dues à l’hypoxie et au froid compromettent cet équilibre. Paul Bert a identifié au milieu de XIXème siècle la responsabilité de la baisse de la pression barométrique et atmosphérique dans le développement du mal aigu des montagnes. Notre compréhension de la physiologie et des adaptations corporelles humaines a progressé au cours des années, ce qui permet à l’homme de mieux anticiper, sans pour autant maitriser le sujet qui reste vaste et nous renvoie à notre humilité ! Nous aborderons dans cet article les conséquences physiologiques et physiopathologiques d’un séjour en altitude. Quelques notions de thérapeutique seront également évoquées.
L’environnement montagnard
En haute montagne, la contrainte principale est la baisse de la pression atmosphérique induisant une baisse de l’oxygène sanguin. Les autres contraintes sont représentées par les risques accrus de déshydratation (sécheresse de l’air) et d’hypothermie.
– Baisse de pression atmosphérique : la pression atmosphérique diminue avec l’altitude selon une relation exponentielle : pour exemple, au niveau de la mer la PA est de 760mmHg ; à 5 500m, elle est de 480mmHg ; à 8 800m (Everest), elle est de 250mmHg. À altitude égale, elle est plus basse aux pôles qu’à l’équateur. Elle varie avec les saisons : plus basse l’hiver.
– Déshydratation : la quantité de vapeur d’eau diminue avec l’altitude beaucoup plus rapidement que l’abaissement de la pression atmosphérique. Plus on prend de l’altitude, plus l’air est sec.
– Baisse des températures : la température diminue de 1 degré par 150 m de dénivellation, indépendamment de la latitude. La latitude influence en revanche les variations saisonnières ou diurnes : en zones tropicales, la variation saisonnière est faible et la variation diurne est importante. Pour exemple, la température peut atteindre -40 degrés à 8 848m d’altitude (Everest). Si la différence de température entre deux zones est importante, la différence de pression sera forte et le vent soufflera fort entre ces deux zones. Par beau temps, l’air a tendance à se réchauffer en altitude sous l’effet des hautes pressions, avec souvent de l’air froid en vallée.
Les réactions physiologiques à l’altitude
– Des contraintes précitées, l’organisme humain est capable de développer des mécanismes de défenses adaptés face à l’hypoxie (avec une variabilité interindividuelle certaine). Il existe en revanche peu de mécanismes de défenses face à l’hypothermie. Notre patrimoine génétique contient des mécanismes d’ajustement puissants. Mais, la mise en place de ces mécanismes prend du temps !
– En basse altitude (< 1 000m) : aucun effet n’est ressenti, que ce soit au repos ou à l’effort.
– En moyenne altitude (1 000 à 2 000m) : il existe une diminution de la consommation maximale en oxygène. Mais la diminution de la densité de l’air (parallèle à la pression) et de la résistance de pénétration dans l’air peut être avantageuse pour les sports de vitesse.
– En haute altitude (2 000 à 5 500m) : les effets immédiats de l’hypoxie (tachycardie, hyperventilation) sont ressentis pour des efforts de plus en plus faibles, puis au repos.
– En très haute altitude (>5 500m) : la vie humaine permanente est impossible. Ainsi, le risque de mourir en faisant l’ascension de l’Everest sans oxygène est de 8,3%, alors qu’il est de 3% avec de l’oxygène1 .
Adaptation physiologique de l’organisme : Il existe deux types d’adaptation : génétique et physiologique.
– Adaptation génétique : fruit de la sélection naturelle, irréversible. Dans les populations himalayennes, l’hémoglobine a une haute affinité d’oxygène : les individus n’ont donc ni polyglobulie, ni hypertension artérielle pulmonaire. Ces caractéristiques sont fixes (ne disparaissent pas si la personne est soustraite à son environnement hypoxique). Certaines particularités génétiques ont été mises en évidence pour les populations d’Himalaya, elles sont en revanche inexistantes pour les populations des Andes2.
– Adaptation physiologique : Cette adaptation physiologique se déroule en trois phases : Une phase d’accommodation, dite « phase blanche » et caractérisée par une augmentation du débit cardiaque et ventilatoire : il n’existe pas de signes de mal aigu des montagnes (MAM). Une phase d’acclimatation : lorsque l’exposition à l’hypoxie se prolonge de quelques jours à 2-3 semaines, l’organisme développe des processus pour améliorer la capacité de transport de l’oxygène et son transfert dans les tissus. C’est une phase durant laquelle les pathologies les plus graves peuvent se manifester. Une fois ce processus d’acclimatation stabilisé, l’organisme atteint un état stable d’acclimatement. À chaque montée en altitude supérieure, une nouvelle phase d’acclimatation est nécessaire avant d’atteindre un nouvel état stable d’acclimatement.
Une phase de dégradation : après plusieurs semaines au-delà de 5 000m, est observée une dégradation de l’état physique et parfois mental, qui est d’autant plus rapide que l’altitude est élevée.
La pathologie cardiovasculaire liée à l’hypoxie
Cette pathologie est constituée de l’œdème aigu de haute altitude (OPHA) et des accidents thromboemboliques.
– Œdème pulmonaire de haute altitude (OPHA) Physiopathologie : les mécanismes sont encore très controversés. Il s’agit d’un œdème pulmonaire non cardiogénique, multifactoriel : Vasoconstriction pulmonaire hypoxique : mécanismes multiples (effet direct de l’hypoxie, substances vasoactives, dégranulation des mastocytes libérant ainsi des médiateurs vasoactifs, déficience de la NO synthétase ; troubles de la perméabilité alvéolo- capillaire ; syndrome inflammatoire3,4. lésion de l’espace alvéolo-capillaire : Endothélium : leucotriènes augmentant la perméabilité endothéliale. Epithélium : altération de la fonction Na+/K+ATPase5 (réabsorption de l’eau et du sodium de l’espace alvéolaire vers l’interstitium) / altération de la perméabilité épithéliale secondaire à l’hyperventilation6 / accumulation d’eau dans l’interstitium pulmonaire7 . L’OPHA touche les personnes indemnes de toute pathologie cardiopulmonaire préexistante. Il peut être suraigu avec un décès rapide.
La clinique se manifeste par une dyspnée anormale d’effort puis au repos, une toux initialement sèche puis expectorative mousseuse rose ou hémoptoïque, une cyanose, des crépitants, une tachycardie, une fièvre souvent. Des signes de MAM sont fréquemment associés (trouble digestifs, céphalées, insomnie). Les facteurs favorisants sont une vitesse d’ascension trop rapide ; un exercice intense, une déshydratation, le froid, l’altitude, une infection préexistante des voies aériennes.
Les facteurs prédisposants sont une faible réponse ventilatoire et cardiaque à l’hypoxie dans 80% des cas8,9,10. Aucun type d’entrainement ne permet d’améliorer la réponse à l’hypoxie. La présence d’un FOP a été retrouvée 4 fois plus fréquente chez les sujets développant un OPHA que chez les sujets indemnes11.
Le traitement curatif = urgence thérapeutique. Descente obligatoire la plus précoce possible (au minimum de 500, idéalement de 1 000m). Oxygénothérapie ou caisson hyperbare portable (plus simple au transport)12,13. Le traitement par corticothérapie doit être la plus précoce possible (Dexaméthasone). Les inhibiteurs calciques type Nifédipine peuvent être utilisés pour diminution l’HTAP (attention néanmoins à la chute tensionnelle)14.
1. Huey RB, Supplemental oxygen and mountaineer death rates on Everest and K2, JAMA 2000.
2. Lorenzo FR, A genetic mechanism for Tibetan high-altitude adaptation, Nat Genet 2014.
3. Ogaxa S, Hypoxia modulates the barrier and coagulant function of cultured bovine endotherlium, J Clin Invest 1990.
4. Stelzner TJ, Hypoxia-induced increases in pulmonary transvascular protein escape un rats, J Clin Invest 1988.
5. Planès C, Inhin-bition of Na-K ATPase activité after prolonged hypoxia in an alveolar epithelial cell line, AM J Physiol 1996.
6. Lorino AM, Effects of sustained exercise on pulmonary clearance of aerosolized 99 mTc-DTPA J Appl physiol 1989.
7. Mason NP, Cough frequency and cough receptor sensitivity to citric acid challenge during a stimulated ascent to extreme altitude, Eur Resp J 1999.
8. Semenza GL, Hypoxia-inducible factors in physiology and medicine, cell 2012.
9. Grocott MP, Arterial blood gases and oxygen content in climbers on Mount Everest N Engl J Med 2009.
10. Westerterp KR, Energy balanceat high altitude of 6542 m, J Appl Physiol 1994.
11. Braun B, Women at altitude: short term exposure to hypoxia and/or alpha adrenergic blockade reduces insulin sensitivy. J Appl Physio 2001.
12. Nussbaumer-Ochsner Y, High altitude sleep disturbances monitored by actigraphy and polysomnography, High Alt Med Biol 2011.
13. Berssen,brugge A, Machanisms of hypoxia-induced periodic breathing during sleep in humans, J Physiol 1983.
14. Sutton JR, Effect of acetazolamide on hypoxemia during sleep at high altitude N Engl J Med 1979.
Les inhibiteurs de la phosphodiestérase (PDE5) de type 5 (Sildénafil) sont des vasodilatateurs très efficaces sur l’HTAP sévère sans chute tensionnelle. Le NO inhalé est une alternative mais d’utilisation variable en fonction du terrain.
Il faut surtout insister sur le traitement préventif qui est avant tout l’acclimatation, qui ne sera jamais remplacée par un médicament++. Le dépistage des mauvais répondeurs à l’hypoxie permettra de conseiller plus précisément sur l’acclimatation, voire d’envisager une prescription d’Acétazolamide. Les corticoides préventifs peuvent être une alternative (8mg/12h), ainsi que la Nifédipine (30 2fois /j) en cas d’antécédents d’OPHA. Mais attention à ne pas les utiliser à grande échelle. De même pour les inhibiteurs de la PDE5.
Accidents thromboemboliques
Physiopathologie : triade de Virchow
En phase d’hypoxie aiguë, il est noté une hyperagrégabilité plaquettaire, une augmentation du temps de prothrombine, une augmentation des D Dimères ; néanmoins, l’exercice maximal limite l’augmentation des marqueurs de la coagulation et stimule la fibrinolyse.
En phase d’hypoxie chronique, il existe une hyperplaquettose, une augmentation des facteurs I, II, VII, VIII, IX et X ; avec une tendance à la normalisation lors d’un séjour prolongé. La stase circulatoire, la baisse du volume plasmatique et une mauvaise hydratation entrainent une élévation de l’hématocrite avec un risque thrombotique notamment au-delà d’un taux d’Hb dépassant 18g/dl.
Clinique :
Thrombose veineuse des membres inférieurs : souvent chez les jeunes alpinistes en bonne santé, mal hydratés, immobilisés depuis plusieurs jours à cause du mauvais temps ou d’un MAM.
Embolie pulmonaire : isolée ou intégrée dans un tableau de MAM ou OPHA : y penser si pas d’amélioration clinique de l’OPHA après une descente en altitude.
Le traitement est avant tout préventif : éviter les facteurs favorisants type déshydratation et immobilisation ; chez la femme, se poser la question de l’arrêt de la contraception oestro-progestative si séjour prolongé en altitude ; contention veineuse.
Le traitement curatif est « classique » : HBPM ou AOD. La survenue d’une thrombose en altitude ne doit pas omettre le bilan étiologique avec notamment la pratique d’un bilan de thrombophilie.
La pathologie cardiovasculaire liée au froid
Physiopathologie
Cœur : tachycardie et hypertension en phase initiale, puis bradycardie et hypotension plus tardivement : la bradycardie est réfractaire à l’atropine. Sur l’ECG, il est noté un allongement du QT et du QRS. Survenue de fibrillation auriculaire parfois. L’hypothermie tue en général par FV, régulièrement réfractaire à une cardioversion pour des températures inférieures à – 30°.
Vaisseaux : il existe une vasoconstriction périphérique entrainant une redistribution volémique vers le circuit veineux capacitif profond ; en cas d’hypothermie sévère, insensibilité à l’hormone antidiurétique avec diminution de la réabsorption tubulaire distale = diurèse au froid (hypovolémie réelle). On constate également une fuite extravasculaire vers les espaces extra et intra cellulaires = hypovolémie relative (inter- compartimentale). La vasoplégie plus tardive est secondaire au dysfonctionnement neurovégétatif.
Les formes cliniques : On distingue différents types d’hypothermie :
Hypothermie d’immersion = suraiguë (avalanche, crevasse) / hypothermie intriquée (aiguë) : en quelques heures.
Hypothermie d’épuisement = subaiguë (dizaine d’heures).
Hypothermie du traumatisé : particulièrement péjorative et souvent méconnue.
Le traitement est le réchauffement : L’afterdrop est une baisse habituelle de la température centrale lors de la phase initiale de réchauffement. Réchauffement passif : méthode fiable ; réchauffement dans une pièce à neutralité thermique en prenant garde à ne pas réchauffer l’écorce en premier. La vitesse de réchauffement est habituellement comprise entre 0,5 et 5°/h, elle dépend de la température initiale, de la volémie, des réserves énergétiques et des pathologies associées.
Réchauffement actif : n’est pas sans danger et d’une efficacité contestée compte tenu de l’épaisseur de l’écorce vasoconstrictée donc peu convective : les contraintes physiopathologiques imposent de réchauffer le noyau avant l’écorce ; il y a donc un danger de vasoplégie périphérique. Ce type de réchauffement est donc déconseillé, sauf si l’hypothermie est modérée. Réchauffement des voies aériennes par nébulisateurs.
Réchauffement du sang : remplissage par des cristalloides réchauffés. Oxygénation extracorporelle (CEC) ou par membrane extracorporelle15 si hypothermie grave avec ACR ou hypothermie instable ou résistante aux autres techniques de réchauffement.
Thérapeutique médicamenteuse : l’activité thérapeutique est diminuée (circulations hépatique et rénale altérées) et il y a un risque de rebond au réchauffement. Les vasopresseurs ne doivent pas être utilisés : inutiles et proarythmogènes ; la fibrillation auriculaire se corrige spontanément au réchauffement. L’amiodarone n’a pas fait la preuve de son efficacité.
15. British Thoracic Society Standards of Care Committee, Thorax 2002.
La prévention des accidents en montagne
La prévention est au centre de la prise en charge. C’est elle qui, sans les éviter totalement, limitera les complications en haute altitude.
Une consultation avec ECG obligatoire : par un médecin pratiquant ce sport et ayant une bonne connaissance du milieu montagnard.
Les tests d’aptitude peuvent avoir un intérêt : intérêt limité du test d’effort qui ne sera pas pratiqué systématiquement, seulement si suspicion de coronaropathie / la VO2 max permet d’évaluer la capacité à soutenir un effort intense et prolongé, et peut donc permettre des conseils sur le type d’effort autorisé / le test d’effort en hypoxie est le seul test permettant d’évaluer la tolérance potentielle en haute altitude. Il est recommandé pour les séjours à plus de 4 000m d’altitude.
L’altitude et les pathologies cardiovasculaires préexistantes
L’hypertension artérielle : Il existe des effets inverses sur les résistances périphériques en hypoxie : hyperactivité adrénergique entrainant une vasoconstriction / hypoxie entrainant une vasodilatation. Il n’y a en général pas d’HTA pathologique induite par l’altitude, sauf parfois en début de séjour ; à fréquence cardiaque égale, la pression artérielle a tendance à diminuer en altitude16. En revanche, l’HTA apparait comme un facteur de risque de la mort subite en montagne17.
Une HTA bien contrôlée n’est pas une contre-indication au séjour en haute altitude. Il est possible d’évaluer par un test d’effort en hypoxie pour la détection de patients particulièrement réactifs. Il faut privilégier les IEC, ARAII ou IC plutôt que les bétabloquants (limitation de l’adaptation sur la FC notamment).
La maladie coronaire : l’effet de l’altitude se fait par l’intermédiaire d’une augmentation du travail cardiaque et non par la baisse de l’apport en O2 du myocarde ; le seuil ischémique baisse de 70 à 80% et la réserve coronarienne diminue de 18% à 2 500m. Il est déconseillé de monter en altitude les 6 premiers mois après un infarctus du myocarde et avec un test d’effort obligatoire. A priori pas de problème jusqu’à 2 500m d’altitude18.
L’insuffisance cardiaque : la VO2 max baisse de 6,6% à 2 000m et de 13,9% à 2 970m. A priori, pas de problème jusqu’à 2 000m.
La mort subite : par rapport à la population générale, la mort subite est multipliée par 4,2 chez les trekkeurs, par 2,2 chez les skieurs ; mais aucun argument ne permet de dire que ce risque est plus élevé que pour d’autres sports type course à pied, ski de fond ou squash.
Les troubles du rythme : aucune étude ne montre l’augmentation des troubles du rythme chez les sujets sains19.
Les cardiopathies congénitales sont potentiellement plus à risque, soit par HTAP, soit par une hypoxie due à un shunt droit gauche.
Le syndrome de Raynaud est bien sûr exacerbé par le froid.
En conclusion, la pathologie cardiaque est rarement une contre-indication des séjours en montagne jusqu’à 2 000m d’altitude (« moyenne altitude »). Au-delà de 2 500m (« haute et très haute altitude »), il faut faire preuve d’une grande vigilance car l’hypoxie et le froid nécessitent une capacité d’adaptation que certaines pathologies cardiaques empêcheront. Chez les sujets sains, la tolérance à l’altitude est très variable d’un individu à l’autre. Le traitement préventif des complications cardiovasculaires est l’acclimatation et la limitation de la durée des séjours au-delà de 5 000m. La passion ne doit pas exclure la raison !
16. Winkler L, Systemic blood pressure at exercise un hypoxia in hypertensive and normotensive subjects. J Hypertension 2017.
17. Burtscher M, Risk factor profile for sudden cardiac death during mountain hiking. Int J Sports Med 2007.
18. Erdmann J, Effects of exposure to altitude on men with coronary artery disease and impaired left ventricular function. AM J Cardiol 1998.
19. Burtscher M, The risk of cardiovascular events during leisure time activities at altitude. Prog Cardiovasc Dis 2010.