Diagnostic et prise en charge des maladies
aortiques : quoi de neuf ?
Sur la base des recommandations ACC/AHA 2022 sur le diagnostic et la prise en charge de la maladie aortique (parues dans le JACC, par Isselbacher et al., doi: 10.1016/j.jacc.2022.08.004)
10 points clés :
1. L’expertise d’une équipe multidisciplinaire spécialisée dans les maladies aortiques (« Aortic team ») est utile dans la détermination du meilleur timing d’intervention pour les patients.
2. La prise de décision partagée entre le patient et l’équipe multidisciplinaire doit être fortement encouragée pour le traitement médical, endovasculaire ou chirurgical. En cas de grossesse envisagée ou en cours, la décision partagée est particulièrement importante pour prendre en compte le risque cardiovasculaire de la grossesse, les seuils de diamètre pour la chirurgie aortique en prévention primaire et le mode d’accouchement.
3. La tomodensitométrie, l’imagerie par résonance magnétique et l’échocardiographie doivent suivre les recommandations en ce qui concerne l’acquisition des images, les mesures des dimensions aortiques, ainsi que la fréquence de la surveillance avant et après l’intervention.
4. Dans les centres dotés d’équipes multidisciplinaires de maladie aortique et de chirurgiens expérimentés, le seuil d’intervention chirurgicale pour les anévrysmes de la racine de l’aorte et de l’aorte ascendante a été abaissé de 55mm à 50mm chez certains patients, et même plus bas en cas d’anévrysmes thoraciques héréditaires.
5. Chez les patients de petite ou de grande taille, la mesure des diamètres aortiques peut tenir compte de la différence de gabarit. Les dimensions de la racine aortique ou le diamètre de l’aorte ascendante peuvent être ajustés en fonction de la taille du patient.
6. La progression rapide de la racine aortique ou d’un anévrysme de l’aorte ascendante, constitue une indication d’intervention. Elle est définie comme une augmentation de + 5mm en 1 an ou 3mm par an pendant 2 années de suite pour les personnes atteintes d’anévrysmes sporadiques et 3mm en 1 an pour les personnes atteintes d’une maladie héréditaire de l’aorte ou d’une bicuspidie aortique.
7. Chez les patients bénéficiant d’une chirurgie de remplacement de la racine aortique, la conservation de la valve aortique est raisonnable
Introduction
– Définir les segments de l’aorte L’aorte peut être définie en 5 segments :
• la racine ou les sinus : depuis l’anneau valvulaire aortique jusqu’à la jonction sino tubulaire
• l’aorte ascendante : depuis la jonction sinotubulaire jusqu’au tronc artériel brachio-céphalique
• l’arche aortique : depuis le tronc artériel brachio- céphalique jusqu’à l’artère sous clavière gauche
• l’aorte descendante : depuis l’artère sous clavière gauche jusqu’au diaphragme
• l’aorte abdominale : depuis le diaphragme jusqu’à la bifurcation aorto-illiaque.
– Normalisation des mesures aortiques à la taille du patient Les seuils de 40 et 45mm de diamètre doivent être adaptés à la taille du patient.
Ils sont globalement valides pour les patients avec une taille ou une surface corporelle dans les 1 à 2 déviations standards de la moyenne. Pour les autres, les mesures peuvent être adaptées via le Z-score, notamment dans la population pédiatrique, ou à l’index de taille et de hauteur aortique (Aortic Size index : ASI). Cet index définit le diamètre aortique en cm par m2 de surface corporelle. Une 3e technique est de calculer un ratio de l’aire de l’aorte (cm) sur la taille du patient (m), un cut off de >10cm2 /m2 permettrait de poser l’indication d’une intervention.
– Types de maladies aortiques : anévrysme, dissection La définition conventionnelle d’un anévrysme est une dilatation de l’artère de plus de 1,5 fois son diamètre normal. Cela s’applique pour l’aorte abdominale et thoracique descendante. Pour la racine aortique et l’aorte ascendante, cette définition est prise en défaut et la définition de l’anévrysme doit plutôt se baser sur l’évolutivité du diamètre aortique. Pour l’aorte thoracique ascendante, le cut off retenu pour définir une dilatation est de ≥40mm (dans les recommandations européennes de 2014 également).
Il convient, sur le plan sémantique, de privilégier le terme « dilatation » plutôt que « ectasie » pour décrire une augmentation minime des dimensions aortiques. Le terme « ectastique » est habituellement utilisé pour décrire des dilatations diffuses plutôt que focales, au niveau notamment des artères coronaires.
Par ailleurs, les syndromes aortiques aigus sont à différences des anévrysmes qui évoluent de manière chronique. On note 3 sous types physiopathologiques de syndromes aortiques aigus : la dissection (la plus fréquente, liée à une déchirure intimale qui crée une 2ème lumière longitudinale avec un flap qui peut se propager rapidement), l’hématome intra-mural (présence de sang dans la media sans déchirure intimale ni fausse lumière) et l’ulcération athérosclérotique pénétrante (rupture focale de l’intima aortique souvent associée à un hématome mural, de l’aorte thoracique descendante moyenno-distale). Ces trois causes peuvent conduire à une rupture aortique.
La dissection aortique est habituellement classée selon Stanford en type A si elle touche une partie de l’aorte ascendante et type B si elle épargne l’aorte ascendante (mais peut atteindre l’arche aortique).
Suivi d’une maladie aortique
– Comment effectuer les bonnes mesures ? Chez les patients présentant une maladie aortique connue ou suspectée, les diamètres aortiques doivent être mesurés au niveau de repères anatomiques reproductibles, perpendiculairement à l’axe du flux sanguin, et ces méthodes de mesure doivent être rapportées de manière claire et cohérente. (Figure 1) En cas de contour asymétrique ou ovale, le diamètre le plus long et son diamètre perpendiculaire doivent être indiqués.
–> Lors de la réalisation d’un scanner ou d’une IRM, la mesure des diamètres de la racine et de l’aorte ascendante doit être faite d’’un bord interne à l’autre, à l’aide d’une technique synchronisée avec l’ECG. En cas d’anomalies de la paroi aortique, telles que l’athérosclérose ou un épaississement discret de la paroi (plus fréquent dans l’aorte distale), le diamètre de bord externe à bord externe doit être rapporté.
–> Le diamètre de la racine aortique doit être enregistré en tant que mesure maximale de sinus à sinus. En cas d’asymétrie connue, plusieurs mesures doivent être rapportées et des images de la racine dans l’axe court et dans l’axe long doivent être obtenues afin d’éviter une sous-estimation du diamètre.
–> En échocardiographie, la mesure de l’aorte doit être effectuée d’un bord d’attaque à l’autre, perpendiculairement à l’axe du flux sanguin. L’utilisation de mesures de bord interne à bord interne peut également être envisagée, en particulier sur l’imagerie en petit axe. Cette modalité d’imagerie reste la plus fréquemment utilisée pour l’aorte thoracique, notamment dans l’imagerie de la racine aortique et de l’aorte ascendante, ainsi que pour évaluer la valve aortique.
– Anévrysmes de l’aorte thoracique Les anévrysmes de l’aorte thoracique surviennent chez 5 à 10/100 000 personnes-années, les plus fréquents touchent la racine et l’aorte ascendante (60%) suivie de l’aorte descendante (30%) et rarement l’arche aortique (10%). Le risque associé d’anévrysme de l’aorte abdominale et des artères cérébrales est modérément augmenté.
• Les anévrysmes de la racine et de l’aorte ascendante sont souvent associés à une maladie héréditaire, chez un sujet jeune. 20% des anévrysmes thoraciques sont liés à une cause héréditaire (syndrome de Marfon, Loeys-Dietz, Ehlers-Danlos vasculaire, <60ans, apparenté au 1er ou 2ème degré porteur d’un anévrysme) parfois systémique avec des anomalies de l’aorte et de ses branches, parfois des dissections associées.
Il convient de rechercher les antécédents familiaux (anévrysmes aortiques, périphériques, intracrâniens, mort subite) systématiquement en cas d’atteinte de la racine aortique, de l’aorte ascendante, de dissection aortique. En cas de suspicion de maladie héréditaire, un test génétique est indiqué à la recherche d’un variant causal. Chez un apparenté asymptomatique porteur du variant familial causal ou en l’absence de variant causal retrouvé mais forte suspicion de cause héréditaire, une imagerie aortique (ETT) est indiquée en première intention, et un scanner ou une IRM aortique en 2ème intention.
• Les anévrysmes de l’aorte descendante sont plutôt associés à une origine dégénérative du sujet plus âgé. Ces patients sont à plus haut risque cardiovasculaire.
– Spécificités de la maladie de Marfan Chez les patients atteints de la maladie de Marfan, il est recommandé de réaliser une ETT au moment du diagnostic initial (sinon scanner ou IRM) afin de déterminer les diamètres de la racine aortique et de l’aorte ascendante, et 6 mois plus tard (progression ?). Si les diamètres aortiques sont stables, une ETT annuelle suffit.
–> Le traitement médical doit comporter un bétabloquant ou un ARA2 pour réduire la dilatation aortique. L’association des deux traitements peut aussi être envisagée.
–> Le seuil de 50mm est celui qui permet de poser l’indication d’un replacement de la racine aortique et de l’aorte ascendante. Un seuil de 45mm peut être envisagé en cas de risque accru de dissection aortique (antécédent familial de dissection, croissance rapide + 3mm/an, maladie diffuse, tortuosité vertébrale)
Après un remplacement de la racine aortique, une imagerie de surveillance de l’aorte thoracique par IRM (ou scanner) est recommandée pour évaluer l’anastomose distale, d’abord une fois par an puis, si le diamètre est normal et inchangé après 2 ans, tous les deux ans. On peut y associer un dépistage des anévrysmes de l’aorte abdominale tous les 3 à 5 ans.
– Spécificités de la bicuspidie
Chez les patients atteints de bicuspidie aortique, l’ETT est indiquée pour évaluer la morphologie et le fonctionnement valvulaire, le diamètre de la racine aortique et de l’aorte ascendante, ainsi que pour rechercher une coarctation aortique et d’autres anomalies cardiovasculaires associées. Si l’ETT ne suffit pas, le scanner ou l’IRM sont utiles si le diamètre et la morphologie de la racine aortique, de l’aorte ascendante ou des deux ne peut pas être correctement visualisé en ETT. En cas de bicuspidie avec une dilatation de la racine aortique ou de l’aorte ascendante, le dépistage de tous les parents au premier degré par ETT est recommandé.
–> Le seuil de 55mm est celui qui permet de poser l’indication d’un replacement de la racine aortique et/ou de l’aorte ascendante. Entre 50 et 54mm, l’indication peut être posée en cas de facteur de risque additionnel de dissection aortique (histoire familiale de dissection, progression +3mm/an, coarctation aortique, morphologie particulière de l’aorte). Après correction chirurgicale, le suivi doit être réalisé régulièrement par ETT, scanner ou IRM. L’intervalle entre chaque examen est déterminé par les diamètres aortiques et leur évolutivité.
– Anévrysmes de l’aorte abdominale (AAA) et thoracique dégénératifs/sporadiques Chez les hommes de plus de 65 ans, tabagiques actifs ou sevrés, ou en cas d’apparenté au 1er degré atteint d’AAA, la réalisation d’une échographie est utile pour dépister les AAA. Chez les femmes de plus 65 ans tabagiques actives ou sevrées, ce dépistage est raisonnable avec un degré de recommandation moindre. Après 75 ans, si la première échographie s’est révélée normale, il n’est pas recommandé de répéter le dépistage de l’AAA.
–> Le contrôle tensionnel est impératif avec objectif TA < 130/80mmHg chez les porteurs d’un AAA en utilisant des bétabloquants ou un ARA2.
–> Un traitement hypolipémiant par statines associé est recommandé en cas de preuve clinique ou iconographique d’athérome associé. Sinon, les statines ne sont pas indispensables. Le sevrage tabagique est bien sûr impératif !
–> Le traitement par Aspirine peut être considéré en l’absence de contre-indication sans recommandation forte (2b). Le suivi de l’évolution des anévrysmes de l’aorte doit être réalisé régulièrement avec évaluation de la valve aortique et des diamètres de l’aorte. Pour l’aorte abdominale : entre 30 et 39mm : tous les 3 ans, entre 40 et 49mm chez les hommes, 40 et 44mm chez les femmes : tous les ans, ≥50mm chez les hommes et 45mm chez les femmes : tous les 6 mois.
–> La chirurgie est indiquée pour les AAA avec un seuil ≥55mm chez les hommes et 50mm chez les femmes ou en cas de symptômes en lien avec l’anévrysme. Un traitement endovasculaire est recommandé pour les AAA non rompus.
–> Pour les anévrysmes de l’aorte thoracique, le seuil de ≥55mm est retenu pour poser l’indication de chirurgie. La progression rapide (+3mm/a pendant 2 ans ou 5mm/a) peut suffire à poser l’indication même si le diamètre est <55mm. Le remplacement de l’aorte ascendante seul doit être préféré en cas de valve aortique tricuspide sans fuite ni sténose.
–> Inversement, en cas d’indication de remplacement valvulaire aortique, un remplacement de l’aorte ascendante associé est raisonnable si son diamètre maximal est déjà ≥50mm.
– Syndromes aortiques aigus Le syndrome aortique aigu est une pathologie rare mais grave avec un taux de mortalité de 1 à 2%, le diagnostic peut être difficile et repose sur l’angioscanner aortique, souvent guidé par des douleurs thoraciques ou une asymétrie tensionnelle (>20mmHg).
Le traitement médical repose sur l’instauration rapide d’un traitement anti-hypertenseur pour obtenir une TA systolique < 120mmHg et une Fc entre 60 et 80bpm (notamment grâce aux bétabloquants associés à des vasodilatateurs si insuffisants). Puis, la chirurgie de réparation aortique doit être réalisée en urgence en cas de dissection aortique de type A (touchant l’aorte ascendante) ou d’ulcère aortique pénétrant. En cas de dissection de type B (épargnant l’aorte ascendante), le traitement médical initial est indiqué en première intention (sauf en cas de complication).
Ensuite, le traitement au long cours doit comprendre un bétabloquant associé si besoin à des IEC ou des ARA2.
– Prise en charge de la grossesse et du post-partum Avant la grossesse, les patientes atteintes d’aortopathies héréditaires (Marfin, Loeys-Dietz, Ehlers-Danlos vasculaire) doivent bénéficier d’un conseil génétique et d’une évaluation des dimensions aortiques (ETT, scanner, IRM). En cas de maladie de Marfan avec diamètre de la racine >45mm ou de bicuspidie avec diamètre ≥50mm, la chirurgie doit être réalisée avant la grossesse !
Pendant la grossesse, la prise en charge doit être multidisciplinaire et comprendre un contrôle tensionnel rigoureux, grâce à des bétabloquants notamment, avec une surveillance ETT (diamètres et valve aortique) tous les trimestres et en post partum. Par les anévrysmes de l’arche aortique, de l’aorte descendante ou abdominale (ou les 3 !) une IRM sans injection de gadolinium est recommandée pour éviter l’irradiation du fœtus.
L’accouchement doit être réalisé par voie basse en cas d’anévrysme <40mm. La césarienne est en revanche recommandée si la patiente a déjà un antécédent de dissection aortique.
– Activité physique L’activité physique en résistance et les exercices isométriques intenses (par exemple, l’haltérophilie lourde ou les activités nécessitant la manœuvre de Valsalva), les efforts et les activités en rafale, et les sports de collision doivent être proscrits chez les patients porteurs d’une aortopathie évoluée. Si la tension artérielle est insuffisamment contrôlée chez les patients souffrant d’un anévrysme de l’aorte thoracique ou abdominale, une activité physique légère à modérée peut permettre d’améliorer la tension artérielle : 30 à 60 minutes au moins 3 à 4 jours par semaine.
Conclusion
– La maladie aortique anévrysmale, disséquante ou ulcérante, comprend un vaste éventail de patients et de situations cliniques.
– La pierre angulaire du diagnostic et du suivi reste l’échographie, alternée ou associée au scanner ou à l’IRM aortique.
– Les seuils chirurgicaux doivent être bien connus du cardiologue, afin de référer rapidement et de manière adaptée le patient à un chirurgien.
– Certaines comorbidités peuvent modifier de quelques millimètres ces seuils en indiquant une chirurgie plus rapide (notamment les aortopathies héréditaires ou la bicuspidie aortique).
– Il convient de ne pas méconnaître ces étiologies héréditaires en questionnant systématiquement le patient sur une maladie anévrysmale ou l’existence de morts subites inexpliquées dans la famille.