ÉDITORIAL N°41

Au congrès de l’ESC, des résultats impériaux ?

 

L’étude sans doute la plus attendue de l’ESC était EMPEROR-Preserved, qui évaluait l’empaglifl ozine chez les patients ayant une insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée (ou modérément altérée) définie essentiellement par une fraction d’éjection > 40 % et un taux de NTproBNP élevé. On attendait avec impatience ces résultats pour deux raisons essentielles : les gliflozines représentent une classe thérapeutique ayant un intérêt clinique majeur chez les diabétiques et, de façon initialement plus inattendue, chez les insuffisants cardiaques à fonction ventriculaire gauche altérée ; et il n’y a jamais eu jusqu’à présent de traitement ayant démontré une véritable efficacité dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée.

Mon sentiment, avant les résultats de l’étude, était pourtant qu’il y avait assez peu de chance d’obtenir un effet concluant, tellement l’insuffisance cardiaque à fonction préservée est une entité nosologique complexe, le plus souvent représentée par des patient(e)s hypertendu(e)s, faisant un épisode d’œdème pulmonaire isolé, dont on ne sait jamais très bien quand il risque de se reproduire.

J’avais tort : les patients traités ont eu une réduction franchement significative, de 21 %, du critère principal (mortalité cardio-vasculaire ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque).

J’avais tort, mais à y regarder de plus près, peut-être pas complètement. Seuls deux critères de jugement, étroitement liés, ressortent de façon très positive : les premières hospitalisations pour insuffisance cardiaque (-29 %), et le nombre total d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque (-27 %). La qualité de vie, sous traitement, n’est que peu améliorée (de façon non significative par rapport au placebo) ; le nombre d’hospitalisations toutes causes est réduit de 7 % (différence non significative ; en termes absolus, environ 3 % d’événements évités par an et pour les 2/3 par réduction des hospitalisations pour insuffisance cardiaque) ; la mortalité cardiovasculaire est réduite de 9 % (différence non significative ; en termes absolus, baisse de 0,4 % par an) et enfi n il n’y aucun impact sur l’espérance de vie (mortalité toutes causes identique). On est donc loin des résultats spectaculaires observés avec les IEC, les bêtabloquants ou même les gliflozines dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection altérée. Comment expliquer ces résultats : probablement assez simplement. Les patients ayant une insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée sont âgés, avec de très nombreuses comorbidités (plus de 90 % hypertendus, environ 50 % de diabétiques et 50 % ayant des antécédents de fibrillation atriale, par exemple) et qui vont donc avoir de multiples raisons d’être hospitalisés (dans l’étude, les hospitalisations pour insuffisance cardiaque ne représentent que 20 % environ du total des hospitalisations) ; de même, ces différentes comorbidités sont susceptibles d’altérer la qualité de vie, si bien que le gain de qualité de vie entraîné par la réduction du risque d’insuffisance cardiaque se trouve lui aussi en quelque sorte « noyé » dans la masse.

 

Pour se résumer, l’empaglifl ozine est incontestablement un véritable traitement de l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée et c’est la première fois qu’un médicament obtient des résultats réellement positifs dans cette pathologie. L’étude est donc un succès indéniable. Pour autant, le risque évolutif n’est pas colossal (environ 90 % des patients n’ont pas de récidive dans l’année qui suit l’inclusion ; la mortalité cardio-vasculaire du groupe placebo est de 3,8 pour 100 patients-année, alors que dans les études DAPA-HF, ou EMPEROR-Reduced, pour des populations avec fonction systolique altérée, de près de 6 ans plus jeunes, elle était de 7,9 et 8,1 pour 100 patients-année) et le traitement permet d’éviter environ 2 % d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque par an. Il ne faut donc pas attendre de ce traitement plus qu’il ne peut donner dans cette pathologie aux mécanismes et à l’environnement médical complexes, c’est-à-dire une réduction substantielle d’un risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque qui est cependant bien moindre que celui de l’insuffisance cardiaque à fonction systolique altérée, sans impact sur l’espérance de vie, ni même sur la qualité de vie.

 

Nicolas Danchin

 

Anker et al. New Engl J Med 2021 

Liens d’intérêt (10 dernières années) : 

Subventions de recherche : Amgen, Astra-Zeneca, Bayer, Intercept, Eli-Lilly, MSD, Pfizer, Sanofi . 

Honoraires pour conférences/consultance/études : Amgen, Astra-Zeneca, Bayer, BMS, BoehringerIngelheim, Daiichi Sankyo, Lilly, MSD, Novartis, Novo-Nordisk, Pfizer, Sanofi , Servier, UCB, Vifor.

 

Cordiam N°41 – AOÛT – SEPTEMBRE 2021