L’ÉDITO DE NICOLAS DANCHIN

Verba volant, scripta manent… Pas toujours !​

C’est une rentrée évidemment particulière, mais qui nous donne pas mal de motifs de réflexion. Dans ce contexte, j’ai choisi deux thèmes, tous deux liés à la pandémie, mais qui permettent de se projeter bien au-delà. ​

 

Le premier concerne l’interaction théorique entre IEC/ARA2 et gravité du (de la) COVID-19 (j’écris politiquement correct, en proposant les 2 genres pour parler de la maladie due au SARSCOV-2). Nous avions vu précédemment que les mêmes bases théoriques pouvaient suggérer soit que ces traitements seraient dangereux en favorisant la diffusion du virus, soit au contraire qu’ils auraient un effet protecteur. Ont suivi d’assez nombreuses études d’observation qui ont pour la plupart conclu à la neutralité des traitements sur le cours de la maladie. Puis nous avons eu à l’ESC les résultats de l’étude BRACE-CORONA, première étude randomisée qui a comparé la poursuite ou l’arrêt des IEC/ARA2 chez 659 patients hospitalisés pour COVID-19 : aucune différence de pronostic entre les deux stratégies. Ces résultats montrent que les études d’observation bien conduites, prenant en compte la plupart des facteurs confondants, peuvent donner des résultats fiables. Quand il n’est pas possible ou envisageable de faire une étude randomisée, une étude d’observation rigoureuse est susceptible d’apporter des réponses infiniment plus pertinentes que de simples « sentiments » cliniques. A ce propos, une petite digression : sans doute la plus vaste des études d’observation sur le sujet des IEC/ ARA2 a été publiée par le New England Journal of Medicine ; il se trouve qu’elle émanait du même groupe que celui qui avait publié l’étude sur l’hydroxychloroquine dans le Lancet, à partir de données de 96 032 patients, données dont la provenance était pour le moins douteuse. On a énormément parlé dans la presse de l’étude du Lancet, qui a été rétractée, mais pratiquement pas de celle du NEJM, qui l’a été également. Les journalistes paraissent avoir été plus sensibles à la polémique hydroxychloroquine qu’à la problématique majeure qu’est l’intégrité scientifique. Il va falloir leur expliquer !

Le second concerne une étude publiée dans l’Asian Journal of Medicine and Health, revue qui se targue d’une grande transparence et d’une grande rigueur dans sa politique de reviewing des articles soumis. C’est tellement vrai que pas moins de 3 reviewers ont analysé et accepté un intéressant papier signé d’auteurs prestigieux (entre autres : D. Lembrouille, Département de Médecine Nucléaire Compliante de la SFR, île de Guyane, France, S. Trottinetta, Collectif Laissons les Vendeurs de Trottinette Prescrire, France, University of Melon, Melon, France, Nemo Macron, Palais de l’Elysée, Paris, France). L’article compile trois études remarquables, deux d’observation et une « partiellement randomisée » de 6 patients, et conclut que l’association hydroxychloroquine-azithromycine diminue drastiquement les accidents de trottinette… Cette publication particulièrement bien tournée illustre les dérives de l’édition scientifique médicale. Dans des cas comme celui-ci, des reviewers fantômes acceptent les articles sans les lire (on l’espère du moins !), tout simplement car la revue vit grâce aux frais de publication (souvent plusieurs milliers d’euros) exigés des auteurs. Tout peut donc être publié quelque part, à condition de payer ! La problématique de l’édition scientifique est complexe : les revues traditionnelles ne font pas payer les auteurs et elles vivent des abonnements (de moins en moins nombreux, y compris de la part des institutions hospitalières ou universitaires) et des droits de téléchargement payés par les chercheurs pour consulter les articles dans leur intégralité ; le corollaire est que les articles passent par un vrai processus de revue par des pairs qui apporte une certaine garantie de qualité. A l’opposé on voit maintenant de plus en plus de revues open source, où le lecteur peut consulter gratuitement la totalité du contenu, mais qui, du coup, font payer les auteurs pour les publier. De très grandes revues, d’une qualité scientifique incontestable, fonctionnent selon ce modèle. Mais les dérives sont faciles : l’exemple de la trottinette en est l’illustration, même si l’article en question a ensuite été lui aussi rétracté par la revue en raison de son retentissement médiatique.
Moralité : ne vous laissez pas impressionner et ne croyez pas tout ce que vous voyez écrit dans des revues, sous prétexte que les chiffres sont considérables ou que c’est en anglais !

 

Nicolas Danchin