« Le Sacré-Cœur crucifié » Maurice Denis 1916.

Un jour de 1673 le Christ apparaît à Marguerite-Marie Alacoque, religieuse de l’ordre de la Visitation à Paray-leMonial. De Clément XIII en 1765 à Benoît XVI en 2011, de nombreux papes vont développer le sens de cette Vision, instituer la solennité et expliciter le culte du Sacré-Cœur qui illustre l’amour de Dieu pour les hommes et le sacrifice du Christ pour le rachat de l’humanité. Des images pieuses insérées entre les pages des livres de messe aux œuvres de grands peintres occidentaux, les représentations du Sacré-Cœur de Jésus sont innombrables.

 

Encore étudiant, il fréquente le musée du Louvre où les œuvres du dominicain Fra Angelico détermineront sa vocation de peintre chrétien. Il fera partie des Nabis, mouvement fondé par Paul Sérusier en 1888, à la recherche de voies spirituelles et dont une des significations est « l’inspiré de Dieu ». Ces artistes s’appliquent à retrouver le caractère sacré de la peinture. Chacun porte un surnom ; le sien est « le nabi aux saintes icônes ». En 1919 il fondera avec George Desvallières les « Ateliers d’art sacré » avec la volonté de promouvoir la création d’œuvres sur des sujets religieux « en creusant la nature (…), en arrachant au corps humain, à la figure humaine, sa ressemblance avec Dieu ». Maurice Denis écrit « Je proscris l’Académisme (…), le jansénisme (…), le réalisme (…). Je prêcherai la Beauté. La beauté est un attribut de la Divinité. »

 

Ce tableau, exposé au salon de la Triennale en 1916, a été peint dans le contexte de la Grande Guerre. Il illustre le début de la réflexion de Maurice Denis sur le thème du Sacré-Cœur de Jésus et qu’il voulait représenter dans la chapelle du Prieuré, propriété acquise en 1914 et où il a vécu avec sa famille à Saint-Germain-en-Laye. Ce lieu est devenu le musée qui porte son nom.

 

La représentation de ce Christ crucifié n’est pas la figuration habituelle du Sacré-Cœur. La mère ne se tient pas au pied de la croix (« Stabat mater dolorosa / Juxta crucum tecum stare ») mais est représentée contre le corps de son fils dans une position d’amour maternel (« Eja Mater, fons amoris » : « Ô mère, source de tendresse »). Sa tête est inclinée comme celle de son fils. Les deux personnages ont les yeux clos. Les visages semblent apaisés. La chair du Christ est teintée du bleu de la mort récente. Du cœur lumineux comme un soleil rougeoyant émane le message d’amour adressé à l’humanité toute entière « Fac ut ardeat cormeum/ in amando Christum Deum : Fais que mon cœur s’enflamme / pour l’amour du Christ Dieu », mais aussi l’espoir de la fin de toutes formes de violence en cette période troublée. Le calvaire occupe toute la toile, la dépassant du côté gauche et touchant presque son bord droit. Le spectateur que nous sommes est tout proche des personnages.

 

Le mât unit un ciel crépusculaire en teintes dorées et une terre brune, mise à nu, comme stérilisée, paysage de tranchées où un calme illusoire semble s’être installé avant la reprise de nouveaux combats meurtriers

 

En plaçant la croix sur ce champ de bataille Maurice Denis, qui perdra un fils à la guerre 2 ans plus tard, rend hommage à ces jeunes soldats sacrifiés dans ce conflit et à leurs mères endeuillées. Il espère la fin des combats et le retour à la paix mais, chrétien fervent, il aspire aussi à une paix plus profonde que l’absence de guerre, celle que procure la foi.

Pascal Guéret, Boulogne-Billancourt
pascalgueret46@gmail.com

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