L’arthrose est la première cause de maladie ostéo-articulaire et l’une des principales causes de handicap après 65 ans. Elle occasionne des douleurs articulaires chroniques et un handicap fonctionnel (marche, autonomie, gestuelle, etc.). Son incidence ne cesse de croître du fait du vieillissement de la population et de la prévalence de l’obésité, qui constituent ses deux principaux facteurs de risque.

L’obésité double le risque de gonarthrose mais aussi de manière plus surprenante d’arthrose digitale (Figure 1), ce qui ne peut pas s’expliquer par la simple augmentation des contraintes mécaniques puisqu’il s’agit d’articulations non portantes. De plus, le syndrome métabolique, ainsi que chacun de ses composants, est associé à une augmentation du risque d’arthrose, notamment digitale. Au-delà du rôle du stress mécanique lié à l’excès de poids, de nombreux mécanismes physiopathologiques sont impliqués dans cette association que l’on appelle maintenant « arthrose métabolique ». Parmi eux, on peut citer l’inflammation de bas grade secondaire à la production endocrine de médiateurs pro-inflammatoires du tissu adipeux des sujets obèses (adipokines), le stress oxydant induit par l’hyperglycémie chronique, l’insulinorésistance des tissus articulaires chez les patients diabétiques ou encore le rôle délétère sur l’articulation des LDL-oxydés. Enfin, les sujets arthrosiques ont une surmortalité d’origine cardiovasculaire qui semble être à la fois une conséquence de l’association avec les maladies métaboliques et de la sédentarité secondaire à l’arthrose.

Arthrose digitale, aspect clinique et radiographique.

Concept d’arthrose métabolique

L’arthrose est une maladie ostéo-articulaire d’origine plurifactorielle : génétique, traumatique, sénescente et/ou métabolique. Ainsi, en fonction des facteurs de risque impliqués, on distingue des phénotypes cliniques d’arthrose ayant des mécanismes physiopathologiques distincts. Parmi eux, on compte principalement l’arthrose post-traumatique, l’arthrose liée au vieillissement et l’arthrose métabolique. Au niveau tissulaire, elle est caractérisée par une inflammation de bas grade locale de l’ensemble de l’articulation aboutissant à une dégradation du cartilage, une inflammation synoviale, un remodelage de l’os souschondral et des lésions tendineuses et ligamentaires. Tout ceci occasionne des douleurs articulaires.

Parmi les phénotypes cliniques, l’arthrose métabolique englobe à la fois l’arthrose induite par l’obésité mais aussi l’arthrose associée au syndrome métabolique, même si la définition exacte de ce syndrome reste discutée 1 (Figure 2). Il est facile de comprendre que l’obésité favorise la survenue d’arthrose des membres inférieurs de par l’excès de stress mécanique appliqué aux articulations portantes. Ceci est même facilement modélisable au laboratoire par la compression artificielle d’explants de cartilage qui, en réponse, libèrent des enzymes dégradant la matrice du cartilage et des médiateurs pro-inflammatoires. De manière inattendue, le surpoids et l’obésité sont associés à un doublement du risque d’arthrose digitale, alors que ces articulations ne sont pas soumises à l’excès de contraintes liées au poids. Cette donnée a mis en avant le rôle de facteurs systémiques (adipokines, cytokines pro-inflammatoires), mais une vision encore plus « systémique » peut être envisagée : en effet, au-delà de l’obésité, le syndrome métabolique est aussi associé à une augmentation du risque d’arthrose (Figure 2). Tout d’abord, au sein de la population générale, la prévalence du syndrome métabolique est augmentée dans la population arthrosique par rapport à celle non-arthrosique de même âge (59% versus 23%). De plus, l’accumulation des facteurs métaboliques (hypertension, diabète, dyslipidémie) augmente le risque d’arthrose, indépendamment du poids 2. Aussi, l’impact de ces maladies métaboliques est particulièrement visible en étudiant l’arthrose digitale car le rôle du poids dans le développement de l’arthrose du genou est tel qu’il efface les associations plus fines. Ainsi avons-nous montré que les patients infectés par le VIH avec syndrome métabolique ont plus d’arthrose digitale et dans une forme plus sévère que les patients VIH sans syndrome métabolique ou que la population générale 3.

Certaines études ont même retrouvé une association indépendante entre l’arthrose (gonarthrose et arthrose digitale) et le diabète de type 2 4 mais aussi l’hypercholestérolémie ou l’hypertension artérielle. Par exemple, les patients diabétiques de type 2 ont plus d’inflammation synoviale, plus de douleur, et recourent plus précocement à une prothèse de genou qu’un sujet non diabétique, et ce, indépendamment du poids, de l’activité physique ou de la présence d’une neuropathie. Tous ces éléments ont ainsi fait proposer le terme d’arthrose métabolique pour dépasser la notion restrictive d’arthrose liée à l’obésité.

Explications physiopathologiques

De nombreuses équipes de recherche s’attèlent à mieux comprendre les relations physiopathologiques possibles entre ces maladies. Tout d’abord, comment l’obésité peut-elle influencer le risque d’arthrose des mains ? L’obésité est aujourd’hui considérée comme une maladie systémique du fait des capacités endocrine du tissu adipeux à secréter des médiateurs pro-inflammatoires. Ainsi, le tissu adipeux notamment viscéral est responsable de la production d’un ensemble de médiateurs pro-inflammatoires comme les cytokines (comme le TNF ou l’IL6), les radicaux libres oxydants, ou encore ce que l’on regroupe sous le terme d’adipokines (molécules principalement sécrétées par le tissu adipeux) 5.

Cet état inflammatoire de bas grade, conséquence directe de l’excès de masse grasse, peut induire des dommages tissulaires à distance. Par exemple, les adipokines, dont le taux synovial et sérique est corrélé à l’indice de masse corporelle (IMC), sont aussi augmentées chez les sujets arthrosiques et ont démontré pour la plupart une action pro-infl ammatoire et prodégradative sur les cellules du cartilage ou de l’os sous-chondral. Parmi les plus étudiées, on peut citer la leptine, cette adipokine initialement décrite comme hormone de la satiété a aussi des propriétés pro inflammatoires sur les chondrocytes, les synoviocytes ou les ostéoblastes. Son taux plasmatique est corrélé à la sévérité de la gonarthrose, indépendamment du poids. De plus les souris invalidées pour le gène codant pour la leptine ou pour son récepteur présentent une obésité massive mais ne développent pas d’arthrose, ce qui n’est pas le cas de souris sauvages rendues obèses par régime riche en graisse. Cela démontre bien que les adipokines, et notamment la leptine sont essentielles au développement de l’arthrose associée à l’obésité chez la souris et donc sans doute chez l’homme.

Il en est de même pour les radicaux libres oxygénés qui vont induire par exemple une oxydation du LDL-cholestérol circulant. Le taux de LDL-oxydé est positivement corrélé à l’IMC, au taux circulant de LDL-cholestérol et augmente aussi chez les sujets diabétiques de type 2. Il a été montré qu’ils ont un rôle pro-infl ammatoire sur les chondrocytes et que lorsque l’on invalide génétiquement les souris pour le récepteur des LDL-oxydés, les souris ne développent plus d’arthrose.

Au-delà du tissu adipeux, chaque facteur dysmétabolique peut induire des modifications des tissus articulaires. Les conséquences du diabète de type 2 sont sans doute les mieux documentées dans l’arthrose. L’excès de sucre appliqué aux cellules du cartilage ou de la synoviale induit la production de stress oxydant, de cytokines et de produits de glycation avancés responsables d’une inflammation et donc d’une augmentation de la protéolyse du cartilage 6. De manière intéressante, les synoviocytes humains issus de patients diabétiques de type 2 présentent des caractéristiques d’insulinorésistance et vont alors être plus sensibles au stress inflammatoire.

De même, l’hypertension pourrait provoquer des modifications de la vascularisation locale et induire des remaniements de l’os sous-chondral alors que la dyslipidémie favorise aussi la production de LDLoxydés.

Arthrose et maladies cardiovasculaires

Dans ce contexte d’arthrose métabolique, l’association entre athérome, maladie et mortalité cardiovasculaire et arthrose a été étudiée. Deux méta-analyses récentes ont repris ces données et retrouvent la même conclusion : le risque cardiovasculaire est augmenté d’environ 20% chez les sujets arthrosiques 7. Les mécanismes explicatifs sont nombreux. Tout d’abord, l’arthrose, comme les maladies cardio-vasculaires, est fortement liée à l’âge et à l’obésité. Ce biais est cependant facile à prendre en compte grâce à des méthodes statistiques d’ajustement et a permis de démontrer que l’association était indépendante de ces deux facteurs de risque.

Il existe aussi, comme décrit ci-dessus, une association avec les facteurs métaboliques qui sont parfois plus difficiles à prendre en compte. Cependant certaines études démontrent qu’il existe une association indépendante. Il est donc possible que ces deux maladies, étant toutes deux associées à un état inflammatoire de bas grade, s’influencent à distance l’une et l’autre. Ainsi, la souris mutée pour  l’apolipoprotéine E, modèle d’athérome diffus, développe plus d’arthrose et notamment des remaniements de l’os sous-chondral plus importants que les souris sauvages. Cela peut s’expliquer soit par l’inflammation de bas grade induite par les plaques athéromateuses soit par l’atteinte de la vascularisation osseuse qui conduirait à une diminution des apports du cartilage, non vascularisé, venant de l’os sous-chondral.

Enfin, la plupart des études concernent l’arthrose de genou ce qui induit un biais important : le handicap fonctionnel. Il semblerait que pour les membres inférieurs ce soit le lien le plus important puisque l’association entre gonarthrose et maladies cardiovasculaires disparaît souvent après ajustement sur l’activité physique. Il est donc important, dans ce contexte, de s’intéresser aux liens entre arthrose digitale (et non des membres inférieurs) et cardiopathie. A ce propos, une association entre mortalité cardiovasculaire ou athérome et arthrose digitale a également été montrée.

Conséquences cliniques

Certains auteurs recommandent donc un dépistage systématique du syndrome métabolique chez les sujets jeunes présentant une arthrose. Il faut surtout sensibiliser les rhumatologues à dépister le syndrome métabolique chez tous les sujets obèses qui entreraient par exemple dans une filière de soins par une gonarthrose.

Le concept d’arthrose métabolique a ouvert à la possibilité de prévention de l’arthrose. Si le vieillissement est inéluctable, la prévention de l’obésité et du syndrome métabolique pourrait influencer l’incidence et la progression de l’arthrose.

Concernant l’influence des traitements du syndrome métabolique sur l’arthrose, très peu de données sont actuellement disponibles. Chez la souris diabétique, les traitements antidiabétiques, comme l’insuline ou la pioglitazone, permettent de ralentir la progression de l’arthrose. Aucune étude chez l’homme n’a démontré d’effet bénéfique des antidiabétiques. Cependant la sévérité du diabète de type 1 ou la durée du diabète de type 2 sont des facteurs associés à la progression de l’arthrose. Il est donc possible qu’un meilleur contrôle de la glycémie ait un effet bénéfique retardant la progression articulaire. Concernant les statines, les résultats des études publiées il y a 5 ans environ ne furent pas concluants et souvent discordants ne permettant pas de conclure que le contrôle de la dyslipidémie soit un facteur protecteur de progression. L’influence de la prise en charge de l’hypertension n’a jamais été étudiée dans l’arthrose à ce jour.

La donnée la plus robuste concerne la perte de poids qui est un axe essentiel de la prise en charge de l’arthrose ! C’est à ce jour avec l’activité physique les seules prises en charge non médicamenteuses ayant démontré une réduction des symptômes. Il est donc essentiel d’éduquer les patients avec un objectif réalisable d’une perte progressive de 5 à 10% du poids du corps. La perte de poids massive induite par une chirurgie bariatrique a démontré son efficacité. Enfin, le syndrome métabolique doit être pris en compte dans l’instauration d’un traitement symptomatique par anti inflammatoire non stéroïdien du fait de l’augmentation de la tension artérielle ou des événements cardiovasculaires.

Conclusion

Mieux définir les phénotypes a un intérêt dans la compréhension des mécanismes impliqués et donc dans la recherche de futures cibles thérapeutiques mais aussi dans la possibilité de prévention menée par les professionnels de santé. Dans le spectre de l’arthrose métabolique, l’étude des mécanismes associant l’hypertension artérielle à l’arthrose manque encore ainsi que l’étude de l’effet des traitements antidiabétiques, hypocholestérolémiants et antihypertenseurs sur l’incidence et la progression de l’arthrose.

POINTS CLÉS

Des biothérapies ciblées ayant une action antalgique très puissante, visant les mécanismes de douleur, seront prochainement disponibles dans l’arthrose (anticorps anti-nerve growth factor), mais, pour autant, il ne faut pas négliger la perte de poids et l’activité physique.

Alice Courties 1, Jérémie Sellam 1. Service de Rhumatologie, Hôpital Saint-Antoine, INSERM UMR_S 938, Paris, France

RÉFÉRENCES
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