Postulant qu’une réduction plus intensive de la pression artérielle systolique à moins de 120 mmHg diminuerait plus efficacement les évènements cardiovasculaires majeurs qu’au seuil de 140/90 mmHg, les résultats des études ACCORD et SPRINT portant respectivement sur des sujets diabétiques et non-diabétiques à haut risque cardiovasculaires sont en apparence discordants.

L’objectif tensionnel des sujets diabétiques et non-diabétiques au cours des quinze dernières années

L’objectif optimal de pression artérielle pour prévenir les évènements cardiovasculaires majeurs, en particulier chez les patients diabétiques, n’est pas consensuel. Si l’objectif tensionnel n’était pas différencié chez les patients diabétiques dans les recommandations de 2003 et 2007 (1, 2), il a été proposé inférieur pour les sujets à très haut risque cardiovasculaire, à savoir les diabétiques, les insuffisants rénaux et les patients en situation de prévention cardiovasculaire secondaire.
En effet, si la réduction de la pression artérielle permet de diminuer de façon similaire le risque relatif d’évènements cardiovasculaires chez tous types d’hypertendus, chez le diabétique le bénéfice est plus important si le risque cardiovasculaire initial est plus élevé. Cependant, cette approche était plus sous-tendue plus par le bon sens clinique que par des preuves scientifiques.
En 2013, les recommandations françaises et européennes (3, 4) ont proposé de ramener l’objectif tensionnel du diabétique au même niveau que celui du non-diabétique, à moins de 140/90 mmHg, en se basant sur les niveaux de preuve.
Si des effets bénéfiques d’une pression artérielle diastolique à 80-85 mmHg 5, 6 ont été observés chez le diabétique, les preuves d’une pression artérielle systolique (PAS) inférieure à 130 mmHg pour réduire le risque cardiovasculaire n’étaient pas clairement établies.

ACCORD et SPRINT : différences et similitudes

En l’absence de certitude sur l’objectif tensionnel optimal, les autorités américaines ont entrepris la réalisation et le financement public de deux études au design similaire centrées sur un objectif tensionnel inférieur à 120 mmHg de PAS : Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes étude ACCORD en 2010 (7) chez les diabétiques et Systolic Blood Pressure Intervention Trial étude SPRINT en 2015 (8) chez les non-diabétiques.
Les résultats de ces deux études sont inattendus et opposés puisqu’un objectif tensionnel plus strict réduirait la survenue d’évènements cardio-vasculaires chez les non-diabétiques mais pas chez les diabétiques. ACCORD et SPRINT sont deux études randomisées ouvertes évaluant la survenue d’évènements cardiovasculaires majeurs pour deux cibles de PAS : moins de 120 mmHg (traitement intensif) et moins de 140 mmHg (traitement standard).
Les caractéristiques et principaux résultats de ces deux essais sont résumés dans le tableau 1. 4733 patients diabétiques et hypertendus ont été inclus dans l’étude ACCORD, première étude à fixer un objectif de PAS inférieure à 120 mmHg. À un an, la pression artérielle atteinte dans les bras traitement intensif et traitement standard était respectivement de 119.3 mmHg et 133.5 mmHg. Après 4.7 ans de suivi, aucune différence significative sur les évènements cardiovasculaires majeurs n’était observée entre les deux bras (HR 0.88 ; CI 95 % 0.73-1.06 ; p = 0.20). Il existait cependant une réduction significative des accidents vasculaires cérébraux (HR 0.59 ; CI 95 % 0.39-0.89 ; p = 0.01) et des accidents vasculaires cérébraux non-fatals (HR 0.63 ; CI 95 % 0.41-0.96 ; p = 0.03) dans le bras traitement intensif.
La réduction des évènements cardiovasculaires majeurs étaient plus marquée chez les patients de plus de 65 ans et chez les diabétiques avec une hémoglobine glyquée inférieure à 8 %. L’absence de différence significative sur le critère de jugement principal peut s’expliquer par un manque de puissance de l’étude et un taux d’évènements observés inférieur au taux attendu : 1.87 % et 2.09 % respectivement dans les groupes traitement intensif et standard, contre 4 % d’évènements attendus par an.
L’utilisation d’un plan factoriel à deux niveaux avec possible interaction entre l’hypertension artérielle et le diabète a également pu contribuer à cette absence de différence, d’autant qu’une réduction intensive et rapide de la glycémie pour un objectif cible d’hémoglobine glyquée à 6 % était associée à une majoration des décès cardiovasculaires dans l’étude ACCORD sur le contrôle glycémique (9).
L’étude SPRINT, incluant 9361 patients non diabétiques à haut risque cardiovasculaire et sans antécédent d’accident vasculaire cérébral, a été interrompue précocement après 3.2 années de suivi en raison, dans le groupe avec une PAS médiane de 121.5 mmHg, d’une diminution significative des évènements cardiovasculaires majeurs (HR 0.75 ; CI 95 % 0.64- 0.89 ; p < 0.001), des insuffisances cardiaques (HR 0.62 ; CI 95 % 0.45-0.84 ; p = 0.002), des décès cardiovasculaires (HR 0.57 ; CI 95 % 0.38-0.85 ; p = 0.005) et des décès toutes causes (HR 0.73 ; CI 95% 0.60-0.90 ; p = 0.003).
Les sous-groupes bénéficiant le plus de cette réduction de morbi-mortalité étaient les patients non insuffisants rénaux chroniques et ceux de plus de 75 ans.
Cependant, les pressions artérielles relevées par mesure automatique, sans personnel médical, peuvent correspondre à des pressions artérielles de consultation de 5 à 10 mmHg plus élevées 10, soit une PAS entre 126.5 à 131.5 mmHg.

Les différences de résultats entre les études ACCORD et SPRINT pourraient également s’expliquer par une différence de caractéristiques et de taille de leurs populations, et par une définition différente des évènements cardiovasculaires majeurs. En dehors de l’exclusion des patients diabétiques dans l’étude SPRINT, la population de cette étude était potentiellement plus morbide que celle d’ACCORD :

  • plus âgée (67.9 ans dans SPRINT dont 28.2 % de plus de 75 ans, contre 62.2 ans avec exclusion des plus de 79 ans dans ACCORD),
  •  plus d’insuffisance rénale chronique (28.2 %),
  •  plus grande prédominance masculine (64 % dans SPRINT contre 52.2 % dans ACCORD) et moins traitée par statines (42.6 % dans SPRINT contre 63.9 % dans ACCORD).

A noter que les patients avec une hypertension artérielle sévère (PAS supérieure à 180 mmHg) étaient exclus de ces deux études. Par ailleurs, une définition plus large des évènements cardiovasculaires majeurs, un nombre d’évènements total plus important (562 dans SPRINT contre 445 dans ACCORD), un taux d’évènements observés concordant avec un taux d’évènements attendus et une population quasi double dans SPRINT par rapport à ACCORD ont pu favoriser la mise en évidence d’une différence significative entre les deux groupes de l’étude SPRINT.
Bien qu’en apparence opposés, les résultats des études ACCORD et SPRINT vont tous deux dans le sens d’une réduction des évènements cardiovasculaires majeurs par la réduction plus ambitieuse de la pression artérielle.
Une méta-analyse incluant les résultats de ces deux essais montre une réduction significative de 19 % des évènements cardiovasculaires majeurs (comme définis respectivement dans chaque étude) sans hétérogénéité significative (p d’hétérogénéité = 0.2) en ciblant une PAS inférieure à 120 mmHg (11).
Une analyse post hoc de l’étude ACCORD (12) retrouve, chez les diabétiques avec une réduction intensive de la pression artérielle mais pas de la glycémie, une diminution significative des évènements cardiovasculaires majeurs portée par la réduction des accidents vasculaires cérébraux (HR 0.44 ; CI 95 % 0.25-0.79 ; p = 0.006) par rapport au groupe avec traitement standard de la pression artérielle et de la glycémie.
Ces résultats sont concordants avec l’hypothèse d’une relation linéaire entre la diminution des accidents vasculaires cérébraux et une baisse de la PAS en-deçà de 130 mmHg (13-15). Ces deux études s’accordent également sur une augmentation significative des effets indésirables et une prise d’un à deux antihypertenseurs supplémentaires par rapport au groupe contrôle parallèlement à la réduction intensive de la pression artérielle.

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Conclusion

Les études ACCORD et SPRINT présentent des résultats à première vue opposés et inattendus, soutenant qu’un objectif tensionnel plus strict diminue les évènements cardiovasculaires majeurs chez le non-diabétique mais pas chez le diabétique.
Une lecture plus approfondie permet de voir que l’absence de réduction significative des évènements cardiovasculaires majeurs dans ACCORD peut s’expliquer en partie par un manque de puissance et que les deux études convergent en faveur d’un objectif de PAS inférieure à 120 mmHg plutôt qu’inférieure à 140 mmHg, aux dépens de plus d’effets secondaires et d’un plus grand nombre de médicaments hypotenseurs. Une réduction plus intensive de la PAS pourrait être proposée aux patients avec des caractéristiques similaires à ceux de SPRINT : hypertendus avec une PAS inférieure à 180 mmHg, non-diabétiques et à haut risque cardiovasculaire.
Pour le diabétique de type 2, un objectif plus ambitieux de PAS pourrait être proposé chez les diabétiques les moins sévères ou les mieux contrôlés, lorsque l’intensification du contrôle glycémique est limité ou difficile, ou lorsque le risque d’accident vasculaire cérébral est supérieur au risque de survenue d’un infarctus du myocarde.
Dans tous les cas, la décision d’intensification du traitement antihypertenseur devra être prise au cas par cas, en concertation avec le patient, en exposant les bénéfices et les effets indésirables attendus au prix d’une médication plus importante, et être accompagnée d’une surveillance accrue pour détecter les effets indésirables les plus fréquents.

RÉFÉRENCES

1. The Task Force for the Management of Arterial Hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and of the European Society of Cardiology (ESC). 2007 guidelines for the management of arterial hypertension. J Hypertens 2007; 25:1105–1187.
2. Chobanian AV, Bakris GL, Black HR, Cushman WC, Green LA, Izzo JL Jr, et al., National Heart, Lung, and Blood Institute; National High Blood Pressure Education Program Coordinating Committee. Seventh report of the Joint National Committee on Prevention, Detection, Evaluation, and Treatment of High Blood Pressure. Hypertension 2003; 42:1206–1252.
3. Mancia, G. et al. 2013 ESH/ESC practice guidelines for the management of arterial hypertension. Blood Press. 23, 3–16 (2014).
4. Blacher J, Halimi JM, Hanon O et al. Prise en charge de l’hypertension artérielle de l’adulte. Société française d’hypertension artérielle 2013.
5. UK Prospective Diabetes Study Group. Tight blood pressure control and risk of macrovascular and microvascular complications in type 2 diabetes: UKPDS 38. BMJ 317, 703–713 (1998).
6. Hansson, L. et al. Effects of intensive blood-pressure lowering and low-dose aspirin in patients with hypertension: principal results of the Hypertension Optimal Treatment (HOT) randomized trial. HOT Study Group. Lancet. 351, 1755–1762 (1998).
7. Cushman, W. C. et al. Effects of intensive blood-pressure control in type 2 diabetes mellitus. N. Engl. J. Med. 362, 1575–1585 (2010).
8. The SPRINT Research Group. A randomized trial of intensive versus standard blood-pressure control. N. Engl. J. Med. 373, 2103–2116 (2015).
9. Action to Control Cardiovascular Risk in Diabetes Study Group, Gerstein HC, Miller ME, Byington RP et al. Effects of intensive glucose lowering in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;12;358:2545-59.
10. Myers MG, Godwin M, Dawes M, Kiss A, Tobe SW, Kaczorowski J. Measurement of blood pressure in the o ce: recognizing the problem and proposing the solution. Hypertension 2010; 55:195–200.
11. Margolis, K. L. et al. Outcomes of combined cardiovascular risk factor management strategies in type 2 diabetes: the ACCORD randomized trial. Diabetes Care 37, 1721–1728 (2014).
12. Perkovic V, Rodgers A. Redefi ning blood-pressure targets – SPRINT starts the marathon. N Engl J Med. 2015;373:2175-8.
13. PROGRESS Collaborative Group. Randomised trial of a perindopril-based blood-pressure-lowering regimen among 6105 individuals with previous stroke or transient ischaemic attack. Lancet 2001; 358:1033–1041.
14. Redon J, Mancia G, Sleight P, Schumacher H, Gao P, Pogue J, et al. Safety and effi cacy of low blood pressures among patients with diabetes: subgroup analyses from the ONTARGET (ONgoing Telmisartan Alone and in combination with Ramipril Global Endpoint Trial). J Am Coll Cardiol. 2012;59:74-83.
15. Benavente OR, Coffey CS, Conwit R, et al. Blood-pressure targets in patients with recent lacunar stroke: the SPS3 randomised trial. Lancet 2013; 382: 507–15.

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts avec le sujet traité.
Alexandre CINAUD, Jacques BLACHER
Centre de Diagnostic et de Thérapeutique, Unité Fonctionnelle Hypertension Artérielle,
Prévention et Thérapeutique Cardiovasculaire, Hôtel-Dieu ; Université Paris-Descartes.

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