D’après une conférence du Professeur Ronan Roussel, Hôpital Bichat, Paris
D’entrée de jeu le Professeur Ronan Roussel s’est déclaré choqué par les recommandations récentes de l’American College of Physicians (ACP) sur les objectifs de contrôle de l’équilibre glycémique.1 Le manque d’exigence sur les objectifs glycémiques pourrait selon lui traduire l’incertitude qui prévaut, depuis plusieurs années, sur le bénéfice macrovasculaire du contrôle glycémique. Il considère qu’il s’agit d’une «reculade» qui va à contre-courant de tout ce que les données désormais disponibles nous enseignent sur le rôle de la réduction de la charge glycémique à long terme dans la survenue des complications macrovasculaires, à condition … de savoir les lire !
Les méta-analyses antérieures à 2010 avaient écarté le bénéfice du contrôle glycémique sur le risque macrovasculaire mais parfois avec des biais (études de petite taille, souvent de courte durée …). Dans UKPDS, le bénéfice à la fois microvasculaire et, à plus long terme, macrovasculaire, du traitement anti-hyperglycémiant a été démontré pour de nouveaux diabétiques sans antécédents cardiovasculaires. Il l’a aussi été, à long terme, dans l’étude de Kumamoto mais avec un effectif limité. Alors que les trois études majeures présentées en 2008 (ADVANCE, ACCORD et VA) n’avaient pas montré, individuellement, de bénéfice, une réduction des complications macrovasculaires, et encore limitée, n’a pu être observée qu’au prix de méta-analyses.
Au-delà de ces données peu conclusives, il faut désormais tenir compte du fait que le diabète est une maladie chronique qui installe ses complications au fil du temps. Lorsqu’en 1998, SM Haffner faisait du diabète, en termes de risque cardiovasculaire, l’équivalent d’un antécédent d’IDM, il est probable que ce parallélisme valait surtout pour les diabètes les plus anciens.2 Si la plupart des études ont tenu compte de la glycémie ou de l’HbA1c à un temps donné, il manque clairement d’un indicateur de la charge glycémique au fil du temps. Dès lors, la durée d’exposition (et ainsi l’effet du traitement à long terme) n’est pas prise en compte. On en est ainsi arrivé à concevoir pour la charge glycémique des indicateurs d’exposition glycémique cumulée. Un tel indicateur, ([unités HbA1c > normale] x temps d’exposition), comparable au nombre de paquets-années bien connu des épidémiologistes, a été proposé par T Howard en 1997 pour évaluer le risque de complications microvasculaires des diabétiques de type 1.3
Un indicateur pertinent, proposé par les diabétologues et cardiologues de l’Hôpital Bichat, pourrait être l’aire sous courbe des taux d’HbA1c au fil du temps entre 2 groupes de randomisation ou, plus simplement, le produit de la médiane des différences d’HbA1c et de la durée d’exposition. Les chercheurs de ce groupe ont rapporté cet index à la survenue des événements cliniques majeurs observés dans les principales études cliniques ayant comparé des traitements anti-hyperglycémiants plus ou moins intensif.4 Ils ont ainsi observé une forte corrélation (r² = 0,89, p < 0,05) et apporté la preuve qu’une intervention de courte durée ou avec un faible différentiel ne permet pas la démonstration d’un effet bénéfique sur les complications macrovasculaires. L’inclusion des données du DCCT suggère que cet effet vaut aussi bien pour le DT1 que pour le DT2 Figure 1.
La prise en compte de l’ensemble des études publiées après 2015 donne un résultat analogue, même s’il faut tenir compte des limites de cette approche (notamment différences de durée et d’effectifs ou inhomogénéité des facteurs confondants). On peut ainsi estimer, pour une réduction de 1% de l’HbA1c, la réduction du risque d’événements majeurs entre 19% et 25%.4 L’équivalent serait encore plus important pour la rétinopathie avec une réduction de risque de 40% (données non publiées). L’inclusion de 3 études plus récentes (EMPAREGoutcome, LEADER et SUSTAIN-6) ayant montré un impact favorable sur le risque d’événements cardiovasculaires, les situe en dessous de la ligne de régression, en dépit d’une durée de suivi, là encore, limitée. Ceci pourrait suggérer un bénéfice lié à un mécanisme complémentaire indépendant (comme la réduction de la pression artérielle) de celui de la réduction glycémique.4 La même approche appliquée à l’insuffisance cardiaque ne montre pas de corrélation mais avec certaines études très nettement localisées à distance de la ligne de régression traduisant selon les cas un effet délétère (RECORD ou PRO-Active avec des glitazones) ou bénéfique (EMPAREG Outcomes avec une gliflozine), suggérant un mécanisme indépendant du contrôle de la glycémie.4
Cet effet bénéfique d’une intervention précoce a été démontré (ou fortement suggéré) pour la baisse du cholestérol sur la base d’études utilisant la randomisation mendélienne. On pourrait supposer que, de la même façon, une exposition prolongée à une hyperglycémie, pourrait induire des modifications épigénétiques (autrement dit de l’expression de certains gènes sans en altérer la structure nucléotidique) qu’une intervention précoce pourrait inverser. On manque toutefois, pour l’instant, des données nécessaires pour le démontrer. Sur un plan thérapeutique on peut également supposer que des interventions précoces et prolongées sont les seules qui peuvent corriger le risque de complications macroangiopathiques.
Si le paradigme, porté par des résultats précédemment décevants d’études cliniques, était de ne pas attribuer d’effet cardiovasculaire bénéfique au contrôle de la glycémie, cette approche permet désormais de reconsidérer totalement cette position. Une telle mise en cause ouvre donc la voix à un nouveau paradigme, comme le suggérait le titre de cette lecture.
Jean-Louis Gayet
L’auteur déclare ne pas avoir des liens d’intérêt.
RÉFÉRENCES
1. Qaseem A, Wilt TJ, Kansagara D, Horwitch C, Barry MJ, Forciea MA. Clinical Guidelines Committee of the American College of Physicians. Hemoglobin A1c Targets for Glycemic Control With Pharmacologic Therapy for Nonpregnant Adults With Type 2 Diabetes Mellitus: A Guidance Statement Update From the ACP. Ann Intern Med. 2018 Mar 6.
2. Haffner SM, Lehto S, Rönnemaa T, Pyörälä K, Laakso M. Mortality from coronary heart disease in subjects with type 2 diabetes and in nondiabetic subjects with and without prior myocardial infarction. N Engl J Med. 1998 Jul 23;339(4):229-34.
3. Orchard TJ, Forrest KY, Ellis D, Becker DJ. Cumulative glycemic exposure and microvascular complications in insulin-dependent diabetes mellitus. The glycemic threshold revisited. Arch Intern Med. 1997 Sep 8;157(16):1851-6.
4. Roussel R, Steg PG, Mohammedi K, Marre M, Potier L. Prevention of cardiovascular disease through reduction of glycaemic exposure in type 2 diabetes: A perspective on glucose- lowering interventions. Diabetes Obes Metab. 2018 Feb;20(2):238-244. L’auteur déclare ne pas avoir des liens d’intérêt.