D’après une lecture du Professeur Patrice Carni Université Catholique de Louvain

S’il est facile de se représenter le microbiote, comme l’ensemble des microorganismes que nous hébergeons, son rôle (ou plutôt ses rôles) reste difficile à imaginer. Pour nous y aider, le Pr Patrice Cani fait la comparaison avec le cosmos et ses milliards d’étoiles qui interagissent entre elles. Notre corps contient autant de bactéries que de cellules humaines et même plus si l’on ne compte pas les globules rouges. Il y aurait 1 à 2 kg de bactéries au niveau de notre tube digestif! Et encore, sans compter les virus et les phages qui ont aussi un rôle très important et pourraient avoir une place dans le développement des thérapeutiques du futur ! Nos organes, notamment le tube digestif et le système nerveux dialoguent entre eux, mais aussi avec tous ces microorganismes et la question est de savoir comment, pour en tirer d’éventuelles applications thérapeutiques.

La composition du microbiote intestinal diffère en fonction des situations pathologiques. Mais si on sait que beaucoup de mécanismes moléculaires interagissent sur notre métabolisme par l’intermédiaire de bactéries leur rôle exact reste difficile à démontrer.

En ce qui concerne le diabète de type 2 et l’obésité, il est désormais admis qu’ils relèvent d’un même trouble, qualifié d’endotoxémie métabolique, étroitement liée à l’activité de notre microbiote. Les variations de marqueurs comme les LPS (lipopolysaccharides) traduisent cette implication bactérienne.1 Cette endotoxémie métabolique repose sur des altérations complexes, inflammatoires et immunitaires, de la barrière intestinale. Chez l’animal, ces altérations peuvent être corrigées par l’administration de prébiotiques susceptibles de modifier le microbiote.2

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Chez des patients insulino-résistants (obèses), on a pu observer une amélioration de la sensibilité à l’insuline six semaines après transplantation du microbiote fécal de patients non obèses.3

La pénétration de bactéries dans la couche de mucus qui protège normalement l’épithélium intestinal des bactéries du microbiote a été observée dans plusieurs affections parmi lesquelles figure l’insulinorésistance associée aux dysrégulations glycémiques.4

Le rôle du microbiote dans l’obésité a été bien démontré expérimentalement. Des chercheurs ont montré que le transfert du microbiote de souris obèses à des souris qui ne le sont pas permet le développement de l’obésité chez ces dernières. De la même façon, des souris non-diabétiques qui reçoivent le microbiote de souris diabétiques de type 2 acquièrent à leur tour le phénotype du diabète de type 2. Il a aussi été possible, par transfert à des souris du microbiote intestinal de jumeaux humains, obèses ou non, de faire apparaître (ou non) ce phénotype chez l’animal. Le transfert de microbiote a aussi permis d’améliorer (de façon toujours transitoire) la sensibilité à l’insuline.

Différents effets reposent probablement sur des bactéries spécifiques qui restent à identifier et dont on pourrait préconiser l’administration à des fins thérapeutiques. Agir ainsi sur notre alimentation n’est pas toujours facile, mais un tel effet pourrait être obtenu en modifiant le microbiote grâce à des probiotiques.

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Au début des années 2000, une bactérie parmi les plus abondantes du microbiote (0,5 à 5% de l’ensemble), Akkermansia Muciniphila (AkM), a été identifiée dans l’intestin.5 Elle y apparaît très tôt puisqu’on la retrouve dans le lait maternel. Sa plus ou moins grande abondance la relie à certains états pathologiques. Sa présence est en particulier inversement corrélée avec le poids chez les rongeurs et les humains. Sa représentation est moindre chez les diabétiques et sous l’effet de l’alcool ; elle augmente au contraire sous metformine et en cas de courtcircuit gastro-intestinal.

A. Everard, de l’équipe de recherche de P Cani, a pu montrer que l’administration de prébiotiques à des souris normalise la représentation intestinale d’AkM et améliore le profi l métabolique. 6 De plus, chez des souris rendues obèses par un régime, l’administration directe de AkM corrige les désordres métaboliques induits par un régime alimentaire riche en lipides, notamment l’accumulation de masse graisseuse (et la prise de poids), l’inflammation tissulaire, l’insulinorésistance (et l’hyperglycémie). Il en résulte une amélioration de la tolérance au glucose et un moindre risque de diabète de type 2.

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Son utilisation en thérapeutique humaine est pour l’instant limitée par son caractère anaérobie et la nécessité de sa culture sur des substrats animaux. Malgré sa fragilité, il a été montré de façon inattendue que sa pasteurisation à 70° pendant 30 minutes non seulement ne compromet pas ses effets bénéfiques mais qu’elle permet même d’augmenter sa capacité à réduire le développement de la masse graisseuse, l’insulinorésistance et les dyslipidémies.7 La même équipe a pu montrer que les effets bénéfiques de AkM pourraient être reproduits avec une protéine de membrane d’AkM (Amuc_1100), résistante à l’acidité gastrique et aux acides biliaires, qui pourrait être utilisée en thérapeutique. Ces travaux ont d’ores et déjà permis de montrer sur les modèles animaux, la sécurité d’administration de AkM ou de ses dérivés.

Chez des patients en surcharge pondérale ou obèses avec des facteurs de risque CV, on a pu observer, après une restriction calorique de plusieurs semaines, une plus grande abondance de AkM associée à un meilleur profil cardiométabolique. Les auteurs de ce travail ont aussi montré que les patients qui avaient AkM en abondance dans leurs intestins avant restriction calorique avaient une amélioration plus prononcée de l’homéostasie glucidique, des lipides sanguins et de leur composition corporelle après régime.

Un essai préliminaire, chez des patients en surcharge pondérale ou obèse, l’étude Microbe4u permettra de jeter les bases d’une étude de plus grande envergure pour évaluer les effets de l’administration de AkM sur les troubles métaboliques (résistance à l’insuline, DT2, diabète, dyslipidémie, infl ammation) associées à l’obésité et la surcharge pondérale.8

Le rôle du microbiote intestinal sur les désordres métaboliques qui contribuent au risque cardiovasculaire a donc été beaucoup mieux précisé au cours de ces dernières années.9 Les applications thérapeutiques potentielles sont pour l’instant extrêmement prometteuses.

Jean-Louis Gayet

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt. 

RÉFÉRENCES

1. Cani PD, Amar J, Iglesias MA, et coll. Metabolic endotoxemia initiates obesity and insulin resistance. Diabetes. 2007 Jul;56(7):1761-72.

2. Everard A, Lazarevic V, Gaïa N, et coll. Microbiome of prebiotic-treated mice reveals novel targets involved in host response during obesity. ISME J. 2014 Oct;8(10):2116-30.

3. Kootte RS, Levin E, Salojärvi J, et coll. Improvement of Insulin Sensitivity after Lean Donor Feces in Metabolic Syndrome Is Driven by Baseline Intestinal Microbiota Composition. Cell Metab. 2017 Oct 3;26(4):611-619.e6.

4. Chassaing B, Raja SM, Lewis JD, Srinivasan S, Gewirtz AT. Colonic Microbiota Encroachment Correlates With Dysglycemia in Humans. Cell Mol Gastroenterol Hepatol. 2017 Apr 13;4(2):205-221.

5. Cani PD, Everard A. [Akkermansia muciniphila: a novel target controlling obesity, type 2 diabetes and infl ammation?]. Med Sci (Paris). 2014 Feb;30(2):125-7.

6. Everard A, Lazarevic V, Gaïa N, Johansson M, Ståhlman M, Backhed F, Delzenne NM, Schrenzel J, François P, Cani PD. Microbiome of prebiotic-treated mice reveals novel targets involved in host response during obesity. ISME J. 2014 Oct;8(10):2116-30.

7. Plovier H, Everard A, Druart C, et coll. A purifi ed membrane protein from Akkermansia muciniphila or the pasteurized bacterium improves metabolism in obese and diabetic mice. Nat Med. 2017 Jan;23(1):107-113.

8. Cani P et coll. Evaluation of the Effects Associated With the Administration of Akkermansia Muciniphila on Parameters of Metabolic Syndrome. https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT02637115?term=Microbes4U&rank=1

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