Les techniques de cardiologie interventionnelle connaissent une expansion considérable depuis près d‘un demi-siècle. L’innovation est actuellement particulièrement active dans le domaine des interventions valvulaires avec l’implantation par cathétérisme de prothèses valvulaires aortiques (TAVI) et depuis un peu plus de 10 ans, la réparation mitrale percutanée dans l’insuffisance mitrale (IM).
Pourquoi des réparationsmitrales percutanées ?
Il existe un rationnel fort pour développer ces techniques. Par sa fréquence, l’IM est la deuxième valvulopathie native en Europe. Cette valvulopathie a un mauvais pronostic lorsqu’elle est sévère et s’accompagne de symptômes ou de dysfonction ventriculaire gauche. Les patients porteurs de cette valvulopathie sont le plus souvent âgés avec des comorbidités qui font que la chirurgie, qui est le traitement de référence, peut être à haut risque ou contrindiquée. Enfin l’IM est « sous traitée » puisque des registres, comme Euro Heart Survey, ont montré que la discussion d’une chirurgie n’est pas envisagée par les cardiologues dans un cas sur deux chez les patients symptomatiques avec insuffisance mitrale sévère.
Techniques actuelles et résultats
La première technique percutanée utilisée a été la suture « bord à bord » (edge to edge) reproduisant la technique chirurgicale d’Alfieri en créant un double orifice mitral. Cette technique nécessite un cathétérisme transseptal puis l’introduction du MitraClip qui est positionné au niveau de la valve mitrale afin de capturer les feuillets valvulaires sous contrôle échographique transoesophagien (ETO). Puis le clip est fermé et le résultat est évalué. Si la capture du tissu valvulaire et la réduction de l’IM sont satisfaisantes le clip est largué. Sinon le clip peut être repositionné ou un plusieurs autres clips sont mis en place. (Figure 1)
Plus de 60.000 patients ont été traités aujourd’hui avec le Mitra Clip. L’expérience acquise démontre que la technique est faisable avec un taux de succès de plus de 90%. La procédure est bien tolérée et les complications sont rares. La réduction de l’IM est significative mais de moindre volume qu’après la chirurgie puisque 20 à 40% des patients gardent une IM ≤ 2/4. Les résultats à 5 ans montrent qu’après une procédure réussie, les patients sont améliorés fonctionnellement et il n’y a en règle pas de détérioration tardive du résultat. Une étude randomisée EVEREST a été publiée en 2011 sur une population mêlant IM primaire et secondaire mais l’essentiel de l’expérience est basé sur des registres observationnels.
Les Guidelines de l’ESC disent que « le Mitra Clip peut-être utilisé dans l’IM primaire chez des patients inopérables ou à haut risque chirurgical » (Recommandation II b, niveau d’évidence C). Dans l’IM secondaire, la recommandation est du même (faible) niveau pour les patients restant symptomatiques malgré une prise en charge médicale optimale, l’objectif principal étant ici d’améliorer les symptômes. Lorsque la fraction d’éjection ventriculaire gauche est < 30%, il est nécessaire de discuter le cas avec une équipe de transplantation.
Les indications anatomiques optimales pour l’IM primaire sont l’existence d’un prolapsus valvulaire central et limité dans son extension ou un défaut de coaptation valvulaire modéré dans l’IM secondaire. Ces indications peuvent être étendues avec l’expérience. L’existence d’un rétrécissement mitral, l’étiologie rhumatismale ou endocarditique, une maladie de Barlow évoluée, ou enfin des calcifications valvulaires, représentent des contrindications.
Le Mitra Clip a été récemment modifié pour faciliter son utilisation et augmenter son efficacité. Le système PASCAL est proche du Mitra clip et l’expérience préliminaire, sur une centaine de patients, est encourageante.
L’annuloplastie mitrale est pratiquement toujours associée aux réparations chirurgicales.
L’annuloplastie « indirecte » dans le sinus coronaire a été la première utilisée. La technique est simple puisque l’étape essentielle est le cathétérisme du sinus coronaire. L’efficacité de cette technique est limitée parce que le sinus coronaire ne couvre pas toute la circonférence de l’anneau mitral, il est en position intra atriale et pas strictement annulaire. Enfin l’artère circonflexe croise le sinus coronaire assez fréquemment et risque d’être comprimée par l’annuloplastie. Cette complication peut être prévenue en partie grâce à la pratique d’un scanner injecté avant la procédure et surtout grâce à l’utilisation de matériel aisément expansible. Malgré ces limitations importantes, la simplicité de la technique explique sans doute pourquoi l’annuloplastie par le procède CARILLON a été utilisée chez près de 1000 patients, uniquement évalués dans des registres observationnels.
L’annuloplastie « directe », qui est proche de l’annuloplastie chirurgicale, est beaucoup plus prometteuse. Dans la procédure CARDIOBAND, l’anneau percutané est introduit par voie transseptale, puis déployé sur la circonférence de l’anneau grâce à des vis fixées successivement dans l’anneau sous guidage ETO. La taille de l’anneau est finalement réduite en fonction du degré de l’IM résiduelle (Figure 2).
Cette méthode est techniquement un peu plus difficile que la suture bord à bord. L’expérience actuelle porte sur environ 500 cas. Des registres menés chez des patients à haut risque chirurgical avec IM secondaire, montre une bonne faisabilité, une bonne sécurité et une efficacité indéniable puisque 90% des patients ont un IM ≤2/4 en fin de procédure. Le recul est encore limité à 2 ans et suggère une bonne stabilité du résultat. D’autres systèmes tel MILLEPEDE sont en cours d’évaluation.
L’implantation de cordages artificiels est une technique très fréquemment utilisée en complément de l’annuloplastie dans la chirurgie de l’ IM primaire. Deux systèmes sont en cours d’évaluation : NEOCHORD et HARPOON. Après un abord transapical, les extrémités du tissu valvulaire sont capturées et la longueur des néo cordages est ajustée en fonction de la réduction de l’IM. Plus de 500 patients porteurs d’IM primaire par rupture de cordage dans la zone medio valvulaire et avec peu ou pas de dilation de l’anneau mitral ont été traités, là aussi avec un bonne sécurité et efficacité à moyen terme. Ces résultats proviennent aussi de registres observationnels. Les critères de sélection stricts laissent à penser qu’isolément cette technique aura des indications limitées.
D’autres techniques sont en cours de développement mais elles sont souvent complexes et ne reproduisent pas les techniques chirurgicales de référence, ce qui fait douter de leur avenir.
Quelles sont les voies de développement ?
Les réparations mitrales percutanées doivent être réalisées dans des centres médico-chirurgicaux ayant l’expérience des valvulopathies, pour leur évaluation et les traitements chirurgicaux et percutanés. L’existence d’une « heart team » est indispensable pour la sélection des patients et une prise en charge optimale avant, pendant, et après la procédure.
Les candidats aux techniques percutanées seront initialement les patients inopérables ou jugés à haut risque chirurgical par la « heart team ». Les indications doivent être portées « à temps » : pas trop tôt si les patients sont de bons candidats chirurgicaux, mais surtout pas trop tard en cas de grande dysfonction ventriculaire gauche ou droite irréversible.
L’imagerie est une étape essentielle. Avant la procédure l’échographie est la méthode de référence pour quantifier l’IM, déterminer son mécanisme et les lésions valvulaires. Le scanner va jouer un rôle grandissant dans la sélection des candidats à l’annuloplastie pour dépister le risque de lésion de l’artère circonflexe et préciser la taille des anneaux.
Pendant la procédure, l’ETO guide le cathétérisme transeptal, la capture optimale des feuillets valvulaires ou le site d’insertion des anneaux. L’échographie réalisée à coeur battant est aussi la meilleure façon de quantifier le résultat. L’intérêt additionnel de l’imagerie de fusion associant scopie et ETO, ou scopie et scanner, est probable mais reste à évaluer.
L’échographie est la méthode de référence pour le suivi à distance. L’importance de l’imagerie justifie une collaboration étroite entre cardiologues interventionnels et échographistes. Les deux intervenants doivent avoir été spécialement formés aux interventions valvulaires.
L’apprentissage des différentes techniques nécessite une formation spécifique dans laquelle la simulation a une grande part. Il est essentiel d’évaluer précisément le résultat en salle d’intervention et de tenter de l’optimiser.
Les résultats de ces techniques doivent être évalués par des études de faisabilité, suivies par des registres et des études randomisées. Dans ce domaine aussi, les méthodes percutanées mitrales sont en retard sur le TAVI. Aujourd’hui une seule étude randomisée sur le Mitra Clip a été publiée en 2011. Heureusement plusieurs études randomisées, au premier rang desquelles l’étude française Mitra Fr sont terminées et vont permettre de déterminer l’utilité du MitraClip dans l’IM secondaire. Des essais randomisés sont aussi en cours avec l’annuloplastie et l’implantation de cordage dans cette indication. Enfin l’étude randomisée française MITRA.HR sera aussi « pionnière » en comparant chirurgie et Mitra clip dans les IM primaires à haut risque chirurgical. Les résultats de ces études et un long suivi permettront de mieux en fixer les indications.
Le matériel évolue de façon rapide pour faciliter les procédures et les rendre plus efficaces. La physio-pathologie de l’IM est beaucoup plus complexe que celle de la sténose aortique et fait intervenir l’interaction entre les feuillets valvulaires, l’anneau mitral, le ventricule gauche, et les structures adjacentes. Cette complexité explique qu’une seule technique ne peut pas suffire et qu’il faut adapter les techniques en fonction des lésions, de l’étiologie et de la dysfonction valvulaire. Au delà du perfectionnement d’une technique de réparation mitrale, il est essentiel de penser à combiner ces techniques comme cela est fait en chirurgie. Des expériences préliminaires ont été réalisées en Allemagne et suggèrent la faisabilité et l’efficacité de ces combinaisons, en une ou deux
étapes. La stratégie doit être individualisée. On peut imaginer de combiner l’annuloplastie et la suture bord à bord dans les IM primaires et secondaires et l’annuloplastie et l’implantation de cordages ou MitraClip dans l’IM primaire.
Le rôle respectif des techniques de réparation et de remplacement mitral percutané est très difficile à déterminer aujourd’hui parce que l’expérience du remplacement est limitée à seulement quelques centaines de cas. Le replacement a pour avantages théoriques: des indications anatomiques plus larges, la relative facilité technique, une meilleure efficacité pour réduire l’IM. Comme avec la chirurgie, la réparation est plus « physiologique » et expose probablement à moins de complications à moyen et long terme. Il est vraisemblable que la réparation, utilisant des techniques combinées sera la méthode de choix comme c’est le cas en chirurgie.
Enfin, l’aspect économique doit être pris en compte. Aujourd’hui l’utilisation de ces techniques est très variable en Europe. Par exemple l’ATLAS ESC/EAPCI montre que l’utilisation du Mitra Clip est de 64.1 par million d’habitants en Allemagne, 16.3 en Italie et 2.9 en France…
Conclusion
On peut penser que les techniques de réparation mitrale percutanée vont se développer, même si la progression sera plus difficile et plus lente que pour le TAVI. L’exemple du TAVI et ce qui est observé actuellement en Allemagne pour les réparations mitrales percutanées montrent que l’existence des techniques percutanées va permettre aux patients de bénéficier plus souvent d’un traitement efficace de l’IM par cardiologie interventionnelle et /ou chirurgicale.
Alec Vahanian, Dominique Himbert, Marina Urena, Gregory Ducrocq, Eric Brochet
Service de cardiologie, Hôpital Bichat, Paris
alec.vahanian@gmail.com
L’auteur déclare les liens d’intérêt suivants : conférencier pour Edwards Life Sciences, Abbott Vascular, Medtronic – Consultant pour Mitral tech.