Partant de la constatation que l’oxygène est indispensable au bon fonctionnement de notre organisme, on pourrait penser que la toxicité de l’oxygène tient plus du mythe que de la réalité.
Pourtant, l’oxygène peut produire, en cascade, à partir de l’anion superoxyde, des espèces activées oxydantes responsables de lésions cellulaires et tissulaires (1,2).
Historique
Bien que découvert en 1772 par Scheele, puis redécouvert par Priestley quelques années plus tard, le rôle capital de l’oxygène dans la combustion n’est décrit qu’en 1777 par Lavoisier. L’oxygène (O2) est un élément familier, indispensable aux organismes aérobies.1-3 Le seul rôle qui lui ait longtemps été attribué, était d’alimenter la respiration cellulaire mitochondriale, génératrice d’énergie par la voie des phosphorylations oxydatives. Les radiobiologistes furent les premiers à tenir compte de sa toxicité en l’utilisant pour le traitement des tumeurs cancéreuses.
Il faudra atteindre la seconde moitié du 20e siècle pour que les recherches biochimiques montrent que si l’O2 joue un rôle crucial dans la synthèse de l’adénosine triphosphate, il s’agit également d’un radical libre, dont les particularités physico-chimiques font qu’il peut dans certaines circonstances engendrer des effets toxiques par la production d’espèces radicalaires de l’oxygène ou radicaux libres (1-3). La formation de ces radicaux libres va induire des modifications hémodynamiques et inflammatoires et ainsi, une baisse des défenses immunitaires et une toxicité pulmonaire (alvéolite, atélectasie et trachéo-bronchite). (1-9)
Il est habituel de monitorer l’état d’oxygénation des patients par la technique de pulse-oxymétrie digitale, qui mesure le taux de saturation artérielle de l’hémoglobine. (1) La mesure de la pression partielle en oxygène (PaO2) requiert une ponction artérielle et une analyse dans un gazomètre. La PaO2 normale est de l’ordre de 85 ± 5 mm Hg alors que la saturation en oxygène (SaO2) normale est de 95-98%. On définit l’hypoxémie par une PaO2<60 mm Hg. L’hypoxémie peut conduire à une hypoxie cellulaire, une défaillance des fonctions d’organes voire le décès.
Dans le but de prévenir ces anomalies, les cliniciens administrent de l’oxygène à la plupart des patients en milieu de soins intensifs, où les problèmes d’oxygénation tissulaire sont fréquemment au premier plan. L’administration d’O2 à de fortes concentrations est destinée à rétablir au plus vite une PaO2 suffisante pour maintenir l’oxygénation tissulaire.
Elle est appliquée avec des fractions inspirées en oxygène (FiO2) pouvant atteindre 100 % dans les défaillances respiratoires les plus sévères. Cette thérapeutique, généralement efficace et peu onéreuse, semble sans effets nocifs.
Des études récentes conduites en soins intensifs et réanimation, constatent que les médecins prennent soin de limiter l’hypoxémie, alors il n’y a généralement pas de limite supérieure fixée au traitement par l’oxygène, ouvrant la porte au développement d’une hyperoxie chez de nombreux patients traités par de trop hautes concentrations d’oxygène.
L’hyperoxie est défi nie par la présence d’un contenu en oxygène des tissus plus élevé que celui existant naturellement au niveau de la mer (oxygénation supraphysiologique).
Elle correspond à une “hyperoxémie” définie par une PaO2 > 120 mm Hg. (6-12)
Les connaissances accumulées sur la nature et la réactivité de l’oxygène incitent à prendre sa toxicité potentielle en considération lorsqu’il est utilisé en conditions différentes des conditions habituelles (21 %, pression atmosphérique normale).
Principaux mécanismes de toxicité de l’oxygène
Si la toxicité cellulaire de l’O2 est actuellement incontestée, ses mécanismes ne sont pas encore totalement élucidés. De fortes concentrations d’oxygène vont entraîner la formation d’espèces radicalaires de l’oxygène (ERO). (1) Cette libération d’ERO va ensuite activer différentes voies de signalisation cellulaire et initier la voie de l’apoptose. (3)
La toxicité de l’oxygène va aussi se traduire par une activation directe de la réaction inflammatoire comme en témoigne l’activation des neutrophiles, l’expression de molécules d’adhésion cellulaire et une libération de cytokines pro-inflammatoires.
C’est sans doute sur le poumon que la toxicité directe de l’oxygène a été le plus étudiée (1-9). Organe frontière entre l’air et le sang, il est sans cesse en contact avec des concentrations d’oxygène qui peuvent varier en fonction des situations cliniques.
Les modifications morphologiques du poumon, lorsqu’il est exposé à des concentrations élevées d’oxygène, se rapprochent de celles qui sont constatées au cours de l’ALI (Acute Lung Injury) avec, initialement, une phase exsudative caractérisée par de l’inflammation, des atélectasies et de l’oedème puis, tardivement, une phase fibrosante entraînant une perte de parenchyme fonctionnelle.
L’effet le plus reconnu des conséquences de l’oxygénothérapie sur le système vasculaire est la vasoconstriction (13-16). Au niveau cardiaque, l’hyperoxie peut induire une bradycardie, et une baisse du débit cardiaque.
Principales données cliniques
Les effets nocifs de l’hyperoxie dépendent des organes et leurs fonctions sous-jacentes, de la durée et du degré d’exposition hyperoxique (1-3). Des seuils rigides ne sont pas connus avec précision et peuvent varier d’un sous-groupe de patients à l’autre.
Si les données expérimentales sont en faveur d’une toxicité de l’oxygène, la mise en évidence de cette toxicité en clinique est plus difficile. Les conséquences cliniques de la toxicité de l’oxygène ont été essentiellement étudiées en néonatologie, en médecine intensive et en réanimation (1-12). Plus récemment, les conséquences de l’hyperoxie ont été évaluées en cardiologie.
EN PÉDIATRIE NÉONATALE
Le débat sur la toxicité de l’oxygène est ouvert depuis le début de la réanimation des grands prématurés. Les deux grands effets secondaires qui ont été rapportés sont la toxicité pulmonaire, avec l’apparition de dysplasie broncho-pulmonaire, et la toxicité oculaire avec la rétinopathie du prématuré (4,5).
Les prématurés ne possèdent pas la même sensibilité à l’oxygène qu’un adulte. En effet, les conditions d’oxygénation fœtale sont nettement inférieures à celles rencontrées chez un enfant à terme ou un adulte, puisque la PaO2 du fœtus in utero est de l’ordre de 22 mmHg dans l’aorte ascendante. Au cours de la réanimation, les nouveau-nés prématurés étaient soumis à des conditions non physiologiques d’hyperoxie avec une incapacité à réguler le stress oxydatif car la crainte principale du clinicien était de laisser un nouveau-né dans des conditions d’hypoxie pouvant être responsables de lésions neurologiques. Cependant, les études et méta-analyses rapportent que réanimer les nouveau-nés en FiO2 100% pourrait augmenter la mortalité, les atteintes myocardiques et rénales voire seraient associées à un risque de leucémies et de cancer. Ainsi les sociétés savantes recommandent maintenant de réanimer les nouveau-nés en titrant l’oxygène pour éviter l’hypoxie (1-6).
EN RÉANIMATION ADULTE
En réanimation, la problématique n’est pas la même qu’en néonatologie puisque l’organisme à l’âge adulte est habitué à des PaO2 plus élevées avec des défenses antioxydantes qui sont plus développées. C’est donc dans certaines conditions de stress que l’oxygène peut devenir toxique. Au cours des états de choc, il existe un déséquilibre de la balance pro-oxydant/ antioxydant en faveur d’un état pro-oxydant.
Au cours des états infectieux aigus, l’augmentation de la production d’ERO peut dépasser les capacités antioxydantes de l’organisme, pouvant alors devenir délétère. Les polynucléaires neutrophiles sont la principale source de ces ERO.
Chez les patients critiques, deux études multicentriques randomisées rapportent le caractère délétère d’une stratégie d’oxygénation libérale. (6,8)
La première étude monocentrique randomisée a comparé une stratégie d’oxygénothérapie libérale versus une conservatrice chez 434 patients admis en soins intensifs. (6) La stratégie conservatrice était associée à une réduction de la mortalité en réanimation de 8,6% ainsi qu’une baisse des épisodes de choc et d’infections. Dans l’étude HYPER2S visant à évaluer l’intérêt de l’hyperoxie pendant les 48 heures de réanimation de 442 patients avec choc septique, l’hyperoxie était associée à une augmentation de la survenue d’effets indésirables comme les atélectasies et les neuromyopathies conduisant à un arrêt prématuré de l’étude (8).
Concernant les effets de l’hyperoxie chez les patients sous ventilation artificielle, des études rétrospectives rapportaient que les patients exposés à des concentrations d’O2 plus élevées avaient une durée de ventilation mécanique plus élevée voir une surmortalité. (1)
Deux études internationales, prospectives, randomisées en double aveugle, sont en cours pour évaluer l’intérêt d’une stratégie conservatrice en termes de jours libres sans ventilation mécanique et de mortalité chez les patients critiques sous ventilation artificielle. (10)
L’arrêt cardiaque est une forme cataclysmique d’ischémie-reperfusion affectant tous les organes. Ainsi la question des conséquences de l’hyperoxie sur le devenir neurologique et la mortalité est légitime. (11) La plupart des données ayant évalué les effets de l’hyperoxie chez les patients ayant un arrêt cardiaque provient d’études rétrospectives. (11)
Les principales rapportent une association entre l’hyperoxie (défi nie comme une PaO2 > 300 mmHg) et la mortalité. Une étude prospective observationnelle multicentrique (REOX, NCT01881243) est actuellement en cours afin d’évaluer l’association entre l’exposition à l’hyperoxie et le devenir à court-termes.
EN CARDIOLOGIE
Les effets de l’hyperoxie ont été évalués chez les patients ayant un infarctus du myocarde (IDM). En effet, l’IDM résulte, entre autres mécanismes, d’un déséquilibre entre les apports et les besoins cellulaires en oxygène ou en substrats énergétiques (1,13,14). L’ischémie est la première étape de cette inadéquation qui conduit in fi ne à la mort des cardiomyocytes dans les territoires myocardiques menacés. De ce fait, depuis plus d’un siècle, il est courant de recourir à une oxygénothérapie temporaire face à une suspicion d’IDM. Les études cliniques rapportaient des résultats discordants concernant le bénéfice potentiel d’une oxygénothérapie chez les patients non hypoxiques présentant un IDM. A noter que l’étude AVOID montrait une augmentation de la taille de l’infarctus du myocarde à 6 mois chez 441 patients normoxémiques ayant bénéficié d’une oxygénothérapie à la phase aiguë (13). Pourtant l’étude la plus récente publiée dans le NEJM ayant évaluée 6629 patients montre l’absence d’intérêt d’adjoindre systématiquement de l’oxygène chez les patients admis pour IDM (14).
Les conséquences cardiovasculaires de l’hyperoxie ont également été évaluées chez des groupes de patients sains et en insuffisance cardiaque (2,15). Les effets rapportés sont une diminution du débit cardiaque notamment par baisse du volume d’éjection systolique et une augmentation des résistances vasculaires périphériques. Parallèlement, l’hyperoxie est responsable d’une majoration des pressions de remplissage du ventricule gauche et d’une augmentation du temps de relaxation isovolumique. Le débit coronaire est réduit par une augmentation de la vasoconstriction coronaire. À noter qu’une méta-analyse a montré que les patients en insuffisance cardiaque étaient plus sensibles aux modifications hémodynamiques induites par l’hyperoxie.
Compte tenu des effets cardio-vasculaires de l’oxygène, la question de l’hyperoxie dans l’insuffisance cardiaque aiguë mérite d’être posée. Aucune étude clinique n’a évalué l’impact de l’hyperoxie sur l’évolution dans cette population.
Conclusion
La toxicité de l’oxygène semble principalement liée à l’utilisation qu’en fait le clinicien. De ce fait, il faut considérer l’oxygène comme un traitement à part entière avec ses effets secondaires propres. Son utilisation ne doit donc pas être réduite à la simple ouverture et fermeture d’un manomètre mais doit être une prescription médicale à part entière avec une surveillance de l’efficacité et de la tolérance du traitement.
“In human terms, it would be very hard to live without oxygen, but it is also extremely hard to live with oxygen”, Davies and Ursini 1995
Nadia Aissaoui
Réanimation médicale, Hôpital Européen Georges Pompidou – Université Paris Descartes – INSERM U970, équipe 4, Paris
nadia.aissaoui13@gmail.com
Amer Hamdan
Réanimation médicale, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris
RÉFÉRENCES
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