Jean-Claude Deharo, CHU Marseille

 

 

Les syncopes sont un symptôme extrêmement fréquent, touchant entre 18 et 40 pour 1000 sujets x années dans la population générale. Il existe deux pics de survenue des syncopes au cours de la vie, le premier avant l’âge de 20 ans et le second au-delà de l’âge de 70 ans. De façon cumulée, une personne sur deux présentera une syncope au cours de sa vie. Entre un quart et la moitié des patients atteints consultent et ce sont seulement 2 à 10 % des patients présentant une syncope qui seront admis en service d’urgence.

La prise en charge des syncopes s’est considérablement simplifiée ces dernières années à la lumière en particulier des recommandations de la Société Européenne de Cardiologie dont la version la plus récente a été publiée en 20181, ainsi que des recommandations nord-américaines publiées peu de temps auparavant2. Nous détaillerons ici les aspects les plus importants de ces dernières recommandations.

La prise en charge initiale

Les syncopes font partie des pertes de connaissance transitoires. Leur mécanisme est une baisse du débit sanguin cérébral qui peut être due à :

– un phénomène réflexe, cas le plus fréquent,

– une hypotension orthostatique,

– une cause cardiaque, cas le plus grave.

La prise en charge initiale d’une syncope doit tout d’abord affirmer qu’il s’agit d’un trouble de la conscience transitoire répondant à un mécanisme de baisse du débit sanguin cérébral. Les autres troubles de la conscience transitoire d’origine comitiale, psychogène, et les causes rares de troubles de la conscience non syncopaux doivent donc être éliminés. A l’issue de cette évaluation, il est possible dans certains cas d’aboutir à un diagnostic certain ou très probable, ce qui permet de mettre en œuvre les mesures adéquates. Lorsque le diagnostic reste incertain au stade initial, il est fondamental de stratifier les patients selon le risque vital à court terme. Les patients à haut risque doivent être évalués rapidement en vue d’un traitement. Les patients à bas risque ne justifient une évaluation que si les épisodes sont fréquents et invalidants, mais cette évaluation ne doit pas être faite en urgence.

Ainsi, la prise en charge initiale doit répondre à quatre questions :

– Y a-t-il eu trouble de la conscience transitoire ?
– Est-ce une syncope ?
– Un diagnostic est-il privilégié d’emblée ?
– Y a-t-il un risque vital ?

Pour répondre à ces questions, la prise en charge initiale doit comprendre un examen clinique, un électrocardiogramme et une recherche d’hypotension orthostatique.

C’est seulement dans des cas très sélectionnés que l’on complètera cette évaluation initiale par une échocardiographie (en cas de suspicion de cardiopathie), une surveillance du rythme cardiaque intra-hospitalière (si une cause rythmique ou conductive est suspectée), un test d’inclinaison, un massage sinocarotidien, et des examens biologiques orientés par le contexte.

Certaines différences sémiologiques sont très utiles pour différencier les crises comitiales des syncopes. Elles sont résumées au tableau 1.

Certaines caractéristiques sémiologiques sont très en faveur d’une syncope réflexe telle qu’une longue histoire de syncopes ayant commencé avant l’âge de 40 ans, la présence de facteurs déclenchant nociceptifs, la station debout prolongée, la survenue pendant le repas, les signes d’activation du système nerveux autonome, la rotation de la tête ou la pression sur le sinus carotidien, enfin et surtout l’absence de cardiopathie.

Une origine cardiaque doit être suspectée en cas de syncope survenue à l’effort ou en position allongée, en présence d’une cardiopathie et particulièrement d’une coronaropathie, s’il existe une histoire familiale de mort subite inexpliquée dans le jeune âge, lorsque des palpitations ont précédé la syncope, ou en cas d’anomalie électrocardiographique (Tableau 2)

Tableau 1 : Critères sémiologiques permettant de différencier les crises comitiales des syncopes (d’après référence 1)

Tableau 2 : Eléments en faveur d’une syncope cardiaque à la prise en charge initiale (d’après référence 1)

La prise en charge experte

L’intérêt diagnostique du test d’inclinaison est maintenant discuté : en effet, comme cela apparaît à la figure 1, s’il a un fort taux de positivité chez les patients ayant une très forte probabilité a priori de syncope réflexe typique, il est positif chez 45-55% des patients ayant une probabilité de syncope réflexe atypique, de syncope cardiaque ou rythmique et chez 30 à 35% de ceux ayant des syncopes inexpliquées. Sa valeur discriminante est donc faible dans les situations où il serait le plus utile.

De ce fait, le test d’inclinaison n’est recommandé qu’en cas de suspicion de syncope réflexe. Il a une recommandation moindre pour son utilisation à visée éducative. Les critères de positivité du test sont la reproduction des symptômes avec analyse du profil hémodynamique au moment de la positivité. Concernant les autres tests diagnostiques, les moniteurs ECG implantables ont maintenant une place de choix chez les patients à faible risque présentant des syncopes probablement rythmiques et récidivantes. Ils sont recommandés également dans le but d’orienter le traitement, chez les patients ayant un faible risque et une syncope probablement réflexe, invalidante. D’autres formes de monitoring de l’électrocardiogramme sont proposées selon la situation : la télémétrie hospitalière chez les patients à haut risque et à forte probabilité de syncope rythmique, les moniteurs externes en cas de symptômes assez fréquent et le Holter en cas de symptômes très fréquents.

Les moniteurs implantables peuvent aussi permettre le diagnostic différentiel de troubles de la conscience non syncopaux. De façon nouvelle, les dernières recommandations européennes proposent l’utilisation des moniteurs ECG chez les patients ayant des cardiopathies à haut risque rythmique, une fois qu’une évaluation complète a permis d’éliminer un risque rythmique grave : dans les cardiopathies avec dysfonction systolique ventriculaire gauche quand le défibrillateur n’est pas indiqué sur les critères de fraction d’éjection, dans les cardiomyopathies hypertrophiques, la dysplasie arythmogène du ventricule droit, le syndrome du QT long congénital, ou le syndrome de Brugada.

L’enregistrement de vidéos à l’aide des smartphones est encouragé à l’instar de ce qui est recommandé dans le diagnostic de l’épilepsie. On espère ainsi mieux appréhender la sémiologie de certains troubles de la conscience inexpliqués, notamment les pseudosyncopes psychogènes.

L’exploration électrophysiologique a une place très limitée dans le diagnostic des syncopes. Elle n’est recommandée que lorsque les explorations non invasives n’ont pas permis un diagnostic. Dans ce cas, elle doit se limiter aux patients ayant une cardiopathie pourvoyeuse de cicatrices arythmogènes, à ceux ayant un bloc bifasciculaire et, à un moindre degré, à certaines dysfonctions sinusales ou lorsque des palpitations ont accompagné la syncope.

Traitement des syncopes réflexes (Figure 1)

Tout d’abord, il convient de rappeler que la très vaste majorité des patients présentant ce type de syncope relève uniquement de l’éducation thérapeutique et de la réassurance. En cas d’échec de ces mesures, ce qui correspond à une très faible proportion de patients (évaluée à environ 15 % des patients très sélectionnés, adressés en unité de syncope), ayant des épisodes fréquents, récidivants, et sans prodromes, conduisant à un risque, il est recommandé d’envisager des traitements complémentaires. Ici, une approche très différente doit être réservée aux patients jeunes par rapport aux patients plus âgés. On privilégiera chez les patients jeunes, principalement ceux ayant une faible tension artérielle et une mauvaise tolérance à l’orthostatisme, les traitements médicamenteux favorisant la rétention hydrosodée ou vasoconstricteurs (fludrocortisone plutôt que midodrine), ainsi que les manœuvres physiques de contre-pression ou, à un moindre degré, le « tilt-training ». On privilégiera chez les patients âgés ayant des syncopes sans prodromes la recherche d’une cardio-inhibition sévère qui pourrait indiquer la stimulation cardiaque, ainsi que la diminution des traitements hypotenseurs. Cette dernière mesure est également à proposer aux

patients plus jeunes, mais elle les concerne moins souvent. Enfin, le traitement basé sur la documentation par moniteur ECG d’un épisode spontané peut-être exceptionnellement proposée aux patients jeunes très invalidés. Il est également à rappeler qu’il n’y a aucune indication à la stimulation cardiaque en l’absence de bradycardie documentée.

Le test d’inclinaison, un outil pour dévoiler une susceptibilité à la vasodépression : des données récentes de la littérature attirent l’attention sur ce possible rôle du test d’inclinaison. La positivité du test témoigne d’une susceptibilité à la vasodépression qui viendra diminuer l’efficacité de la stimulation cardiaque lorsque celle-ci sera indiquée pour des syncopes réflexes. Ainsi, un patient présentant une cardio-inhibition conduisant à la pose d’un stimulateur a un risque de récidive faible en cas de test d’inclinaison négatif (de l’ordre de 5 %) et beaucoup plus élevé en cas de test positif (de l’ordre de 25 %).

Perspectives

La prise en charge « moderne » des syncopes nécessite un environnement adapté, garant de l’efficience diagnostique et thérapeutique, ainsi qu’une diminution du nombre d’hospitalisations encore beaucoup trop élevé. Cet environnement correspond à celui des unités de syncopes qui sont encore trop rares dans notre système de soins, bien qu’elles soient prônées par les recommandations internationales1,2. Une discussion avec l’administration hospitalière et nos tutelles s’impose pour promouvoir l’ouverture de ce type d’unités.

 

Références



1. Brignole M, Moya A, de Lange F, et al. 2018 ESC guidelines for the diagnosis and management of syncope. Eur Heart J 2018 ; 39 : 1883-1948
2. Shen WK, Shedon RS, Benditt DG, et al. 2017 ACC/AHA/HRS Guideline for the Evaluation and Management of Patients With Syncope: A Report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Clinical Practice Guidelines and the Heart Rhythm Society. J Am Coll Cardiol 2017 ; 70 : e39-e110

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