Les objets connectés envahissent de façon exponentielle le monde de la santé depuis plusieurs années. Cette « santé connectée 2.0 », de plus en plus technique, place le patient au centre de la réflexion avec comme rationnel d’utiliser les dernières technologies disponibles afin de faciliter le suivi et la prise en charge de nos patients. Cependant, il est parfois difficile de faire la différence entre véritables progrès pour le patient et « gadgets technologiques » sans intérêt… De nombreuses start-ups sont sur les rangs pour nous proposer des objets toujours plus innovants, avec des enjeux économiques qui peuvent être importants. Cet article vous propose une synthèse des objets connectés disponibles ou futurs dans le monde de l’insuffisance cardiaque.

L’insuffisance cardiaque (IC) est un problème de santé publique majeur avec plus de 200 000 hospitalisations par an en France, entraînant un fardeau économique considérable. En France, le coût annuel total de l’hospitalisation pour IC est estimé à un milliard d’euros (1). Par conséquent, l’un des problèmes les plus difficiles en matière de gestion de l’IC est de réduire les taux d’admission à l’hôpital et de réadmission des patients atteints d’IC chronique (2). Cependant, l’efficacité des réseaux de soins chez les patients sortis de l’hôpital après un épisode de décompensation d’IC reste difficile, notamment pour réduire le nombre d’hospitalisations consécutives. Les objets connectés sont généralement de petits équipements électroniques capables de communiquer avec un ordinateur ou un smartphone. Ainsi, ces objets connectés pourraient contribuer à assurer la continuité des soins médicaux après la sortie, en particulier en termes d’éducation technique, d’exercice physique, d’observance thérapeutique et de gestion des suivis (3). Cette proximité entre les objets connectés et le patient offre une nouvelle opportunité pour interagir avec nos patients et éviter ainsi les ré-hospitalisations.

Montres connectées : le coup de tonnerre de l’Apple Watch®

L’objet connecté qui a fait le plus parler de lui ces dernières années est incontestablement l’Apple Watch® proposant d’abord la détection d’une onde de pouls par capteurs optiques, puis plus récemment la réalisation d’un ECG au poignet afin de détecter efficacement la fibrillation auriculaire (FA).

En effet, l’étude Apple Heart avec des premiers résultats publiés en mars 20194 puis dans le NEJM très récemment en novembre 20195 montre que :
• chez 419 297 volontaires de plus de 22 ans, 0,5% (2 100 participants) ont reçu une notification de pouls irrégulier sur l’Apple Watch® (séries 1, 2 ou 3). L’alerte est déclenchée lorsque le capteur détecte 5 ou 6 épisodes répétés d’irrégularité d’ondes de pouls dans les 48h (Figure 1).
• parmi les 450 participants analysés (ayant renvoyé leurs patchs ECG aux investigateurs), 34% des patients ayant reçu une notification sur l’Apple Watch® avaient une FA confirmée sur un ECG standard.

Ainsi, en comparant les détections d’irrégularités du pouls détectées par l’Apple Watch®, comparées à un ECG simultané chez les participants analysés, la valeur prédictive positive de l’Apple Watch pour détection de FA était de 71% (69-74%) et celle de la notification de 84% (76-92%).

Plus récemment, la dernière version de l’Apple Watch® (série 4) permet la réalisation d’un ECG (une piste). En pratique, il ne s’agit pas d’une surveillance en continu mais le rythme cardiaque peut être mesuré quand on le souhaite grâce à deux électrodes : une sous la montre, au contact du poignet, l’autre dans le bouton sur le côté, sur lequel il faut appuyer pendant 30 secondes.
Le résultat est alors analysé par un algorithme qui détermine si les battements du cœur du patient sont réguliers ou non.

Application mobile sur Smartphone : Application « MonCoeur » du GICC

Il existe un intérêt croissant pour l’utilisation des applications mobiles sur smartphone en tant que moyen de communication d’informations sur la santé à un nombre croissant de patients atteints de maladies chroniques, tels que ceux atteints d’IC (6,7). En effet, le rationnel est plutôt simple : quel est l’objet qui nous accompagne absolument partout, en permanence au quotidien ? Notre smartphone ! De plus, une étude ancillaire récente du registre français OFICSel, en cours de publication, montre sur une cohorte de 2 517 patients que 35% de nos patients IC ont un smartphone avec la possibilité d’application dédiée (8).
Fort de cet intérêt pour les applications sur smartphone, le Groupe Insuffisance Cardiaque et Cardiomyopathies (GICC) de la Société Française de Cardiologie a développé, sous l’égide du docteur Emmanuelle Berthelot, une application smartphone dédiée à nos patients atteints d’IC appelée « MonCoeur », bientôt disponible sur Androïd et cela complètement gratuitement (Figure 2). D’ailleurs, nous envisageons avec le GICC et le Collège des Cardiologues en formation (CCF) une étude randomisée prévue début 2020 afin de valider l’efficacité clinique de cette application.

Le principe de cette application est de proposer des conseils personnalisés permettant au patient de prendre le contrôle de ses facteurs de risque modifiables, des facteurs déclenchant les décompensations, ainsi que des rappels de prise médicamenteuse.

Balance connectée

De nombreuses balances connectées proposent au patient de se peser avec une sauvegarde et synchronisation des mesures sur smartphone permettant l’obtention d’une courbe de poids sur les dernières semaines. Le système en lien avec un smartphone peut alors déclencher une alerte en cas de prise de poids anormale évoquant une possible décompensation. Ainsi, Eschalier et al. ont mis au point un système de télésurveillance à partir d’une balance connectée chez les patients ayant une IC de stade III ou IV qui a permis de réduire de plus de moitié le nombre de décès et de réhospitalisations en comparaison à un parcours de soins standard (9).
De plus, certaines balances de dernière génération proposent une mesure de la vitesse de l’onde de pouls permettant d’évaluer le degré de rigidité artérielle
rentrant dans l’évaluation du risque cardiovasculaire pour le dépistage de l’artériosclérose (10), comme le propose déjà la start-up française Axelife avec le
pOpmètre® permettant une mesure de la vitesse de l’onde de pouls au cabinet. Cette start-up propose également un produit en cours de développement la iHeartWatch® offrant une mesure de la pression artérielle continue au poignet sans brassard, potentiellement très utile chez nos patients insuffisants cardiaques, notamment dans la période de titration médicamenteuse.

Console de jeu pour les insuffisants cardiaques

La Nintendo Wii a ainsi été évaluée chez des patients avec insuffisance cardiaque dont l’accès à l’exercice physique est limité (11). Ainsi les patients du groupe Wii réalisant régulièrement des exercices ludiques sur console pendant 3 mois avaient une amélioration de la distance de marche à 6 minutes significative de 33 mètres par rapport au groupe contrôle.

Tee-shirt connecté : l’exemple français de Chronolife®

De nombreuses start-ups proposent le développement de vêtements connectés offrant un gain d’observance important pour le patient. Dans ce domaine, la startup française Chronolife® se consacre depuis 3 ans, et après une levée de fond de fonds de 4 millions d’euros, au développement d’un tee-shirt connecté dédié à l’insuffisant cardiaque (Figure 3).

Ainsi, le port d’un simple tee-shirt offre plusieurs mesures de suivi avec :

  • ECG 12 dérivations ;
  • mesure de la respiration thoracique et abdominale permettant la détection précoce d’une respiration paradoxale chez le patient en décompensation ;
  • mesure de l’impédance pulmonaire offrant une quantification de l’oedème pulmonaire ;
  • mesure de l’activité physique ;
  • détection des chutes.

Une étude prospective multicentrique de validation clinique est en cours en France, en Allemagne et au Danemark. En pratique, le coût d’un tee-shirt est d’environ 300 euros, sachant qu’il est réutilisable et passe en machine à laver. Entrant dans le Programme ETAPES de télémédecine du Ministère de la Santé (12), ce produit est remboursé chez les patients IC dès lors qu’il est prescrit par un médecin.

Conclusion

La santé connectée avance à très grande vitesse, certainement plus vite que ne se déploie la réglementation médico-légale nécessaire à son encadrement. En effet, à travers les nombreux objets connectés proposés, le patient peut dès à présent gérer lui-même l’enregistrement de son ECG, de sa fréquence cardiaque, de sa pression artérielle…, et ce, autant de fois qu’il le souhaite.
Bien sûr, la large majorité de ces systèmes ne sont aucunement pris en charge par l’Assurance Maladie. Mais on ne peut pas exclure dans un futur proche que les mutuelles et les assurances puissent s’y intéresser au vu des possibilités offertes en termes de prévention et d’aide au maintien à domicile, des patients les plus âgés notamment.
Aujourd’hui, ces différentes techniques offrent un moyen détourné et simple, d’une prise en charge autonome par le patient. Cependant, l’absence
de contrôle par un médecin en amont exclut ces pratiques du cadre très à la mode aujourd’hui de la télémédecine.

Théo Pezel, CHU Lariboisière, Unité INSERM-UMR 942, Paris

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.


RÉFÉRENCES

1. Galinier M, Bouvet B, et al. What is the burden of hospitalizations for Heart Failure in France in 2010 (P982). ESC Congress, 2012, 25-29 august, Munich (Germany).

2. Juillière Y, Jourdain P, et al. Therapeutic patient education and all-cause mortality in patients with chronic heart failure: a propensity analysis. Int J Cardiol. 2013

3. Wagenaar KP, Broekhuizen BDL, et al. Effectiveness of the European Society of Cardiology/Heart Failure Association website « heartfailurematters.org » and an e-health adjusted care pathway in patients with stable heart failure: results of the « e-Vita HF » randomized controlled trial. Eur J Heart Fail. 2019

4. Turakhia MP, Desai M, et al. Rationale and design of a large-scale, app-based study to identify cardiac arrhythmias using a smartwatch: The Apple Heart Study. Am Heart J. 2019

5. Perez MV, Mahaffey KW, et al. Large-Scale Assessment of a Smartwatch to Identify Atrial Fibrillation. N Engl J Med. 2019

6. Preziosa A, Grassi A, et al. Therapeutic applications of the mobile phone. Br J Guid Couns. 2009

7. Barry MJ. Health decision aids to facilitate shared decision making in office practice. Ann Intern Med. 2002

8. Pezel T, Berthelot E et al. Epidemiological Characteristics and Therapeutic Management of Chronic Heart Failure Patients Used Smartphone: Potential Impact of a Dedicated Smartphone Application. A report from the OFICSel study. Journal Archives of Cardiovascular Diseases; submitted. 2019

9. Eschalier R, D’Agrosa-Boiteux M-C, et al. Service de télésurveillance et de coordination des soins des insuffi sants cardiaques. Eur Res Telemed Rech Eur En Télémédecine. 2014

10. Laurent S, Cockcroft J, et al. Expert consensus document on arterial stiffness: methodological issues and clinical applications. Eur Heart J. 2006

11. Jaarsma T, Klompstra L, et al. Increasing exercise capacity and quality of life of patients with heart failure through Wii gaming: the rationale, design and methodology of the HF-Wii study; a multicentre randomized controlled trial. Eur J Heart Fail. 2015

12. Ministère des Solidarités et de la Santé. Repères : ÉTAPES : Expérimentations de Télémédecine pour l’Amélioration des Parcours En Santé (en ligne). Disponible sur : https://solidarites-sante.gouv.fr/soinset-maladies/prises-en-charge-specialisees/telemedecine/article/etapes-experimentations-de-telemedecine-pour-l-amelioration-des-parcours-en (consulté le 15 novembre 2019).

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