Cœur au repos

Annette Messager, 2009

 

Cette oeuvre figure en couverture du catalogue de l’exposition « Cœurs. Du romantisme dans l’art contemporain » actuellement présentée au Musée de la Vie romantique à Paris. Artiste dont la reconnaissance est internationale, Annette Messager a représenté la France à la Biennale de Venise où elle a obtenu le Lion d’or en 2005. Elle a été exposée au centre Pompidou à Paris en 2007 et récompensée par le prix Premium Imperial du Japon en 2016.

 

Annette Messager est une artiste plasticienne qui vit et travaille en région parisienne. Elle utilise souvent des matériaux simples du quotidien mais en variant la matière. Ses modes d’expression plastiques sont aussi extrêmement variés et parfois associés : peintures, dessins, illustrations, broderies, tissus, photographies, installations parfois mécanisées… Son œuvre, dont la matière est puisée dans notre environnement quotidien est donc accessible à tous. Elle affirme que l’artiste, quel que soit son langage, est un menteur, un affabulateur, un voleur, un « piqueur » d’idées, de formes banales, de situations observées et recueillies dans la vie quotidienne, mais qu’ensuite il les rend, il les restitue sous une autre forme, métamorphosée. Son œuvre s’est régulièrement renouvelée. « Je travaille par accumulation pour me dissimuler, par peur de la chose unique » déclarait-t-elle récemment au cours d’un entretien radiophonique. Annette Messager reconnaît avoir été très influencée par le 7ème art et en particulier par les nombreux gros plans auxquels Alfred Hitchcock avait recours dans ses films, ainsi que par la lecture des « Fragments d’un discours amoureux » de Roland Barthes. Ces références à sa culture cinématographique et littéraire aident à comprendre le travail de cette artiste.

 

 

Ce « cœur au repos » date de 2009. C’est une pièce de grandes dimensions, présentée horizontalement, et composée d’un tissage en fi l de fer et de morceaux de fi let de pêche. Les matériaux utilisés sont de couleur noire, choix assumé par opposition aux couleurs plus gaies, rouge ou rose, le plus souvent choisies par les artistes pour traiter ce thème du cœur. Il s’agit donc d’un fragment de corps, de l’organe anatomique mais qui est présenté ici sous la forme symbolique habituelle. Cette représentation fréquente de fragments de corps trouve probablement sa source dans son enfance à Berck-sur-mer dans le Pas de Calais, ville où étaient soignés les malades atteints de tuberculose osseuse et où il y avait, selon son expression, plus de malades que de bien portants. « Tout mon travail parle de fragments de corps (…). Le corps est une géographie amoureuse que je représente (…). Ce n’est pas le corps souffrant. (…). Cela ressemble beaucoup aux ex-voto exposés dans les églises. (…) Tout artiste impose son œuvre au regardeur mais l’invite ensuite à un voyage » poursuit-elle lors du même entretien. A quel voyage Annette Messager nous invite-t-elle lorsque nous regardons ce « cœur au repos » ? S’agit-il du repos après un amour comblé et apaisant ou bien au contraire d’une convalescence nécessaire après le vécu d’une épreuve douloureuse, comme le suggère la structure du fi let déchiré par un chagrin d’amour et qui ne pourra plus accueillir ni retenir de nouvelles passions ? Ce cœur repose t-il sur une couche douillette ou bien est-il échoué, abandonné sur une plage ou sur la grève, définitivement dépourvu de toute énergie vitale et de désir amoureux ?

Ce questionnement contradictoire vient à l’esprit du regardeur de cette œuvre lorsqu’il sait qu’Annette Messager a plaisir à montrer dans son travail une chose et son contraire, la fragilité de la vie et la résistance aux tourments de l’existence, l’humour noir et la sensibilité. Elle mélange la légèreté et la gravité, la légèreté comme résistance aux situations dramatiques, pour reprendre ses propos. « Il n’y a d’absence que de l’autre. C’est l’autre qui part, c’est moi qui reste (…). Je suis, moi qui aime, sédentaire, immobile (…) en attente de souffrance » (Fragments d’un discours amoureux. R. Barthes).

 

N°35 – Sept 2020

Pascal Guéret

Commentaire(0)