Toutes les recommandations thérapeutiques1 proposent le taux de LDL-cholestérol (LDL-C) comme paramètre clé dans la prise en charge d’une dyslipidémie. L’évolution de ce paramètre permet de juger de la réponse au traitement et de la nécessité d’ajuster ou non le traitement hypolipémiant. Le taux de LDL-C est le plus souvent calculé en pratique quotidienne par la classique formule de Friedewald : LDL-C = CT – HDL-C – TG/5 (tous les paramètres sont exprimés en g/l).
En pratique clinique, quelques pièges existent dans l’interprétation du taux de LDL-C sous traitement hypolipémiant dont voici 2 exemples classiques.
Patiente 1 : Patiente en prévention secondaire qualifiée de mauvais répondeur aux statines
Mme D. âgée de 58 ans, déjà connue comme ayant une atteinte artérielle périphérique, est hospitalisée pour syndrome coronaire aigu (SCA). La coronarographie révèle une atteinte pluri-tronculaire. Elle a fumé jusqu’à l’âge de 45 ans et n’a pas d’autre facteur de risque cardiovasculaire personnel majeur (poids normal, pas de HTA, ni diabète). Par contre, dans sa famille existent des antécédents d’athérosclérose précoce.
Sans traitement, son bilan lipidique au moment du SCA révèle un LDL-C à 1,20 g/l (Tableau 1) justifiant l’instauration d’une statine de forte intensité (choix : atorvastatine 40 mg). Le contrôle réalisé à 8 semaines de traitement montre un LDL-C à 0,90 g/l, à priori loin des objectifs thérapeutiques et qui correspond à une diminution de seulement 25% du LDL-C.
La patiente affirme avoir pris son traitement très régulièrement et dans cette circonstance, il faut impérativement disposer d’un dosage de Lp(a), lipoprotéine très athérogène dont la concentration n’est pas abaissée lors d’un traitement par statine. En effet, cette lipoprotéine dont il existe plusieurs isoformes de masses moléculaires différentes contient une quantité significative de cholestérol estimée en général entre 30 et 45% du taux de Lp(a) exprimé en masse2 . Un taux très élevé de Lp(a) va donc conduire à une surestimation du LDL-C réel.
Pour la pratique clinique, il est utilisé le plus souvent une estimation conservatrice en prenant 30% de la masse de Lp(a) comme étant le contenu en cholestérol.
Pour cette patiente, le taux de Lp(a) était de 1,70 g/l, d’où un taux de Lp(a)-cholestérol d’environ 0,50 g/l. De ce fait, le LDL-C réel avant traitement était d’environ 0,70 g/l et après traitement par atorvastatine, le LDL-C réel à 0,40 g/l, soit une baisse de 43% du taux de LDL-C, conforme à ce que l‘on pouvait attendre avec atorvastatine 40 mg. La patiente est de plus à l’objectif LDL-C des dernières recommandations européennes (< 0,55 g/l)1 .
A noter que dans cet exemple, le bilan lipidique pouvait correspondre à un LDL-C calculé ou mesuré avec le même risque d’erreur en cas de Lp(a) très augmentée. Cette patiente n’a donc pas de mauvaise réponse aux statines, mais le risque induit par l’excès de Lp(a) reste présent.
1er message : Demander un dosage de Lp(a) en cas de mauvaise réponse supposée à un traitement par statine.
Patient 2 : patient atteignant un taux très bas de LDL-C
Mr R., 52 ans, tabagique et hypertendu, est hospitalisé pour SCA et le bilan lipidique à l’hospitalisation révèle une hypercholestérolémie mixte sévère avec un LDL-C à 2,10 g/l et des triglycérides à 2,20 g/l (Tableau 2). Devant ce taux très élevé de LDL-C et en plus des mesures hygiénodiététiques, un traitement par rosuvastatine 20 mg associé à ézétimibe 10 mg est initié dès l’hospitalisation. Le contrôle réalisé 8 semaines après montre une bonne réponse thérapeutique puisque le LDL-C est à 0,85 g/l, ce qui correspond à la baisse attendue d’environ 60% du LDL-C. Le taux de LDL-C restant au-delà des objectifs thérapeutiques, il est décidé d’ajouter au traitement oral un inhibiteur de PCSK9, alirocumab 150 mg toutes les 2 semaines. Le nouveau contrôle 12 semaines plus tard montre un LDL-C à 0,05 g/l (baisse de 95% par rapport au bilan précédent !), taux qui affole tant le cardiologue que le médecin généraliste et le patient !
Ce cas illustre la surestimation du cholestérol contenu dans les lipoprotéines riches en triglycérides (VLDLcholestérol) par la formule de Friedewald. S’il est bien connu et admis que cette formule n’est pas applicable pour des patients avec TG trop élevés (classiquement au-delà de 3,5 à 4,0 g/l), il faut également savoir que le taux de LDL-C calculé par cette formule est de plus en plus faux au fur et à mesure que le taux de LDL-C s’abaisse et schématiquement, avec un LDL-C < 0,70 g/l, l’erreur devient très significative, d’autant plus lorsque les TG sont modérément augmentés, ce qui est le cas de ce patient3 .
Même s’il existe de nouvelles formules plus performantes pour évaluer le VLDL-cholestérol4 , la stratégie en pratique quotidienne est de demander un LDL-C mesuré dans cette circonstance.
Si un LDL-C mesuré ne peut être obtenu, une autre façon de procéder est de regarder le taux de non-HDLcholestérol, paramètre justement utile en cas d’élévation des TG. Dans le tableau 2, le taux de non-HDL-C qui s’était abaissé à 1,21 g/l sous traitement oral, est à 0,65 g/l avec l’ajout d’alirocumab, soit une baisse complémentaire logique et attendue de 46%. L’utilisation du non-HDL-C est donc une alternative lorsque les TG sont élevés et que le LDL- mesuré est difficile à obtenir, ce qui est encore souvent le cas.
2ème message : Le calcul du LDL-C par la formule de Friedewald n’est pas valable pour des TG élevés, mais aussi pour des LDL-C bas (< 0.70 g/l). Il faut soit disposer d’un LDL-C mesuré, soit utiliser le non-HDL-C lorsque les TG sont élevés.
Conclusion
Avant de considérer un patient mauvais répondeur aux statines ou s’affoler devant un taux très bas de LDL-C, il faut se méfier de la méthode d’évaluation du LDL-C, tenir compte des triglycérides, et penser à demander un dosage de lipoprotéine(a).
Michel Farnier – Equipe PEC2, EA 7460, Université de Bourgogne Franche-Comté, et Service de Cardiologie, CHU Dijon Bourgogne, Dijon, France
Le docteur Michel Farnier déclare avoir reçu des honoraires en tant qu’investigateur, expert scientifique et/ou conférencier de la part des firmes suivantes : Abbott, Akcea/Ionis, Amarin, Amgen, Daïchi-Sankyo, Kowa, Merck and Co, Mylan, Pfizer, Sanofi/Regeneron et Servier
RÉFÉRENCES
1. Mach F, Baigent C, Catapano AL, et al. 2019 ESC/EAS Guidelines for the management of dyslipidaemias: lipid modifi cation to reduce cardiovascular risk. Eur Heart J 2020; 41: 111-88.
2. Yeang C, Witztum JL, Tsimikas S. ‘LDL-C’ = LDL-C + Lp(a)-C: Implications of achieved ultra-low LDL-C levels in the proprotein convertase subtilisin/kexin type 9 era of potent LDL-C lowering. Curr Opin Lipidol 2015; 26: 169-78.
3. Martin SS, Blaha MJ, Elshazly MB, et al. Friedewald-estimated versus directly measured low-density lipoprotein cholesterol and treatment implications. J Am Coll Cardiol 2013; 62: 732-9.
4. Sampson M, Ling C, Sun Q, et al. A new equation for calculation of low-density lipoprotein cholesterol in patients with normolipidemia and/or hypertriglyceridemia. JAMA Cardiol 2020; 5: 540-8.