L’élan du cœur

Vladimir Velickovic, 1993

 

Vladimir Veličković est un artiste d’origine yougoslave naturalisé français, installé en région parisienne à partir de 1966 jusqu’à son décès en 2019. Il est confronté à la violence humaine dès son jeune âge, témoin de la répression des nazis contre les résistants serbes. Puis il ressentira très douloureusement les atrocités de la guerre civile fratricide des années 90 et qui aboutira à la partition de son pays. « Mon pays n’existe plus. Je suis un yougo-nostalgique… pris dans la tourmente de cohabiter avec la violence », déclarait-t-il en 2015. Pour Veličković, le temps s’écoule à une vitesse vertigineuse, d’où l’étude du mouvement qui caractérise la plupart de ses tableaux. C’est un esprit très créateur, puissant mais constamment torturé. Il a beaucoup étudié et reproduit les mouvements dans le déplacement de l’être humain, de façon énergique, souvent brutale, provocatrice, mettant le spectateur mal à l’aise devant la vision de véritables scènes de corps-à corps suspendus dans les airs. Plus rarement, il représenta des animaux en mouvement ou immobiles mais toujours associés au mal (chiens menaçants, corbeaux, rats…). On ne retrouve aucune allusion ni représentation de la nature dans ses oeuvres. Ni végétation, ni arbre, ni paysage, il ne figure que des êtres vivants. Enfin, la couleur grise, avec toutes ses variantes, est le plus souvent utilisée, valorisant certes la beauté plastique mais accentuant cette sensation de malaise provoqué. Architecte de formation, mais autodidacte en peinture, il restera fidèle à la figuration sous la forme la plus crue et la plus noire. Comme l’écrivait son ami le critique et professeur d’histoire de l’art JeanLuc Chalumeau peu après sa disparition « Veličković était à l’évidence un artiste tragique, mais il n’avait pu acquérir cette dimension que par le moyen de ce que l’on appelle le « grand style », au sens où l’entendait Frédéric Nietzsche pour qui « la beauté ne peut être que grande, jamais petite et brève. »

Dans cet Élan du cœur, œuvre de commande qui fut longtemps placée dans un hôpital parisien, l’artiste n’a recours qu’aux couleurs de la violence et du deuil, le noir et le rouge, complétées par le blanc jauni du fond. Un homme représenté sans tête se déplace. Décapité, il est encore capable de courir, comme un poulet dans une cour de ferme. Les mouvements des jambes et des bras traduisent la dynamique du déplacement du corps prenant son élan en s’appuyant sur le cœur, à moins qu’il s’agisse d’une attitude de déséquilibre conduisant à la chute et à la mort dès que la course cesse ou que le cœur s’arrête. L’anatomie très détaillée de l’homme, tracée à la plume, contraste avec la simplicité du dessin du cœur, représenté dans sa forme symbolique habituelle mais schématique et dépouillée, à peine esquissée d’un trait fin. Ses grandes dimensions lui font occuper les 3 quarts de la surface de l’œuvre.

Un autre personnage, dans la même présentation dynamique est placé dans le coin inférieur droit, à proximité de 3 photographies d’Eadweard Muybridge décomposant la marche de l’homme et sur lesquelles le personnage est nu, dans son habit de naissance et de mort. Ce photographe britannique a travaillé aux Etats Unis au milieu du XIXe siècle. Il a beaucoup étudié la décomposition du mouvement de l’homme et des animaux, en particulier le cheval. Il avait mis au point un ingénieux système, le zoopraxiscope, recomposant le mouvement par les visions rapides de ses différentes phases, véritable ancêtre du cinématographe. La juxtaposition dans cette oeuvre des dessins illustrant le mouvement et de ces photographies traduit l’importance accordée par Veličković au rythme et à l’intégration du temps dans son travail. La représentation d’un court tracé d’électrocardiogramme placé à proximité du personnage supérieur accentue cette référence au temps et apporte une touche scientifique supplémentaire au dessin du cœur. Une palette de 7 taches de couleurs allant de l’orange au noir et associée à des chiffres romains évoquent une pellicule de film, référence supplémentaire au temps nécessaire pour aller du point A au point B, dont les lettres sont figurées aux 2 extrémités de cette échelle colorée. L’artiste conclut son œuvre en projetant des gouttelettes d’une couleur qui évoque le sang s’écoulant de la blessure du doigt de l’homme qui court. Le rythme, le mouvement, le temps, la violence, la mort. Toutes les obsessions de Veličković figurent dans cette œuvre. Il ne manque que l’indicible horreur de sa vision pessimiste du monde représentée dans la plupart de ses autres toiles.

 

Pascal Guéret

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