Mais il ne faut pas rouler dessous la table… 

 

Il y a quelques jours, j’ai été passablement intrigué par le titre d’un article de Medscape : « Current ‘safe’ alcohol consumption levels potentially harmful » (Les niveaux de consommation alcoolique considérés comme « sûrs » potentiellement délétères). L’article faisait référence à un travail de Schutte et al. intitulé « Alcohol – The myth of cardiovascular protection » analysant les liens entre consommation d’alcool et accidents cardiovasculaires à partir de la UK biobank, qui rassemble les données de santé de plusieurs centaines de milliers de britanniques âgés de 40 à 69 ans, suivis pendant 7 ans en moyenne. La conclusion des auteurs, reprise par Medscape, était sans appel : les biais inhérents à de nombreuses recherches épidémiologiques masqueraient l’effet toxique de l’alcool, même consommé à faible dose.  

Pourtant, la lecture de l’article lui-même me fait aboutir à une conclusion tout autre. L’étude elle-même est bien menée, à partir d’une cohorte de 333 259 consommateurs d’alcool et de 21 710 personnes n’en consommant pas, et évalue différents types de boissons alcoolisées (vins blanc et rouge, bière/cidre, alcools forts) en relation avec la survenue de différents types d’accidents cardio-vasculaires. La force du travail est d’avoir fait plusieurs analyses, pour tenter d’éviter certains biais classiques dans le domaine. Ainsi, les résultats diffèrent selon qu’on prend comme référence le groupe des jamais buveurs (la consommation d’alcool, quels qu’en soient la quantité et le type est alors associée à une réduction du risque d’événements cardio-vasculaires d’environ 20 %) ou si on se réfère au premier quintile de consommation (la consommation de plus fortes quantités est associée à une baisse d’environ 5 %, non significative, du risque, résultant d’une augmentation significative du risque chez les plus gros buveurs de bière/cidre/alcools et d’une diminution significative du risque chez les buveurs de vin). Cette première analyse met en lumière la singularité des non-buveurs, catégorie qui mélange souvent des personnes n’ayant effectivement jamais bu et d’autres ayant arrêté, souvent en raison de problèmes de santé. Elle suggère aussi que l’effet de l’alcool pourrait varier en fonction du type d’alcool consommé. 

Une seconde analyse sépare les accidents ischémiques coronaires et les accidents cérébrovasculaires. Pour faire court, par rapport aux petits buveurs, le risque d’accidents coronaires n’est pas impacté de façon significative chez les plus gros buveurs de bière/cidre/alcools, alors qu’il est diminué chez les plus gros consommateurs de vin. Le risque d’accidents cérébrovasculaires, lui, est augmenté chez les plus gros buveurs de bière/cidre/vin, et légèrement plus faible (différence non significative) chez les plus gros buveurs de vin. Au bout du compte, le bénéfice cardiovasculaire du vin passe avant tout par une réduction des événements coronaires. 

Si la méthodologie de l’étude est plutôt bonne (bien qu’elle ne prenne pas en considération les modalités de consommation : régulière ou occasionnelle), je reste interloqué par les conclusions que les auteurs en tirent : toute consommation d’alcool serait nocive sur le plan cardio-vasculaire. Ce n’est tout bonnement pas ce que montrent les données de l’étude !

En fait, on constate qu’il existe autour de la question des relations entre alcool et santé une charge émotionnelle considérable, qui impacte l’attitude des chercheurs et la façon dont ils présentent leurs résultats. Ainsi, certains sont philosophiquement, émotionnellement et/ ou historiquement (je parle de leur histoire personnelle ou familiale) « anti-alcool », alors que d’autres y sont instinctivement (ou gustativement) plus favorables. En somme, les conflits d’intérêts sur la question de l’alcool sont souvent beaucoup plus psychologiques qu’économiques, mais ils sont néanmoins bien réels. Comme pour la plupart des publications, il faut savoir lire les études dans le détail et ne pas s’arrêter simplement aux phrases de conclusion. Sur ce, je vous laisse, c’est l’heure de l’apéro !

 

Nicolas Danchin 

Shutte R, Smith L, Wannamethee G. Clin Nutrition 2022; 41: 348-355 

Liens d’intérêts : ND déclare n’avoir aucun liens d’intérêts avec les différents producteurs de vin, bière, cidre et alcools mais avoue avoir une vraie préférence pour le Lagavulin de 16 ans.

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