Infarctus du myocarde après transplantation rénale : un profil de risque spécifique. Analyses issues du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI)

Relecture : Professeur Yves Cottin – Remerciements : Professeur Laurent Fauchier

THÈSE SOUTENUE POUR L’OBTENTION DU GRADE DE DOCTEUR EN MÉDECINE LE 31 MAI 2021 À LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE DIJON

Contexte

L’insuffisance rénale chronique est un facteur de risque cardiovasculaire (FDRCV) indépendant bien connu (1) et la fréquence des autres FDRCV est d’autant plus importante que la fonction rénale est altérée (2). Aussi, les maladies cardiovasculaires représentent-elle
la première cause de décès des transplantés rénaux (30%), devant les décès pour cancers et complications infectieuses induites par l’immunosuppression (3). Ces décès d’origine cardiovasculaire occasionnent malheureusement la perte d’un greffon qui est souvent
encore fonctionnel (4). Par ailleurs, il faut souligner que la période suivant la transplantation est à haut risque de syndromes coronaires, principalement dans l’année suivant la transplantation et encore plus fortement dans les trois mois suivant la greffe. (5) Plusieurs facteurs de risques ont été identifiés comme l’âge, le sexe masculin, le rejet aigu, les lymphoproliférations post transplantation, la durée de dialyse et la présence d’un diabète (6).

La plupart de ces données sont issues de cohortes nord-américaines. Quelle est l’incidence des syndromes coronaires aigus (SCA) chez les patients transplantés rénaux français ? Existe-t-il une différence de profil et de mortalité entre la population générale hospitalisée pour un SCA et la population greffée rénale présentant SCA ?

Méthode

A partir du registre du programme de médicalisation de systèmes d’information (PMSI), tous les patients vus dans un hôpital Français en 2013 avec au moins 5 ans de suivi ont été rétrospectivement identifiés. Les patients ont tous été inclus en 2013 puis suivi pour au moins 5 ans.
Les critères de jugements recueillis étaient la survenue d’un infarctus du myocarde, la mortalité toute cause et la mortalité cardiovasculaire. Ces informations ont été obtenues en analysant les codes PMSI pour chaque patient, selon la classification internationale des maladies (ICD-10). Ainsi, 17 526 patients transplantés rénaux et 3 288 857 patients sans transplantation rénale ont été identifiés. Les patients dialysés non transplantés ont été exclus (Figure 1).

Résultats

Profil clinique des patients à Baseline : Le genre masculin était prédominant dans la population transplantée (60,4% vs. 46,5%, p < 0,0001). Les patients non transplantés étaient significativement plus âgés (59,1 yo vs. 55,4 yo, p < 0,0001).

Les patients transplantés avaient plus souvent une hypertension artérielle (70,4% vs. 29,5%, p < 0,0001), un diabète (28,3% vs. 13,2% p < 0,0001), une dyslipidémie (25,1% vs. 12,7% p < 0,0001), une obésité (12,3% vs. 10,3%, p < 0,0001), et une fibrillation atriale(11,4% vs. 9,4%, p < 0,0001). De même, les transplantés avaient plus fréquemment un antécédant de maladie coronaire et des manifestations d’insuffisance cardiaque (Tableau 1).

Infarctus du myocarde 

1 020 patients dans le groupe transplanté (5,8%) et 93 320 patients dans le groupe non transplanté (2,8%) ont présenté un infarctus du myocarde pendant une médiane de suivi de 5,4 années. Après analyse multivariée, le risque d’infarctus du myocarde était plus important chez les patients transplantés rénaux que les non transplantés (HR 1,45, IC 95% 1,35-1,55) (Figure 2).

L’analyse selon le modèle de Fine et Gray pour les risques compétitifs a montré des résultats similaires (HR 1,86, 95% CI 1,74–1,97).

Profil clinique des patients ayant présenté un syndrome coronaire aigu L’âge moyen était de 59,5 ans chez les transplantés avec infarctus du myocarde et 70,6 ans dans la population de référence avec infarctus du myocarde (p < 0,0001), Les patients ayant présenté un infarctus du myocarde dans le groupe transplanté étaient plus souvent hypertendus, diabétiques, dyslipidémiques, anémiés, avec un contexte inflammatoire et avec un antécédant de maladie vasculaire périphérique que ceux du groupe non transplanté (respectivement 76,0% vs, 48,1%, 38,7% vs, 25,2%, 33,2% vs, 23,2%, and 31,2% vs, 17,3%, p < 0,0001).
L’incidence d’infarctus du myocarde sans élévation du segment ST (NSTEMI) était plus fréquente dans le groupe transplanté tandis que l’incidence d’infarctus du myocarde avec élévation du segment ST (STEMI) était plus importante dans le groupe sans transplantation rénale.
Mortalité des patients ayant présenté un syndrome coronaire aigu L’analyse non ajustée retrouve un risque de mortalité toute cause et de mortalité cardiovasculaire dans le mois suivant l’infarctus plus élevé chez les patients sans transplantation rénale (18% vs, 11,1% p < 0,0001 and 12,3% vs, 7,8%, p < 0,0001, respectivement). L’incidence cumulée de mortalité toute cause était plus importante chez les transplantés après ajustement sur les variables du tableau 2 (HR 1,15 IC 95% 1,03–1,28).

Discussion

Ce travail a permis d’identifier 94 340 patients ayant présenté un infarctus du myocarde à partir d’une population de 3 306 383 patients, La population transplantée rénale présente un surrisque d’infarctus du myocarde de 45%, plus fréquemment des infarctus de type NSTEMI, suivi d’une surmortalité toute cause de 15%.
Ce surrisque d’infarctus cumulé de 5,8% à 5 ans chez des patients statistiquement plus jeunes (59,5 ans) peut s’expliquer par :

  • Une prévalence des facteurs de risque cardiovasculaire plus élevée dans la population transplantée : Ces patients sont d’ailleurs plus souvent suivis pour une AOMI, une coronaropathie et cela suggère que la maladie athéromateuse est plus diffuse et progresse plus rapidement que dans le reste de la population, Par ailleurs, les immunosuppresseurs (comme les corticoïdes, inhibiteurs des calcineurine et inhibiteurs de la voie des mTOR) sont pourvoyeurs d’HTA, de dyslipidémie, diabète.
  • Les périodes péri-opératoires et post opératoires précoce : Elles sont à risque du fait des modifications hémodynamiques, de l’état pro-inflammatoire pro-thrombotique provoqué par la chirurgie et les interruptions des traitements anticoagulants et antiagrégants.
  • Les caractéristiques propres des transplantés : Là fréquemment des sepsis (compliquant l’immunosuppression), de l’anémie et la fibrillation atriale peuvent favoriser les SCA de type 2. La présentation sur un phénotype de NSTEMI est compatible avec les données de la littérature (7) et peut refléter le déséquilibre entre les apports et les besoins myocardiques.

Ce travail soulève la question de la prédiction des éléments cardiovasculaires chez les patients asymptomatiques en bilan pré-transplantation rénale. Le modèle de PORT semble avoir une meilleure capacité prédictive que l’équation de Framingham qui sous-estime la prédiction des évènements (8)  mais reste néanmoins peut applicable en pratique clinique puisqu’il repose sur 39 variables clinico-biologiques (6). Il est actuellement recommandé de réaliser un test d’ischémie avant une chirurgie à haut risque chez les patients avec une faible capacité fonctionnelle < 4 METS et au moins 2 facteurs risque (recommandations européennes) (9) ou bien chez les patients à haut risque cardiovasculaire avec > 3 facteurs de risque parmi > 1 an de dialyse, HVG, > 60 ans, tabac, HTA, dyslipidémie (recommandations nord-américaines) (10).
Les patients en attente de transplantation rénales ne sont quasiment pas représentés dans les essais cliniques, Des études observationnelles et des essais randomisés sont nécessaires pour savoir comment, quand, à quelle fréquence un dépistage de la maladie coronaire doit être réalisé chez les asymptomatiques, La question de la revascularisation versus traitement médical de la coronaropathie avant la transplantation fait encore débat dans cette population.

Romain Didier, Dijon

Références

1. Parfrey PS, Foley RN, The Clinical Epidemiology of Cardiac Disease in Chronic Renal Failure, J Am Soc Nephrol, 1 juill 1999;10(7):1606-15,
2. Sarnak MJ, Amann K, Bangalore S, Cavalcante JL, Charytan DM, Craig JC, et al, Chronic Kidney Disease and Coronary Artery Disease: JACC State-of-the-Art Review, J Am Coll Cardiol, 8 oct
2019;74(14):1823-38,
3. Awan AA, Niu J, Pan JS, Erickson KF, Mandayam S, Winkelmayer WC, et al, Trends in the Causes of Death among Kidney Transplant Recipients in the United States (1996–2014), Am J Nephrol,
2018;48(6):472-81,
4. Morales JM, Marcén R, del Castillo D, Andres A, Gonzalez-Molina M, Oppenheimer F, et al, Risk factors for graft loss and mortality after renal transplantation according to recipient age: a prospective
multicentre study, Nephrol Dial Transplant, déc 2012;27(Suppl 4):iv39-46,
5. Gill JS, Ma I, Landsberg D, Johnson N, Levin A, Cardiovascular events and investigation in patients who are awaiting cadaveric kidney transplantation, J Am Soc Nephrol JASN, mars 2005;16(3):808-16,
6. Israni AK, Snyder JJ, Skeans MA, Peng Y, Maclean JR, Weinhandl ED, et al, Predicting coronary heart disease after kidney transplantation: Patient Outcomes in Renal Transplantation (PORT) Study,
Am J Transplant Off J Am Soc Transplant Am Soc Transpl Surg, févr 2010;10(2):338-53,
7. Shroff GR, Li S, Herzog CA, Trends in Discharge Claims for Acute Myocardial Infarction among Patients on Dialysis, J Am Soc Nephrol JASN, mai 2017;28(5):1379-83,
8. Kasiske BL, Chakkera HA, Roel J, Explained and Unexplained Ischemic Heart Disease Risk after Renal Transplantation, J Am Soc Nephrol, 2000;9,
9. Authors/Task Force Members, Kristensen SD, Knuuti J, Saraste A, Anker S, Bøtker HE, et al, 2014 ESC/ESA Guidelines on non-cardiac surgery: cardiovascular assessment and management: The
Joint Task Force on non-cardiac surgery: cardiovascular assessment and management of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Society of Anaesthesiology (ESA), Eur Heart J, 14 sept
2014;35(35):2383-431,
10, Lentine KL, Costa SP, Weir MR, Robb JF, Fleisher LA, Kasiske BL, et al, Cardiac Disease Evaluation and Management Among Kidney and Liver Transplantation Candidates: A Scientifi c Statement
From the American Heart Association and the American College of Cardiology Foundation, Circulation, 31 juill 2012;126(5):617-63

 

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